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Pour citer ce texte : Stéphane Lojkine, « Vérité, poésie, magie de l’art : les Salons de Diderot », cours donné à l’université de Provence, sept.-déc. 2011
Décrire l’image : Genèse de la critique d’art dans les Salons
de Diderot
I. Le refus de la
critique
Abjection de la critique
On définit
parfois Diderot comme le premier critique d’art : les Salons
de Diderot relèveraient d’un genre qu’il aurait fondé, et qui
serait celui de la critique. Mais Diderot ne s’est jamais à
proprement parler défini ainsi. Lorsqu’il parle des critiques, il
le fait toujours avec mépris, comparant leur travail à celui de ses
pires ennemis, les journalistes anti-philosophes qu’il stigmatise
dans Le Neveu de Rameau :
« Le
triste et plat métier que celui de critique ! Il est si
difficile de produire une chose même médiocre ; il est si
facile de sentir la médiocrité ! Et puis, toujours ramasser
des ordures, comme Fréron ou ceux qui se promènent dans nos rues
avec des tombereaux. » (Salon de 1763,
article Vien,
p. 251)
 Jean-Baptiste Greuze, La Piété filiale, dit aussi Le Paralytique, huile sur toile, 115x146 cm, 1761, Saint-Petersbourg, musée de l’Ermitage, inv. 1168 Parfois, il semble à
Diderot que son propos tourne à la critique : il se reprend
aussitôt, comme dans un mouvement instinctif de dégoût pour le
travers dans lequel il a manqué tomber :
« En
vérité, les critiques sont de sottes gens ! Pardon !
monsieur Vien, pardon ! Vous avez fait dix tableaux charmants. »
(p. 253).
Le critique s’empêtre
dans les questions techniques. Devant Le Paralytique de Greuze, il
évalue l’espérance de vie du vieillard au lieu de se laisser
emporter par l’émotion de la scène. Sa compétence est celle d’un
médecin où il faudrait un poète :
« On
dit encore que le vieillard est moribond et qu’il a le visage d’un
agonisant... Le docteur Gatti dit que ces critiques-là n’ont
jamais vu de malades, et que celui-là a bien encore trois ans à
vivre. […] Que... Et que mille diables emportent les critiques et
moi tout le premier ! » (Greuze, La Piété
filiale, p. 277)
Même défaut
devant le génial Pygmalion
de Falconet, pour lequel le critique s’empêtre dans des questions
de proportion de cou :
« Ce
morceau de sculpture est très parfait. Cependant, au premier coup
d’œil, le cou de la statue me parut un peu fort ou sa tête un peu
faible ; les gens de l’art ont confirmé mon jugement. Oh !
que la condition d’un
artiste est malheureuse ! Que les critiques sont impitoyables et
plats ! » (Falconet, Pygmalion et Galatée,
p. 287)
 Etienne-Maurice Falconet, Pygmalion et Galatée, 1763, H 58,42 cm, Baltimore, The Walters Art Gallery Dans le Salon
de 1767, ce dégoût instinctif,
ou entre une part de dégoût de soi (je ne suis pas un critique,
mais ce que je fais menace à chaque instant de tourner à la
critique), se systématise et se théorise en opposition méthodique
du critique au créateur, au génie, au grand homme :
« Quand
voit-on naître les critiques et les grammairiens ? Tout juste
après le siècle du génie et des productions divines. […] Le
génie crée les beautés. La critique remarque les défauts. Il faut
de l’imagination pour l’un, du jugement pour l’autre. »
(Salon de 1767, 6e
site de la Promenade Vernet, p. 620-621)
Le critique est cet
Autre abject qui permet, par défaut, de penser, de comprendre le
génie du grand homme. Le critique méconnaît nécessairement le
génie. Chaque grand peintre a donc « ses critiques » (au
sens de ses détracteurs), dont Diderot se démarque ostensiblement,
par exemple lorsque l’on reproche à Vernet un usage qui semble
criard de la couleur :
« En
comparant les tableaux qui sortent tout frais de dessus son chevalet,
avec ceux qu’il a peints autrefois, on l’accuse d’avoir outré
sa couleur. Vernet dit qu’il laisse au temps le soin de répondre à
ce reproche et de montrer à ses critiques, combien ils jugent mal. »
(Salon de 1767, fin de
la Promenade Vernet, p. 629)
 Gabriel François Doyen, Le Miracle des Ardents, huile sur toile, 1767, 665x393 cm, Paris, Église Saint-Roch De même face à Doyen,
vengé des critiques par le public :
« Doyen
a été suffisamment vengé de ses critiques par le suffrage public
et le témoignage honorable de son Académie qui sur son tableau l’a
nommé adjoint à professeur. » (Doyen, Le Miracle
des Ardents, p. 658).
Il
faut attendre le Salon de 1769
pour voir employé positivement le mot critique, comme instance de
médiation, au même titre que l’institution des Salons, dans la
formation générale du goût public :
« Plus
de Salon ; plus de modèle pour les élèves, plus de
comparaison d’un faire à un autre ; ces enfants n’entendront
plus ni le jugement des maîtres, ni la critique des amateurs et des
gens de lettres, ni la voix de ce public qu’ils auront un jour à
satisfaire. » (p. 826)
Diderot s’inclut-il
lui-même dans cette « critique des amateurs et des gens de
lettres » ? Sans doute aspire-t-il à mieux.
Diderot en « philosophe poète » et
en « littérateur »
Entre le critique et le
grand homme il a en effet tenté de promouvoir une troisième figure,
celle du « philosophe poète », et là c’est bien de
lui qu’il s’agit :
« Le
grand homme n’est pas celui qui fait vrai, c’est celui qui sait
le mieux concilier le mensonge avec la vérité ; c’est son
succès qui fonde chez un peuple un système dramatique qui se
perpétue par quelques grands traits de nature, jusqu’à ce qu’un
philosophe poète dépèce l’hippogriffe et tente de ramener ses
contemporains à un meilleur goût. C’est alors que les critiques,
les petits esprits, les admirateurs du temps passé jettent les hauts
cris et prétendent que tout est perdu. » (Salon de
1767, fin de l’article Robert,
p. 721)
 Louis Jean François Lagrenée, Allégorie à la mort du Dauphin, huile sur toile, 129x97 cm, 1767, Fontainebleau, musée national du château Le dépeceur
d’hippogriffes tient d’une main les chimères de l’imagination,
de l’autre les exigences de la réalité. Il circule entre les
mondes, et surtout ne se contente pas d’une évaluation passive des
œuvres à partir d’un « système » de règles
poétiques et techniques données. Il est philosophe, donc il crée,
transforme les règles ; il est poète, donc il crée,
transforme, les sujets et les œuvres.
Lorsqu’il décrit ses
rapports avec les artistes, c’est comme « littérateur »
que Diderot se définit, c’est-à-dire comme un artisan de la
représentation au même titre que les peintres et les sculpteurs. Il
tire de ce parallélisme la légitimité de son discours : sa
position n’est pas celle surplombante d’un critique, mais plutôt
d’un confrère dans les arts de la représentation.
« Chardin,
Lagrenée, Greuze et d’autres m’ont assuré, et les artistes ne
flattent point les littérateurs, que j’étais presque le seul
d’entre ceux-ci dont les images pouvaient passer sur la toile,
presque comme elles étaient
ordonnées dans ma tête. […] Cela vient apparemment de ce que mon
imagination s’est assujettie de longue main aux véritables règles
de l’art, à force d’en regarder les productions ; que j’ai
pris l’habitude d’arranger mes figures dans ma tête, comme si
elles étaient sur la toile ; que peut-être je les y
transporte, et que c’est sur un grand mur que je regarde, quand
j’écris ; qu’il y a longtemps que, pour juger si une femme
qui passe est bien ou mal ajustée, je l’imagine peinte, et que peu
à peu j’ai vu des attitudes, des groupes, des passions, des
expressions, du mouvement, de
la profondeur, de la perspective, des plans dont l’art peut
s’accommoder ; en un mot que la définition d’une
imagination réglée devrait se tirer de la facilité dont le peintre
peut faire un beau tableau de la chose que le littérateur a
conçue. » (Salon de 1767,
Lagrenée, le Dauphin mourant,
p. 574)
Diderot se vante
d’abord, avec une certaine suffisance, des particularités
exceptionnelles de son imagination,
qui font que ce qu’il crée pour l’écriture se transpose
facilement sur la toile : il nous indique par là que le contenu
de ses Salons, censé
demeurer ultra-secret en dehors des destinataires lointains de la
Correspondance littéraire
pour ménager la susceptibilité des artistes, a été largement
éventé, et par lui-même encore. Grand bavard, causeur brillant et
impénitent, il n’a pas pu s’empêcher de livrer aux peintres les
contre-projets de composition qui lui sont venus en tête en
rédigeant ses compte-rendus de leurs œuvres. Comment expliquer
autrement les assurances de « Chardin, Lagrenée, Greuze et
d’autres » dont il se targue ?
Il n’a donc pas
à proprement parler critiqué leurs œuvres : il a plutôt mis
en concurrence leurs compétences créatrices avec les siennes. S’il
a pu le faire, c’est parce que son imagination est visuelle :
pour l’expliquer, Diderot invoque le travail même des Salons,
qui l’a amené à regarder une multitude de « productions »
artistiques. Aptitude et expérience singulières donc, mais qui
rejoignent comme par hasard un principe fondamental de la poétique
classique : le principe de l’ut pictura poesis.
La concurrence des arts : poésie contre
peinture
Horace, dans
l’épître aux Pisons qu’on appelle aussi son Art
poétique, écrivait en effet :
Ut
pictura poesis erit quae si propius stes, te
capiat magis, et quaedam, si longius abstes ; haec
amat obscurum, volet haec sub luce videri, judicis
argutum quae non formidat acumen ; haec placuit semel, haec
deciens repetita placebit.
(v. 361-364)
 Pierre Paul Rubens, Le Voyage du cardinal infant de Barcelone à Gênes, dit aussi La Colère de Neptune, huile sur toile, 1600-1640, 193x183 cm, Anvers, musée royal des Beaux-Arts. Diderot considère que Neptune émergeant des flots après la tempête, sublime au livre I de l'Énéide, est impossible à représenter sans ridicule en peinture. À vous de juger... La singularité
de l’imagination diderotienne s’appuie sur la norme prescrite par
Horace : la bonne poésie sera comme une peinture ; le bon
poète prendra donc modèle sur le peintre pour écrire. Horace
recourait à cette comparaison pour expliquer l’effet de la
représentation sur le regard critique (acumen judicis),
qui doit l’examiner tantôt de près, tantôt de loin, tantôt dans
la pénombre, tantôt en pleine lumière, et en être saisi d’un
coup, ou au contraire imprégné progressivement : le jugement
critique naît, émerge à partir de la comparaison entre la poésie
et la peinture.
Diderot se réfère
explicitement à deux reprises à l’ut pictura poesis
dans le Salon de 1767. La
première fois, il semble récuser le parallèle des deux arts. Il
est question d’un tableau allégorique de Lagrenée représentant
Le Dauphin mourant :
« C’est
une foule d’idées fines qui ne peuvent se rendre, ou qui rendues
seraient sans effet. Ce sont des demandes ou folles ou ridicules, ou
incompatibles avec la beauté du technique. Cela
serait
passable, écrit ; détestable, peint ; et c’est ce que
mes confrères ne sentent pas. Ils ont dans la tête, Ut
pictura poesis erit ; et
ils ne se doutent pas qu’il est encore plus vrai que Ut
poesis, pictura non erit. Ce qui
fait bien en peinture, fait toujours bien en poésie ; mais cela
n’est pas réciproque. J’en reviens toujours au Neptune de
Virgile… »
(p. 573).
Mais ce parallèle doit
être compris comme une concurrence, avec des moyens techniques
différents pour mettre en œuvre une même idée :
« Ut
pictura poesis erit. Il en est
de la poésie, ainsi que de la peinture. Combien on l’a dit de
fois ! Mais ni celui qui l’a dit le premier, ni la multitude
de ceux qui l’ont répété après lui, n’ont compris toute
l’étendue de cette maxime. Le poète a sa palette comme le
peintre, ses nuances, ses passages, ses
tons. Il a son pinceau et son faire. Il est sec, il est dur, il est
cru, il est tourmenté, il est fort, il est vigoureux, il est doux,
il est harmonieux et facile. Sa langue lui offre toutes les teintes
imaginables ; c’est à lui à les bien choisir. Il a son
clair-obscur dont la source et les règles sont au fond de son âme.
Vous faites des vers ? Vous le croyez, parce que vous avez
appris de Richelet à arranger des mots et des syllabes dans un
certain ordre et selon certaines conditions données ; parce que
vous avez acquis la facilité de terminer ces mots et ces syllabes
ordonnées par des consonances. Vous ne peignez pas, à peine
savez-vous calquer. Vous n’avez pas, peut-être même êtes-vous
incapable de prendre la première notion du rythme. » (Salon
de 1767, Loutherbourg, p. 732).
Que faut-il
entendre ici par poésie ? Diderot, qui cite volontiers Homère,
Pétrarque , l’Arioste ou Milton comme ses pairs, n’a pourtant
jamais écrit de poésie au sens où nous l’entendons aujourd’hui :
à part quelques vers de mirliton, son œuvre est en prose, et ne
compte ni épopée, ni sonnets, ni élégies. Par poésie, il faut
entendre essentiellement ce qu’on appelait au dix-huitième siècle
la « poésie dramatique », c’est-à-dire le théâtre :
Diderot commence à écrire les Salons
en 1759, après un cuisant échec dans la carrière théâtrale. S’il
ne se définit pas explicitement comme poète dans les Salons,
c’est toujours la poésie, les poètes qu’il invoque face à la
peinture pour motiver son jugement. À l’abjection du critique
s’oppose ainsi la fascination pour le poète qu’il aurait voulu
être, qu’il est ou sera quand même, par le truchement de ce
rapport à la peinture qu’initient les Salons :
« Voilà
la scène que j’aurais décrite, si j’avais été poète, et
celle que j’aurais peinte, si j’avais été artiste. »
(Salon de 1767, Vien,
Saint Denis, p. 542).
 Gabriel François Doyen, Vénus blessée par Diomède, huile sur toile, 1761, Saint-Petersbourg, Ermitage Régulièrement,
Diderot sollicite les grands poètes pour mesurer à leur génie
l’œuvre qu’il est en train de décrire, et éventuellement
opposer à celle-ci un contre-modèle :
« Mais
voici une des plus grandes compositions du Salon : c’est le
Combat de Diomède et d’Énée,
sujet tiré du cinquième livre de l’Iliade
d’Homère. J’ai relu à l’occasion du tableau de Doyen, cet
endroit du poète. C’est un enchaînement de situations terribles
et délicates, et toujours la couleur et l’harmonie qui
conviennent. Il y a là soixante vers à décourager l’homme le
mieux appelé à la poésie. Voici, si j’avais été peintre, le
tableau qu’Homère m’eût inspiré. » (Salon de
1761, Doyen, Combat de
Diomède et d’Énée,
p. 224)
« Si j’avais
été peintre » est à balancer avec « si j’avais été
poète » : Diderot va de l’un à l’autre, confrontant
l’hétérogène, cherchant, dans cette concurrence, le levain d’une
fermentation poétique :
« Changez-moi
cet Ulysse, c’est un Ulysse d’osier. Si vous ne connaissez pas
cet éloquent, impérieux et adroit scélérat, lisez Homère et
Virgile jusqu’à ce que les idées de ces deux grands poètes,
fermentant dans votre imagination, vous aient donné la vraie
physionomie de ce personnage. » (Salon de 1763,
Doyen, Andromaque éplorée,
p. 283)
 François Boucher, Angélique et Médor, huile sur toile, 1763, 66,7x56,2 cm, New-York, The Metropolitan Museum of Art Il ne s’agit
pas simplement de regarder la peinture, mais, par ce qu’on regarde
et ce qu’on lit, de la recréer. Il faut se représenter la scène,
et pour cela restituer la logique des personnages, de leur présence,
de leurs discours. Ainsi, à propos des Grâces
de Carle Vanloo :
« Que
font-elles là ? je veux mourir si elles en savent rien. Elles
se montrent. Ce n’est pas ainsi que le poète [= Horace] les a
vues. C’était au printemps. Il faisait un beau clair de lune. »
(Salon de 1765,
p. 297)
Même incertitude
sur la scène du tableau devant l’Angélique et Médor
de Boucher, où Diderot ne retrouve ni l’histoire de l’Arioste,
ni l’intensité émotionnelle de ce qui devrait se jouer entre les
deux amants :
« Je
défie qu’on me montre quoi que ce soit qui caractérise la scène
et qui désigne les personnages. Eh ! mordieu, il n’y avait
qu’à se laisser mener par le poète » (p. 311)
Le tableau peint une
scène, et ses personnages doivent parler comme les personnages de
l’épopée ou de la tragédie où le peintre a puisé son sujet.
Diderot tente donc de faire passer leur discours du texte sur la
toile :
« Pour
juger si l’Hector de Challe est l’Hector d’Homère, voyons si
le discours que le vieux poète a fait tenir à son personnage,
conviendrait par hasard au personnage de notre peintre. »
(Hector reprochant à Pâris sa lâcheté,
p. 342)
 Louis Jean François Lagrenée, L'Épée, ou Bellone présentant à Mars les rênes de ses chevaux, 1767, huile sur toile, 99x145 cm, Princeton, The Art Museum Le poète est la pierre
de touche depuis laquelle faire éclater la nullité du peintre :
« Sujet
tiré d’Anacréon. C’est un plaisir que de voir comme M. Boizot a
platement parodié en peinture le poète le plus élégant et le plus
délicat de la Grèce. » (Boizot, Mars et l’Amour
disputent sur le pouvoir de leurs armes,
p. 354)
La peinture ramène
cruellement l’idéal poétique à la trivialité du réel, comme
dans cette représentation du dieu Mars, sans comparaison avec les
évocations d’Homère :
« Comment
reconnaître dans ce morveux, le dieu dont le cri est comme celui de
dix mille hommes. Comparez ce tableau avec celui du poète qui dit :
Sa tête sortait d’entre les nuées, ses yeux étaient ardents, sa
bouche était entrouverte, ses chevaux soufflaient le feu de leurs
narines, et le fer de sa lance perçait la nue. » (Salon
de 1767, Lagrenée,
L’Épée, ou Bellone,
p. 554)
La fusion des arts : la poésie est la
peinture
De la
concurrence entre poésie et peinture, il n’y a qu’un pas vers la
fusion, selon une logique proprement chimique de fermentation des
hétérogènes. Dans l’éloge, les qualités du poète et du
peintre se mêlent pour ainsi dire indistinctement :
« Ce
Casanove est dès à présent un homme à imagination, un grand
coloriste, une tête chaude et hardie, un bon poète, un grand
peintre. » (Salon de 1761,
p. 231)
On
distingue encore ici l’imagination d’un côté, qui permet de
concevoir l’idée et caractérise le poète, la couleur de l’autre
côté, qui permet d’exécuter l’idée, de donner corps et chair
aux personnages, et caractérise le peintre. Mais déjà, entre ces
caractérisations, en leur cœur, Diderot place « une tête
chaude et hardie », c’est-à-dire le réceptacle du
bouillonnement, de la fermentation chimique où ces qualités
fusionnent pour donner le génie.
 Jean Restout, Orphée descenu aux Enfers pour demander Eurydice, 1763, huile sur toile, 355x575 cm, Paris, Musée du Louvre, inv. 7451 Il
ne s’agit pas de distinguer le poète du peintre, mais de
rencontrer un génie qui soit un poète et un
peintre :
« Quel
sujet pour un poète et pour un peintre ! qu’il exige de génie
et d’enthousiasme ! » (Salon de 1763,
Restout, Orphée descendu aux enfers pour en ramener
Eurydice, p. 240)
Le catalyseur qui
permet la précipitation chimique, se repère dans le sujet et se
définit comme chaleur, enthousiasme du génie :
« Beau
sujet ; mais qui demande un poète moins sage, plus enthousiaste
que Lagrenée. » (Le Sacrifice de Jephté,
p. 326)
Pour
Deshays, Diderot parle carrément de feu qu’il faut comprendre à
la fois comme le feu de l’athanor
des chimistes et comme le feu sublime de la poésie :
« Ce
peintre n’est plus. C’est celui-là qui avait du feu, de
l’imagination et de la verve ! c’est celui-là qui savait
montrer une scène tragique et y jeter de ces incidents qui font
frissonner, et faire sortir l’atrocité des caractères par
l’opposition naturelle et bien ménagée des natures innocentes et
douces ! c’est celui-là qui était vraiment poète ! »
(Deshays, p. 331)
Antériorité de la poésie
La
poésie n’est plus conçue dès lors comme un art concurrent de la
peinture, mais comme une qualité antérieure et commune aux arts du
texte et de l’image, comme le montre, indirectement, cette
comparaison du peintre et du sculpteur :
« [La
Sculpture] exagère, sans doute ; peut-être même l’exagération
lui convient-elle mieux qu’à la peinture. Le peintre et le
sculpteur sont deux poètes ; mais celui-ci ne charge jamais. La
sculpture ne souffre ni le bouffon, ni le burlesque, ni le plaisant,
rarement même le comique. Le marbre ne rit pas. » (Salon
de 1765, Sculpture, p. 441)
Le point de départ est
la poésie du sujet, qu’il s’agit ensuite de rendre, de
transposer, comme Diderot le décrit très bien à propos du
graveur :
« Il ne
s’agit ici que du graveur en taille-douce, du traducteur du
peintre. Le graveur en taille-douce est proprement un prosateur qui
se propose de rendre un poète d’une langue dans une autre. La
couleur disparaît. La vérité, le dessin, la composition, les
caractères, l’expression, restent. » (Dessin. Gravure,
p. 459).
La différence de la
poésie et de la peinture s’explique par cette transposition. Dans
la transposition, on observe une déperdition de l’énergie
primitive de l’idée :
« Au
reste je ne sais, mon ami, si vous aurez remarqué que les peintres
n’ont pas la même liberté que les poètes dans l’usage des
flèches de l’Amour. En poésie, ces flèches partent, atteignent
et blessent ; cela ne se peut en peinture. Dans un tableau,
l’Amour peut menacer de sa flèche, mais il ne la peut jamais
lancer sans produire un mauvais effet. Ici le physique répugne ;
on oublie l’allégorie, et ce n’est plus un homme percé d’une
métaphore, mais un homme percé d’un trait réel qu’on
aperçoit » (Salon de 1761,
Amédée Vanloo, L’Amour menaçant,
p. 204)
Réciproquement, la scène picturale pourra donner
à voir directement ce que la scène théâtrale interdit de
montrer :
« Mais
une chose qui me surprendrait, si nous n’étions pas des pelotons
de contradictions, c’est qu’on accorde aux peintres une licence
qu’on refuse aux poètes. Greuze exposera demain sur la toile, la
mort de Henri IV, il montrera le jacobin qui enfonce le couteau
dans le ventre à Henri III ; et cela sans qu’on s’en
formalise, et qu’on ne permettra pas au poète de rien mettre de
semblable en scène. » (Salon de 1767,
Lagrenée, L’Amour rémouleur,
p. 561).
Il y a donc une
conception poétique de la scène, une idée créatrice primitive, et
ensuite une exécution dans un art de la représentation, qui peut
être la peinture, la poésie ou un autre art. Le mot « poésie »
renvoie à la fois à l’idée primitive commune, (la poésie d’un
sujet) à l’énergie fusionnelle de cette idée, et à son
exécution technique, particulière et concurrente (la poésie comme
mise en scène du sujet dans l’épopée ou au théâtre).
Après l’article
Lagrenée du Salon de 1767,
Diderot hiérarchise de plus en plus nettement la poésie comme
supérieure à la peinture. Il commence par une formulation
symétrique qui suggère l’intrication du faire (la compétence
technique du peintre) et de l’idée (le choix et la composition des
sujets) :
« Qu’est-ce
que le plus beau faire sans idée ? le mérite d’un peintre.
Qu’est-ce qu’une belle idée, sans le faire ? le mérite
d’un poète. Ayez d’abord la pensée ; et vous aurez du
style après. » (Durameau, Le Triomphe de la Justice,
p. 766)
Mais
l’intrication recouvre un ordre à la fois chronologique dans le
processus de création et hiérarchique dans l’évaluation de
l’œuvre : c’est d’abord la pensée qu’il faut avoir, ou
autrement dit l’idée, le
« mérite » (la compétence spécifique) du poète ;
le style, ou le faire, viendra ensuite, comme mérite du peintre,
c’est-à-dire comme accessoire technique.
Précisément
parce que le mérite du peintre, c’est-à-dire sa capacité à
transposer efficacement l’idée poétique abstraite sur la scène
que le spectateur va voir, n’intervient qu’au second rang,
ce n’est pas en montrant tout qu’il peindra mieux. Il faut donner
à entendre l’idée du sujet au spectateur, le laisser deviner,
reconstituer la scène dans son esprit, non platement tout lui
montrer en faisant étalage de son savoir-faire. L’Arioste a donc
été un mauvais peintre en décrivant minutieusement Angélique :
« Et
c’est lorsque l’Arioste me décrit Angélique, je crois, depuis
le sommet de sa tête, jusqu’à l’extrémité de son pied, que
malgré la grâce, la facilité, la molle élégance de sa poésie,
Angélique n’est pas belle. Il me montre tout ; il ne me
laisse rien à faire. Il me fatigue, il m’impatiente. Si une figure
marche, peignez-moi son port et sa légèreté. Je me charge du
reste. Si elle est penchée, parlez-moi de ses bras seulement et de
ses épaules. Je me charge du reste. Si vous faites quelque chose de
plus, vous confondez les genres ; vous cessez d’être poète,
vous devenez peintre ou sculpteur. Je suis vos détails et je perds
l’ensemble ; qu’un seul trait, tel que le vera
incessu de Virgile, m’aurait
montré. » (Renou, Jésus Christ avec les docteurs,
p. 779).
Ce qui rend Diderot
difficile à suivre ici, c’est que l’Arioste, techniquement, est
un poète, non un peintre ! Diderot a insensiblement infléchi
le sens des mots : par peintre et poète, il ne désigne plus
des artistes différents produisant des œuvres de nature différente,
sur des supports et avec des moyens techniques différents, mais des
moments différents dans un seul processus universel, commun, de
création artistique. Lorsque l’artiste crée son œuvre, il faut
qu’il reste poète, et il risque de devenir peintre, que cette
œuvre soit, concrètement, une pièce de théâtre, une épopée,
une peinture d’histoire, ou un groupe sculpté.
De la poésie, Diderot
a glissé subrepticement vers la poétique.
Le jugement des œuvres est poétique, non
critique
La poésie est
régie par un certain nombre de règles : ces règles
constituent le domaine de la poétique. L’âge classique a
essentiellement retenu de la Poétique
d’Aristote ses prescriptions sur le théâtre. La question du vers
y est secondaire : l’enjeu de la poétique est moins
stylistique que structural.
La poétique s’intéresse avant tout au choix du sujet et des
personnages, à la mise en œuvre de l’action
(nous dirions aujourd’hui : au scénario), à la vraisemblance
de la représentation (autrement dit : au rapport de la fiction
avec la vérité).
Ces questions du
sujet, du scénario, de la vérité, sont les questions qui
intéressent d’abord Diderot. Il a commencé à les aborder avant
d’écrire les Salons,
dans les Entretiens sur le Fils naturel
(composés en 1756) et le Discours sur la poésie
dramatique (1758) : on est
très loin de ce que nous entendrions aujourd’hui par « critique
d’art », qui suppose un jugement des œuvres,
et pour le faire une compétence technique, une connaissance des
pratiques artistiques et des
processus de la production matérielle de l’art. Cela ne veut pas
dire que Diderot ne s’intéresse pas aussi à cela : d’emblée,
il évalue et juge, parfois même de façon cinglante ; et il va
s’interroger de plus en plus dans les Salons
sur ce qu’il appelle au masculin le technique
ou le faire des
peintres : l’articulation du technique (la question critique)
à l’idéal (la question poétique) constitue même le
questionnement central du Salon de 1767.
Mais l’approche
poétique des œuvres exposées au Salon donne une légitimité au
discours de Diderot, qui n’est lui-même ni peintre ou sculpteur,
ni même un poète reconnu, mais peut se revendiquer philosophe et
littérateur, c’est-à-dire compétent dans la théorie de la
création prise indistinctement comme création littéraire et comme
création artistique. C’est depuis cette compétence que Diderot
nous parle et entend exercer un certaine autorité.
Premier paradoxe : la peinture procède par
idées poétiques
Cette compétence
est paradoxale, puisque, d’une certaine manière, elle nie la
matérialité spécifique de l’œuvre d’art, le fait que ce soit
une image, de la peinture sur de la toile, du marbre ou du dessin :
le grand peintre sera d’abord un poète ; sa peinture sera
d’abord non une surface qu’on regarde ou une matière qu’on
touche, mais une idée poétique, une scène qu’il a imaginée, une
scène abstraite donc, un modèle idéal destiné à la manipulation
intellectuelle du spectateur, qu’il soit présent devant l’œuvre
ou que, comme Diderot écrivant le soir chez lui, comme ses lecteurs
le lisant dans la Correspondance littéraire à
des centaines de kilomètres de Paris, l’œuvre ne lui soit
suggérée, signifiée qu’en imagination.
Il y a là un
renversement complet par rapport à notre conception moderne du
rapport à l’œuvre d’art : pour nous, c’est d’abord une
expérience de la proximité. Voir la peinture, tourner autour du
marbre, s’avancer et se reculer, c’est là l’expérience
esthétique fondamentale. Diderot va y venir, mais ce n’est pas de
là qu’il part. Le commencement, c’est l’idée, et l’idée,
c’est une scène virtuelle qui se transporte en imagination.
Deuxième paradoxe : la poésie procède par
images
La poésie est
première. Mais la poésie n’est pas essentiellement œuvre de
langage. Lorsque Diderot se définit comme « littérateur »
face aux peintres, il décrit ainsi sa compétence poétique :
« j’ai pris l’habitude d’arranger mes figures dans ma
tête, comme si elles étaient sur la toile » (Salon
de 1767, p. 574, voir
supra). La poésie
précède la peinture, mais elle est elle-même précédée par une
pratique qui est la pratique du peintre : pour ce travail
intellectuel du poète, travail virtuel de manipulation, de
composition des figures, la pratique du peintre, qui arrange ses
figures sur la toile, qui fabrique des dispositifs, est un exercice
essentiel et fructueux. Le travail du peintre est en quelque sorte à
la fois la métaphore et la matrice de la création poétique. Bien
naïf qui croit faire de la poésie parce qu’il arrange
rhétoriquement et stylistiquement des vers :
« Vous
faites des vers ? Vous le croyez, parce que vous avez appris de
Richelet à arranger des mots et des syllabes dans un certain ordre
et selon certaines conditions données ; parce que vous avez
acquis la facilité de
terminer ces mots et ces syllabes ordonnées par des consonances.
Vous ne peignez pas, à peine savez-vous calquer. » (Salon
de 1767, p. 732, voir
supra)
Le poète
n’arrange pas des mots, mais des figures ; il ne fait
pas des vers, il compose des scènes ; il ne manipule pas du
langage, mais crée ce qu’on appelle alors des « machines »,
ce qu’on appellerait aujourd’hui des dispositifs.
D’où Diderot
tire-t-il sa compétence de poète ? Non de sa pratique
théâtrale, qui s’est soldée par un échec, mais précisément de
son travail de description des Salons. Pour décrire les œuvres, il
a dû prendre l’habitude d’arranger les figures dans sa tête :
devenu expert en description, c’est-à-dire en manipulation
virtuelle d’images et de scènes, il a acquis par la peinture cette
compétence poétique qui lui permet non seulement de juger les
peintres, mais de les concurrencer.
Il y a là une sorte de
cercle logique : si par pratique de la peinture on entend à la
fois la pratique du peintre qui crée l’œuvre et la pratique de
Diderot qui la décrit et la juge, Diderot nous suggère que c’est
la compétence poétique qui permet un bonne pratique de la
peinture ; mais que c’est la pratique de la peinture qui donne
la compétence poétique. Pour comprendre ce cercle logique, il faut
entrer plus avant dans cette pratique de la peinture, dont la forme
verbale apparemment simple est la description.
II. La pratique de la
description
Au principe du jugement : la description des
œuvres
Le lecteur
d’aujourd’hui, décontenancé devant ce texte des Salons
qui évoque une multitude de tableaux souvent disparus, est tenté
d’en extraire des idées, un système esthétique, de
mettre de l’ordre et de faire le tri dans ce grand fatras. Ce
serait tellement plus clair si c’était rédigé sous la forme d’un
traité !
Pourtant, on ne
doit jamais oublier la mission très concrète que Grimm a assignée
à Diderot : pour les lointains souscripteurs de la
Correspondance littéraire
qui le liront dans les cours allemandes, en Suède, en Russie, il
s’agit d’abord de décrire les œuvres exposées à Paris, qu’ils
ne pourront pas voir, mais qu’ils sont susceptibles d’acheter. Il
n’est pas question d’un traité d’esthétique. C’est la
description qui constitue la base structurale du contrat énonciatif :
c’est par la description que l’écriture est censée satisfaire
la demande du lecteur ; elle répond immédiatement à cette
demande en lui fournissant un supplément de présence ; elle y
répond également plus indirectement en titillant son désir
d’acheter.
Le problème est
de comprendre aujourd’hui ce qu’on entendait alors par
description, et par exemple ce qu’un lecteur de la Correspondance
littéraire pouvait avoir, dans
les années 1760, comme point de comparaison, comme culture, et à
partir de là comme attente en matière de description. Sans la
définition de cette horizon d’attente, on ne peut pas apprécier
le jeu de Diderot, ce qu’il satisfait et ce qu’il déçoit, ce
qu’il récupère et ce qu’il invente.
L’héritage antique et rhétorique de
l’ἔκφρασις (ekphrasis)
L’idée d’une
catégorie atemporelle et universelle de la description est une
illusion héritée de la narratologie formaliste. On ne peut pas
déduire abstraitement, d’une structure essentielle du récit, des
genres, ou modalités, qui seraient des catégories produites par une
combinaison logique de propriétés, et qu’on nommerait, a
priori et indépendamment de tout corpus, la narration, la
description, le dialogue, le discours. L’histoire des cultures
contredit violemment l’idéalisme d’une telle approche.
Dans la culture
grecque, ce qui se rapproche le plus de ce que nous entendons
aujourd’hui par description, c’est l’ἔκφρασις. Mais
l’ἔκφρασις n’est pas directement à l’origine de notre
description, et Diderot, pourtant helléniste, Diderot qui cite
Homère ou Platon dans le texte, n’emploie jamais ce terme. Le
problème n’est pas spécifiquement diderotien : entre
l’ἔκφρασις antique et ce que la rhétorique moderne a
ressuscité sous le nom d’ekphrasis, on constate une rupture
dans la tradition et la transmission ; cette rupture concerne
particulièrement le XVIIe et le XVIIIe siècles.
Pour les Grecs,
l’ἔκφρασις est prise entre deux tendances
contradictoires : d’une part, c’est un art de l’inventaire,
du catalogue. Le préfixe du verbe ἐκφράζειν indique
l’exhaustivité de ce type de discours, qui dit complètement, qui
nomme tout, qui énumère jusqu’au bout.
Eustathe, dans l’introduction de son commentaire à Denys le
Géographe,
la définit comme ἡ κατὰ λεπτὸν ἀφήγησις,
une exposition par le menu.
L’ἔκφρασις est donc un discours autonome à visée
exhaustive de catalogage ; ce n’est pas une digression, elle
n’en a pas la légèreté aléatoire ; elle n’a pas non plus
la fonction d’authentification du récit que remplit la description
romanesque du roman réaliste, piquant, pointant quelques détails
gratuits pour faire vrai. L’ἔκφρασις catalogue le monde ;
elle énumère une totalité.
Son exhaustivité
menace son intégrité : l’énumération risque la
dissémination. Aussi les techniques mises en œuvre dans l’ἔκφρασις
visent-elles à conjurer ce danger de dissémination. Dans les
Progymnasmata de Nicolaos, on peut lire :
ἡ [ἔκφρασις] πειρᾶται
θεατὰς τοὺς ἀκούοντας ἐργαζεσθαι,
elle s’efforce de faire des auditeurs des spectateurs.
Il y a un effet
théâtral de l’ἔκφρασις, qui rassemble l’ensemble des
objets qu’elle nomme à ses auditeurs dans un tableau qu’elle
donne à voir. L’ἔκφρασις produit l’effet d’évidence
iconique du tableau, ce qu’on appelle en grec l’ἐνάργεια
(enargeia),
en latin l’evidentia (Quintilien).
L’ἐνάργεια est la seconde tendance de l’ἔκφρασις,
qui entre en tension avec la tendance disséminatrice du catalogage.
 Philostrate, Les Images ou tableaux de platte peinture, trad. Blaise de Vigenère, Paris, Sébastien Cramoisy, 1637. Ici, Ariane abandonnée à Naxos par Thésée, est recueillie par Bacchus Dans quel cadre, dans
quelles circonstances pratique-t-on l’ἔκφρασις ? Il
faut souligner d’abord l’apparition tardive du mot, au 1er siècle
après Jésus-Christ, dans le premier traité des Προγυμνάσματα
(Exercices préparatoires) d’Aélius Théon.
L’ἔκφρασις désigne très concrètement un exercice
inventé par la seconde sophistique
et pratiqué à l’école de rhétorique. C’est, si l’on peut
dire, un concours de suggestion descriptive : un objet, une personne,
une œuvre d’art est donnée comme thème ; le discours qui la
présentera de la façon la plus suggestive l’emportera.
Contrairement à la première sophistique, qui formait les orateurs
politiques de la démocratie athénienne, la seconde sophistique se
développe dans une société non démocratique, où la maîtrise
rhétorique donne une distinction sociale, mais n’alimente plus
l’espace public des assemblées populaires. L’art de bien dire
glisse de la sphère publique vers la sphère privée, de la
politique vers l’esthétique. L’ἔκφρασις naît et se
développe à la faveur de ce glissement.
La forme achevée de cet exercice est la description de tableaux,
dont Philostrate de Lemnos nous a laissé au IIIe siècle de notre
ère un recueil, les Εἰκόνες.
La seconde sophistique
introduit donc l’ἔκφρασις comme exercice d’école, comme
performance, comme morceau de bravoure. Mais elle en fait également
une catégorie rhétorique qu’elle applique rétrospectivement à
toute une série de textes, dont le plus ancien, qui va devenir une
sorte de prototype, est la description homérique du bouclier
d’Achille.
Homère va devenir dès lors une sorte de marqueur d’excellence de
l’ ἔκφρασις : c’est le poète qu’il faut citer
parce que c’est le fondateur du genre, même si cette fondation est
un pur artifice rétrospectif.
Dès lors que
l’ἔκφρασις se définit comme performance oratoire, elle
n’obéit plus qu’en apparence au principe homérique de
catalogage, et se doit d’adopter un principe de progression
discursive, principe qui ne peut plus être celui de l’argumentation
judiciaire ou politique qui sert de modèle dans la Rhétorique
d’Aristote. Sandrine Dubel a montré
que le modèle sous-jacent de progression de l’ἔκφρασις
était géographique. Théon définit l’ἔκφρασις comme un
λόγος περιηγηματικὸς ἐναργῶς ὑπ’ὄψιν
ἀγὼν τὸ δηλοὺμενον, un discours qui fait le tour
en donnant une évidence visible à ce qui est montré. L’adjectif
περιηγηματικὸς intrigue : il vient d’un verbe
(περιηγεῖσθαι), qui signifie faire le tour de quelque
chose avec quelqu’un pour le lui faire voir. L’ἔκφρασις
est ainsi, en quelque sorte, touristique : elle est l’activité
du cicerone, du guide qui organise le voyage, la visite,
et commente ce qu’il y a à voir. L’ἔκφρασις n’est
donc jamais seule : c’est un espace multiple et virtuel, une
promenade mentale de tableau en tableau.
Pour résumer, nous
pouvons définir l’ἔκφρασις à partir d’une triple
polarité, poétique, performative et géographique : procédant
d’une poétique du catalogue, elle va vers la dissémination des
objets, mais elle poursuit dans le même temps un objectif de
totalisation du monde ;
se déployant comme performance orale, elle décrit ce qu’elle a
sous les yeux, mais elle entend dans le même temps se substituer à
l’objet décrit, suppléer l’image par l’évidence de la
parole, l’enargeia ;
organisant enfin un parcours dans l’espace, elle inscrit les objets
dans ce parcours, elle leur assigne une place, et dans le même temps
elle tend à s’abolir dans l’espace qu’elle suscite, à effacer
la frontière entre l’espace de l’énonciation (la réalité
depuis laquelle l’auteur parle) et l’espace de la représentation
(les objets, les tableaux qu’il décrit).
Niveaux
|
Distanciation
|
Abolition de la distance
|
Poétique
|
Dissémination des
objets
|
Totalisation du
catalogue
|
Performatif
|
Description à
distance de l’objet
|
Enargeia
immédiate de l’objet
|
Géographique
|
Organisation d’un
parcours
|
On est dans les
objets
|
Dispositif de l’ἔκφρασις
 Hubert Robert, Ruines d'un temple bâti à Athènes, 1783, huile sur toile, 129x182,5 cm, Saint-Petersbourg, Ermitage Tous ces éléments se
retrouvent dans les Salons. Diderot est par exemple très
sensible au danger de la dissémination. Face aux Ruines d’Hubert
Robert, dans le Salon de 1767, il fait par exemple remarquer :
« Plus on détaille, plus l’image
qu’on présente à l’esprit des autres diffère de celle qui est
sur la toile. D’abord l’étendue que notre imagination donne aux
objets est toujours proportionnée à l’énumération des parties.
Il y a un moyen sûr de faire prendre à celui qui nous écoute, un
puceron pour un éléphant. Il ne s’agit que de pousser à l’excès
l’anatomie circonstanciée de l’atome vivant. Une habitude
mécanique très naturelle, surtout aux bons esprits, c’est de
chercher à mettre de la clarté dans leurs idées ; en sorte
qu’ils exagèrent et que le point dans leur esprit est un peu plus
gros que le point décrit, sans quoi ils ne l’apercevraient pas
plus au-dedans d’eux-mêmes qu’au-dehors. Le détail dans une
description produit à peu près le même effet que la trituration.
Un corps remplit dix fois, cent fois moins d’espace ou de volume en
masse qu’en molécules. M de Réaumur ne s’en est pas douté ;
mais faites-vous lire quelques pages de son traité des insectes, et
vous y démêlerez le même ridicule qu’à mes descriptions. »
(Hubert Robert, Petite, très petite ruine,
p. 704.)
Bien sûr, ce risque
de l’effacement de l’image dans la multitude des détails peut
être ramené aux caractéristiques rhétoriques de l’ἔκφρασις,
et à cette dangereuse tendance à l’exhaustivité que porte son
préfixe ἔκ-. Mais on voit bien que les références de Diderot
sont tout autres : c’est à la description scientifique qu’il
songe, et à son expérience d’encyclopédiste qui rivalisa avec
Réaumur, notamment pour la confection des planches. Il ne s’agit
pas là d’un exercice de distinction aristocratique et de
discrimination du goût par le raffinement de la parole, mais d’une
gageure de la raison pour le savant anatomiste : l’anatomie
physiologique a remplacé le catalogue homérique ; le rapport
des parties au tout n’est plus symbolique (représenter un monde
dans le bouclier d’Achille), mais technique (rendre compte,
ponctuellement, d’un atome, d’un insecte par leurs parties). Le
processus de la description est comparé à celui de la trituration
du chimiste : il déplace la polarité poétique de la
description diderotienne du côté du grand enjeu scientifique auquel
son matérialisme est confronté ; d’un côté, le modèle
mécaniste, qui réduit le tout en ses parties par trituration ;
de l’autre, le modèle chimique, qui amalgame les parties,
déclenche la fermentation et fait émerger de nouvelles substances,
de nouvelles logiques, de nouvelles énergies.
On est très loin, ici, de la rhétorique.
De la même façon, la
question de l’enargeia paraît omniprésente dans les
Salons, même si ni le mot grec, ni son équivalent latin
l’evidentia, ni Quintilien qui en est la référence obligée
n’apparaissent jamais dans les textes. Il faut que la description
se donne à voir comme évidence immédiate et sensible ; elle
est une performance réussie à ce prix :
« Je suppose qu’en commençant la
longue et minutieuse description de sa figure, le poète en ait
l’ensemble dans sa tête ; comment me fera-t-il passer cet
ensemble ? S’il me parle des cheveux, je les vois ; s’il
me parle du front, je le vois, mais ce front ne va plus avec ces
cheveux que j’ai vus. S’il me parle des sourcils, du nez, de la
bouche, des joues, du menton, du cou, de la gorge, je les vois ; mais
chacune de ces parties qui me sont successivement indiquées, ne
s’accordant plus avec l’ensemble des précédentes, il me force
soit à n’avoir dans mon imagination qu’une figure incorrecte,
soit à retoucher ma figure à chaque nouveau trait qu’il
m’annonce. Un trait seul, un grand trait, abandonnez le reste à
mon imagination ; voilà le vrai goût, voilà le grand goût. »
(Salon de 1767, digression à partir du Jésus Christ de
Renou, p. 779-780.)
Il s’agit bien là d’une performance :
l’efficacité magique de la parole du poète fait voir
littéralement au spectateur les objets qu’il décrit. Mais cet
effet d’enargeia est un
leurre : l’efficacité rhétorique de la parole ne donne à
voir que des pièces et des morceaux ; des sourcils, un nez, une
bouche, mais jamais la totalité, la cohérence d’une figure. Pour
que le spectateur imagine cette totalité, cette cohérence, le poète
ne doit pas tout décrire, mais au contraire, laisser la plus grande
partie dans l’ombre pour ne sélectionner qu’« un trait
seul, un grand trait ». Diderot ne convoque donc qu’en
apparence le modèle de la performance rhétorique. Ce qu’il met en
place en fait, c’est un dispositif fondé sur l’interposition
d’un écran : l’écran cache l’essentiel des détails et
ne laisse voir qu’un trait, à partir duquel toute la scène se
donne à imaginer. Ce dispositif n’est pas celui de l’ἔκφρασις ;
c’est le dispositif théâtral de la scène, avec son rideau et ses
coulisses. Ce trait qu’il faut dégager pour occulter tout le reste
ne relève pas d’une technique de la description ; c’est le
trait de génie propre à toute activité créatrice, c’est l’idée
même du poète, qui place Diderot descripteur sur le même plan que
le peintre créant sa toile, que le poète créant le sujet dont le
peintre va s’inspirer.
 Claude Joseph Vernet, Les Occupations du rivage, 1766, huile sur toile, 49x39 cm, collection particulière, Paris. Ce tableau correspondrait au 4e site de la Promenade Vernet. La troisième
dimension, géographique, de l’ἔκφρασις, semble également
se retrouver dans les Salons,
lorsque Diderot prétend se promener dans les paysages peints par
Leprince
ou par Vernet,
ou mieux lorsqu’il substitue à la description des Vernet du Salon
de 1767 une Promenade Vernet où les tableaux sont remplacés par des
sites réels au milieu desquels ils s’installe dans une promenade
fictive, inversant les rapports du réel et du représenté.
Le procédé est très concerté de la part de Diderot, comme
l’indique le préambule de l’article Robert
du Salon de 1767, où,
après un « écart sur les voyageurs et les voyages »,
Diderot raconte comment il a procédé :
« Comme
ces ruines sont en grand nombre, mon dessein était de les enchâsser
dans un cadre qui palliât la monotonie des descriptions, de les
supposer existantes en quelque contrée, en Italie, par exemple, et
d’en faire un supplément à M. l’abbé Richard. Pour cet effet,
il fallait lire son Voyage d’Italie ;
je l’ai lu, sans pouvoir y glaner une misérable ligne qui me
servît ; de dépit j’ai dit : Ô la belle chose que les
voyages ! » (p. 695)
L’abbé Richard
avait écrit une Description historique et critique de
l’Italie,
dont le titre évoquait au public cultivé la Description
de la Grèce de Pausanias,
un réservoir d’ἐκφράσεις connu de Diderot :
la revue des villes de la Grèce, comme des villes d’Italie, passe
par l’évocation de leurs
monuments et, de là, par l’ἔκφρασις des œuvres d’arts
remarquables qui s’y trouvent. Cette ἔκφρασις n’est pas
conçue comme une simple description ressemblante, mais tout à la
fois comme le récit d’une légende locale, comme l’éloge d’un
monument remarquable et comme l’inscription de ce monument dans un
parcours des lieux. L’abbé Richard s’inscrit dans cette
tradition lorsqu’il écrit, dans son Discours préliminaire :
« Quelle est la description, quelque circonstanciée qu’elle
soit, qui affectera son lecteur d’une manière aussi vive que le
peut faire un beau tableau ; qui renouvelle tout d’un coup
dans l’esprit du spectateur, la plus belle suite d’idées qui
éléve l’ame, & qui met devant les yeux dans le même instant,
le sublime de la poësie & celui de la peinture. On croit
voir l’impétueux Achille abusant des droits de la victoire,
insultant à l’humanité & à la valeur, lorsqu’il traîne
attaché à son char, le corps d’Hector, qu’il a tué plutôt
pour venger la mort de son ami Patrocle que pour servir la cause des
Grecs : on voit d’un même coup d’œil tout ce qui a précédé
& suivi cet événement de l’histoire ancienne de Gréce ;
on prend une idée plus vraie du héros ; on le connaît mieux
par la lecture du vingt-deuxième livre de l’Iliade en considérant
le grand tableau de Solimeni,
qui est à Gênes au palais Durazzo. » (Abbé Richard,
Description de l’Italie,
Discours préliminaire, p. lxxvii-lxxviii)
La description doit
déboucher sur la visite réelle des lieux, dont elle ne peut donner
qu’un avant goût : l’effet magique de la performance (« On
croit voir… ») se résout dans l’effet de réel que produit
la localisation du tableau (« qui est à Gênes au palais
Durazzo »). La performance ne se consiste pas dans une
description précise des parties du tableau, mais dans l’évocation
synthétique d’une histoire : « on voit d’un même
coup d’œil tout ce qui a précédé & suivi cet événement de
l’histoire ancienne de Gréce ». L’impression qu’il
s’agit de produire chez le spectateur est d’ailleurs du même
ordre narratif : c’est « la plus belle suite d’idées
qui éléve l’ame ».
Diderot projette
exactement le contraire : les Ruines
de Robert, il s’agit de « les enchâsser dans un cadre qui
palliât la monotonie des descriptions ». Récupéré chez
Richard, ce cadre, ce voyage d’Italie, deviendrait fictif :
c’est la fictionalisation des descriptions qui peut seule en
pallier la monotonie, en restaurer l’intérêt. Ce mouvement de
fictionalisation, qui s’opère progressivement dans les Salons,
fait glisser la description de la sphère rhétorique de l’
ἔκφρασις vers la sphère romanesque où la description
deviendra un genre du récit. Pastorales de Leprince, Promenade
Vernet, Ruines de Robert : d’une manière caractéristique, la
fictionalisation ne touche que les peintures de paysage, alors que
l’ἔκφρασις concerne au premier chef la peinture
d’histoire, et dans la peinture d’histoire d’abord les sujets
homériques. Diderot s’empare de la description dans un moment de
profonde mutation : il hérite d’un système où la
description tourne autour d’une idée poétique, et il lègue une
pratique d’investissement du paysage, sans que ni la dimension
poétique, ni la dimension géographique de ses descriptions puissent
être ramenées de façon certaine, ni directe à l’ἔκφρασις
.
La refondation classique de la description comme
catégorie logique
Entre la performance
rhétorique de l’ἔκφρασις, qui influence peut-être
Diderot mais à son insu, et la catégorie narratologique de la
description, dont la tendance fictionalisante de certaines
descriptions de Paysages préfigure l’émergence, il faut
s’arrêter sur ce qui constitue de façon beaucoup plus consistante
le modèle de la description pour Diderot : c’est la pratique
scientifique à laquelle il a été confronté comme directeur de
l’Encyclopédie.
L’article Description
de l’Encyclopédie indique d’emblée, par sa disposition,
le trajet qu’opère la modélisation dans le champ des
connaissances. Il se compose en effet d’abord de deux rubriques
phares, la description en Histoire naturelle, par Daubenton, et la
description en Géométrie, par D’Alembert. La description en
belles lettres ne vient qu’en troisième position ; elle
s’ouvre avec un premier développement par l’abbé Mallet,
théologien,
complété d’une « Addition de M. le Chevalier de Jaucourt »,
addition tellement stratégique qu’on peut imaginer que Diderot la
lui a commandée. Mallet (plus de mille articles) et Jaucourt (près
de 18000 articles) sont les petites mains de l’Encyclopédie ;
Daubenton
et D’Alembert, codirecteur de l’Encyclopédie, sont des
signatures de premier ordre.
 Encyclopédie, tome XXIII, Histoire naturelle, règne animal, planche 85, « La Puce vue au microscope », gravure de Benard d'après un dessin de Martinet
L’histoire naturelle
est donc le champ originaire à partir duquel la description doit
être pensée. On se souvient de l’allusion de Diderot à Réaumur
décrivant les insectes dans l’article Robert du Salon de 1767
(p. 704). Daubenton insiste sur l’enjeu méthodologique de la
description, dont la fonction est d’amener à la compréhension de
l’objet décrit
« Description, s.
f. (Hist. nat.) Décrire les différentes productions de la
nature, c’est tracer leur portrait, & en faire un tableau qui
les représente, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, sous
des faces & dans des états différens. Les descriptions
n’auroient point de limites, si on les étendoit indistinctement à
tous les êtres de la nature, à toutes les variétés de leurs
formes, & à tous les détails de leur conformation ou de leur
organisation. Un livre qui contiendroit tant & de si longues
descriptions, loin de nous donner des idées claires & distinctes
des corps qui couvrent la terre & de ceux qui la composent, ne
présenteroit à l’esprit que des figures informes &
gigantesques dispersées sans ordre & tracées sans proportion :
les plus grands efforts de l’imagination ne suffiroient pas pour
les appercevoir, & l’attention la plus profonde n’y feroit
concevoir aucun arrangement. Tel seroit un tas énorme & confus
formé par les débris d’une multitude de machines ; on n’y
reconnoîtroit que des parties détachées, sans en voir les rapports
& l’assemblage. […] Quelque perfection que l’on puisse
donner à une description, ce n’est qu’une peinture vaine
& le sujet d’une curiosité frivole, si on ne se propose un
objet plus réel pour l’avancement de nos vraies connoissances en
Histoire naturelle. Lorsqu’on décrit un être, il faut observer
les rapports qu’il a avec les autres êtres de la nature ; ce
n’est qu’en les comparant ainsi que l’on peut découvrir les
ressemblances & les différences qui se trouvent entr’eux, &
établir une suite de faits qui donne des connoissances générales.
Dans cette vûe, les descriptions doivent être faites sur un
plan suivi […] » (Encyclopédie, tome IV, p. 878)
Ce qui menace la
description, ce n’est pas ici la dissémination des objets :
c’est d’abord l’informe. La description a tendance à
proliférer. Contrairement à l’ἔκφρασις, la description
du naturaliste ne part pas d’un objet constitué ; elle
constitue son objet, qui est d’abord comparé à un portrait, un
tableau, puis dénoncé comme « une peinture vaine »,
avant d’être légitimé comme objet réel (« un objet plus
réel pour l’avancement de nos vraies connaissances en Histoire
naturelle »).
Le tableau ne préexiste
pas à la description ; c’est elle qui, à partir de l’informe
(« des figures informes et gigantesques dispersées sans ordre
et tracées sans proportion »), à partir d’un matériau que
Daubenton caractérise comme « tas », comme « débris »,
va « tracer », « représenter », « proposer »
un tableau.
La description est un
acte créateur de la raison : c’est elle qui conçoit le
tableau, l’idée du tableau, à partir d ela dissémination
insignifiante du réel. La mise en tableau, la modélisation
picturale définit le premier moment logique de la description. Mais
ce moment est dans un second temps dénoncé par Daubenton : le
savant ne saurait se contenter d’une description esthétiquement
parfaite ; il manque son objet s’il ne produit « qu’une
peinture vaine et le sujet d’une curiosité frivole ». La
description est heuristique : de la description d’un objet, on
passe alors au progrès des connaissances, qui se fait par
l’établissement de « rapports » et le jeu des
comparaisons.
Ainsi, la description
apparaît-elle prise entre deux tendances contradictoires : d’un
côté sa tendance à la prolifération (« les descriptions
n’auraient point de limite, si… ») met en évidence une
pratique primitive de la pensée qui se déploie à la manière du
polype, pratique dont nous savons par ailleurs combien elle fascinait
et inspirait Diderot ;
d’un autre côté, la prolifération polypienne, informe, de la
description est contrebalancée par la formalisation du tableau, la
recherche de l’idée claire et distincte, la mise en évidence des
rapports et de l’assemblage, l’observance d’un plan suivi.
L’établissement d’une méthode descriptive repose sur cette
recherche de l’idée, des rapports, des principes d’organisation.
Dans l’Encyclopédie,
le grand article esthétique de Diderot est l’article
Composition ;
dans les Salons, sa préoccupation constante va vers l’idée
du tableau, qu’il identifie à la « distribution des
figures » qui le composent,
mais aussi vers la perception de l’espace global du Salon,
assemblé, ordonné par le tapissier Chardin.
 Encyclopédie, tome XXII, Mathématiques, Sections coniques, planche 2, Paraboles, Hyperboles, Ellipses, cônes, gravure de Benard d'après un dessin de Goussier
Quand on passe à la
Description en géométrie, il semble qu’on ait affaire à tout
autre chose, à une acception technique, spécifique,
intransportable, du terme :
Description, terme de
Géométrie, est l’action de tracer une ligne, une surface, &c.
Décrire un cercle, une ellipse, une parabole, &c. c’est
construire ou tracer ces figures. On décrit les courbes en
Géométrie de deux manieres, ou par un mouvement continu, ou par
plusieurs points. On les décrit par un mouvement continu lorsqu’un
point qu’on fait mouvoir suivant une certaine loi, trace de suite &
immédiatement tous les points de la courbe. C’est ainsi qu’on
trace un cercle par le moyen de la pointe d’un compas […]. La
description par plusieurs points est plus simple, & revient au
même dans la pratique. On trouve par des opérations géométriques
différens points de la courbe assez près les uns des autres ;
on y joint ces points par de petites lignes droites à vûe d’œil,
& l’assemblage de ces petites lignes forme sensiblement &
suffisamment pour la pratique la courbe que l’on veut tracer. (O)
La description géométrique est une création de
figures. Décrire une figure, en géométrie, c’ets la réaliser.
La description est alors l’opération par excellence de cette
création, et ne correspond donc en rien à une opération seconde,
critique, sur une figure déjà faite. Mais c’est précisément
l’apprente gageure à laquelle Diderot se confronte, lorsqu’il
entend recréer les œuvres à partir dfe leur sujet, concurremment
au travail des artistes. Dessiner virtuellement la scène à partir
du sujet, de l’idée qu’elle représente en peinture, c’est
dessiner la courbe « suivant une certaine loi » qui, en
géométrie, sera la, loi, la formule, l’idée de cette courbe.
D’Alembert distingue deux méthodes de
description, le « mouvement continu » et la méthode par
points. De la même façon, dans les Salons,
Diderot sera toujours pris entre l’effet, synthétique et global,
la cohérence de l’idée et l’effet particulier, fragmentaire
d’une figure, d’une expression, d’un geste. La tension dans
l’œuvre d’art entre la composition et les figures, ou entre la
masse et les groupes,
est la même tension qu’entre la courbe et les points, entre la loi
géométrique d’ensemble et les opérations, les approximations
ponctuelles.
 François Boucher, illustration pour le Tartuffe de Molière, dessin gravé par Laurent Cars, in Œuvres de Molière, nelle édition, Paris, 1734
Elle prépare
d’autre part une distinction décisive dans la troisième rubrique
de l’article Description,
consacrée aux Belles lettres : la description,
circonstancielle, superficielle, approximative, découle de la
description géométrique par plusieurs points, et est opposée à la
définition, qui, ramenée à un seul point, essentiel, substantiel,
hérite du caractère heuristique de
la description scientifique. Une rupture profonde est alors
introduite, qui pose la déficience fondamentale de la description,
son irrémissible imperfection :
Description,
(Belles-Lettres.) définition imparfaite
& peu exacte, dans laquelle on tâche de faire connoître une
chose par quelques propriétés & circonstances qui lui sont
particulieres, suffisantes pour en donner une idée & la faire
distinguer des autres, mais qui ne developpent point sa nature &
son essence. Les Grammairiens se
contentent de descriptions ; les Philosophes veulent des
définitions. Voyez Définition. Une description est l’énumération
des attributs d’une chose, dont plusieurs sont accidentels, comme
lorsqu’on décrit une personne par ses actions, ses paroles, ses
écrits, ses charges, &c. Une description au premier coup
d’œil a l’air d’une définition ; elle est même
convertible avec la chose décrite, mais elle ne la fait pas
connoître à fond, parce qu’elle n’en renferme pas ou n’en
expose pas les attributs essentiels.
Par exemple, si l’on dit que Damon est un jeune homme bien fait,
qui porte ses cheveux,
qui a un habit noir, qui fréquente bonne compagnie, & fait sa
cour à tel ou tel ministre ; il est évident qu’on ne fait
point connoître Damon, puisque les choses par lesquelles on le
designe lui sont extérieures & accidentelles, jeune,
cheveux, habit noir, fréquenter, faire
sa cour, qui ne designent point le caractere d’une personne.
Une description n’est donc pas proprement une réponse à la
question quid est, qu’est il ? mais à celle-ci, quis
est, qui est-il ? (Encyclopédie, tome IV, p. 878.)
À la définition logique, philosophique,
scientifique, s’oppose l’approximation de la description
littéraire, qui demeure à la surface, à l’apparence des choses
sans rendre compte de leur nature et de leur essence. Cette
opposition marque une rupture par rapport aux deux rubriques
précédentes, qui présupposaient au contraire l’exactitude
scientifique de la description du naturaliste, visant à dégager des
« idées claires et distinctes », à établir « les
rapports et l’assemblage », et l’identité mathématique de
la figure en géométrie et de sa description.
La description scientifique est une définition,
et la description littéraire se constitue, par rapport à ce modèle,
comme une dégradation, une corruption. L’exemple que donne l’abbé
Mallet est significatif : c’est le portrait de Damon, ce jeune
homme avenant au maintien modeste, portant l’habit noir sans
perruque des dévots, qui prépare habilement la satisfaction de ses
ambitions ; il a les bonnes fréquentations, il s’est choisi
un protecteur, il sait où il va.
Le portrait de Damon pourrait figurer dans Les
Caractères de La Bruyère. Il
nous indique quel est l’horizon d’attente du lecteur des Lumières
en matière de description : ce n’est pas l’ἔκφρασις ;
c’est la littérature morale, avec ses portraits. La description de
Damon ne dévoile jamais explicitement, substantiellement, qui est
Damon, l’essence de son caractère (quis est) :
un faux dévot, un Tartuffe. L’abbé Mallet choisit à dessein un
exemple où l’apparence contredit violemment la nature et l’essence
du caractère. Mais cette contradiction n’est révélée
qu’implicitement ; il appartient au lecteur de la déduire de
l’énumération des attributs, des qualités de Damon (quid
est).
Cette énumération
n’est pas pour autant conçue comme un catalogue, ni même comme
une dissémination des parties. Elle s’inscrit plutôt dans un
système de différences, dans une taxinomie des caractères qui
permettent de les singulariser :
En effet, les
descriptions servent principalement à faire connoître les
singuliers ou individus ; car les sujets de la même espece ne
different point par leurs essences, mais seulement comme hic &
ille, & cette différence n’a rien qui les fasse
suffisamment remarquer ou distinguer. Mais les individus d’une même
espece different beaucoup par les accidens : par exemple,
Alexandre étoit un fléau, Socrate un sage,
Auguste un politique, Titus un juste. Une description est donc
proprement la réunion des accidens par lesquels une chose se
distingue aisément d’une autre, quoiqu’elle n’en differe que
peu ou point par sa nature. Voyez Accident, Mode, &c. (Suite du
précédent)
La pluralité des accidents est un leurre :
dans les exemples, chaque personnage se voit attribuer un prédicat,
c’est-à-dire de fait un trait définitoire qui va lui donner son
expression : la description des caractères est ainsi ramenée à
un système général d’expression des passions. Derrière
Alexandre, Socrate, Auguste, Titus, nous retrouvons la même nature
de l’homme qu’à chaque fois une réunion d’accidents
différencie. Nous sommes tout proches de la conception classique de
la composition picturale, développée par Poussin et par Le Brun,
pour qui le tableau ne représente pas à proprement parler un
événement, mais la répercussion de cet événement sur ses
protagonistes et ses spectateurs et, dans cette répercussion,
l’expression circonstancielle de la variété des réactions des
personnages, de la différence dans l’expression des passions.
Cependant, le vocabulaire de Mallet n’est ni
celui de la peinture, ni même celui des moralistes. C’est le
vocabulaire scolastique : à l’essence, que vise la
définition, s’opposent les accidents et les modes, autant de
catégories logiques étrangères tant aux artistes qu’à la
réflexion esthétique.
Aussitôt, une machinerie, une technologie de la
description se profile : c’est la gestion rhétorique des
modes et des accidents, qui n’a rien à voir avec la performance
rhétorique de l’ἔκφρασις.
La figure est la forme de cette machinerie :
La description est la figure
favorite des Orateurs & des Poëtes, & on en distingue de
diverses sortes : 1°. celle des choses, comme d’un combat,
d’un incendie, d’une contagion, d’un naufrage : 2°. celle
des tems qu’on nomme autrement chronographie, voyez
Chronographie : 3°. celle des lieux qu’on appelle aussi
topographie, voyez Topographie : 4°. celle des personnes
ou des caracteres que nous nommons portrait, voyez Portrait.
Les descriptions des choses doivent présenter des images qui
rendent les objets comme présens ; telle est celle que Boileau
fait de la mollesse dans le lutrin :
La mollesse
oppressée Dans sa bouche à ce
mot sent sa langue glacée, Et lasse de parler,
succombant sous l’effort, Soupire, étend les bras, ferme l’œil
& s’endort.
(G)
(Suite du précédent.)
Cette fois, ce qui correspond à notre
compréhension moderne de la description, comme « description
des choses », apparaît bien en première position, même si
l’exemple que donne l’abbé Mallet relève encore une fois, sous
une forme allégorique cette fois, du portrait. Cependant, sous les
catégories quelque peu hétéroclites de chronographie,
topographie et portrait, la description rassemble bien et continue de
mobiliser la totalité d’une culture : l’histoire, la
géographie et la morale. La description de chose, dans cette
culture, ne définit pas un territoire à part. Elle est ce à partir
de quoi chronographie, topographie et portrait seront mobilisés.
En choisissant la Mollesse du Lutrin comme
exemple de description, Mallet laisse transparaître son dédain pour
une ornementation futile du discours : la description chez les
Orateurs et mes Poètes, c’est ce qui fait bâiller…
De l’effet de la description, il retient seulement
qu’elle « rend les objets comme présents » :
c’est la définition de l’hypotypose, dont Dumarsais écrit
qu’elle est à peine une figure tant elle est simple.
Au fond, la description
littéraire n’émerge pas, à ce stade de l’article, comme une
catégorie positive dont l’effet serait susceptible d’être
caractérisé différentiellement. On peut penser que Diderot est
intervenu auprès de Jaucourt pour rectifier le tir.
Le plaisir de la description (Jaucourt)
 Francis Hayman, La Tentation, 1749, gravure pour The Paradise lost de Milton, Ondres, Tonson et Draper. La description littéraire n’est pas une simple
mauvaise définition et ne se réduit pas à l’amplification banale
de l’hypotypose. Jaucourt va introduire une dimension inédite de
la description, la dimension du plaisir, au fondement de ce qui est
en train de se créer, dans toute l’Europe, comme champ autonome,
nouveau, de l’esthétique :
Mais d’où vient que dans toutes les
descriptions qui peignent bien les objets, qui par de justes
images les rendent comme présens, non-seulement ce qui est grand,
extraordinaire, ou beau, mais même ce qui est desagréable à voir,
nous plaît si fort ?
c’est que les plaisirs de l’imagination sont extrèmement
étendus. Le principe de ce plaisir semble être une action de
l’esprit qui compare les idées que les mots font naître avec
celles qui lui viennent de la présence même des objets. Voilà
pourquoi la description d’un fumier peut plaire à
l’entendement par l’exactitude & la propriété des mots qui
servent à le dépeindre.
Mais la description des belles choses plaît infiniment
davantage, parce que ce n’est pas la seule comparaison de la
peinture avec l’original qui nous séduit, mais nous sommes aussi
ravis de l’original même. La plûpart des hommes aiment mieux la
description que Milton fait du paradis, que celle qu’il
donne de l’enfer, parce que dans l’une, le feu & le souffre
ne satisfont pas l’imagination, comme le font les parterres de
fleurs & les bocages odoriférans :
peut-être néanmoins que les deux peintures sont également
parfaites dans leur genre. (Suite du précédent.)
Rendre présents les objets, ce n’est pas
seulement donner l’illusion qu’il n’y a pas de rhétorique, que
les mots s’effacent devant les choses. Le processus qui rend
présents les objets les transforme radicalement, en faisant des
objets réels des objets esthétiques. Cette transformation est
encore une moralisation, qui renverse « ce qui est désagréable
à voir » en « plaisir de l’imagination »,
et introduit, dans ce plaisir, une gradation morale, exemplifiée ici
par le passage de la trivialité abjecte, profane, du fumier, qui est
en même temps, implicitement, une référence biblique au fumier de
Job,
à l’Enfer de Milton, vision horrible mais inscrite dans un dessein
théologique, et de là au Paradis, vision céleste.
Il n’y a pas encore, à ce stade de l’article,
d’esthétisme amoral de la description, que Jaucourt définit comme
un travail de l’esprit établissant des rapports :
rapportexterne entre l’agencement des mots et l’agencement des
choses (« une action de l’esprit qui compare les idées que
les mots font naître avec celles qui lui viennent de la présence
même des objets ») ; rapport interne des images, des
sensations excitées, sollicitées dans l’imagination.
On revient ici aux exigences posées par
Daubenton : ce qui conjure la difformité des figures, c’est
la recherche d’un système de rapports. Mais ces rapports, ce n’est
plus dans l’objet ; c’est dans l’imagination même, dans
l’intimité secrète du lecteur, du spectateur qu’ils
s’établissent :
Cependant une des plus grandes beautés
de l’art des descriptions, est de représenter des objets
capables d’exciter une secrette émotion dans l’esprit du
lecteur, & de mettre en jeu ses passions ; & ce qu’il
y a de singulier, c’est que les mêmes passions qui nous sont
desagréables en tout autre tems, nous plaisent lorsque de belles &
vives descriptions les élevent dans nos cœurs ; il arrive que
nous aimons à être épouvantés ou affligés par une description,
quoique nous sentions tant d’inquiétude dans la crainte & la
douleur qui nous viennent d’une tout autre cause. Nous regardons,
par exemple, les terreurs qu’une description nous imprime
avec la même curiosité & le même plaisir que nous trouvons à
contempler un monstre mort : plus son aspect est effrayant, plus
nous goûtons de plaisir à n’avoir rien à craindre de ses
insultes. Ainsi lorsque nous lisons dans quelque histoire des
descriptions de blessures, de morts, de tourmens, le plaisir
que ces descriptions font en nous, ne naît pas seulement de
la douleur qu’elles causent, mais encore d’une secrette
comparaison que nous faisons de n’être pas dans le même cas.
(Suite du précédent.)
La description devient un système d’action et
de réaction, une répercussion chimique d’affects. Au départ de
la description, on ne pose plus un objet figurable, mais un monstre ;
non plus un combat, un incendie, un naufrage (qui supposent le récit
d’un événement), mais un monstre mort, des blessures, des morts,
des tourments : des images d’horreur, une expérience de
l’abjection, un affect désagréable qui, par réaction, va
déclencher du plaisir.
Cette fois, le processus de moralisation est
abandonné. Jaucourt avait déjà suggéré que, de l’Enfer et du
Paradis de Milton, « les deux peintures sont également
parfaites dans leur genre ». Mais la secrète émotion qui
définit le plaisir esthétique de la description ne s’accorde plus
même désormais à cette égalité. Il faut commencer par la terreur
pour aller vers la pitié ; commencer par l’indicible de
l’horreur, poser qu’on est absent de cette horreur là,
s’abstraire d’elle, la dominer dans, par la description de ses
effets, pour, dans un renversement complet de ce réel posé comme
origine absente de la représentation, établir le plaisir
descriptif.
La description naît ici du renversement de
l’hypotypose, dont elle prend le contrepied : processus de
défiguration, elle ne rend pas présente, mais absente la chose ;
elle ne fait pas défaut comme définition imparfaite, mais fait
tableau comme reprise en main de la chose, comme moment de maîtrise
synesthésique ; elle ne raconte pas une action mais déclenche
des réactions et, par ce déclenchement, suscite le plaisir.
L’absence de la chose, le processus d’action
et de réaction qui conduit à « faire tableau », le
renversement de l’horreur en plaisir mobilisent ici un troisième
modèle qui n’est ni celui rhétorique de l’ἔκφρασις, ni
celui, scientifique, de la description raisonnée. C’est le modèle
de la scène théâtrale, dont l’hypotypose constitue le
renversement textuel, le raccord rhétorique.
La scène, c’est d’abord un lieu de
représentation, un site :
Comme l’imagination peut se représenter
à elle-même des choses plus grandes, plus extraordinaires, &
plus belles que celles que la nature offre ordinairement aux yeux, il
est permis, il est digne d’un grand maître de rassembler dans ses
descriptions toutes les beautés possibles.
Il n’en coûte pas davantage de former une perspective très-vaste,
qu’une perspective qui seroit fort bornée ; de peindre tout
ce qui peut faire un beau paysage champêtre, la solitude des
rochers, la fraîcheur des forêts, la limpidité des eaux, leur doux
murmure, la verdure & la fermeté du gason, les Sites de
l’Arcadie, que de dépeindre seulement quelques-uns de ces objets.
Il ne faut point les représenter comme le hasard nous les offre tous
les jours, mais comme on s’imagine qu’ils devroient être. Il
faut jetter dans l’ame l’illusion & l’enchantement. En un
mot, un auteur, & sur-tout un poëte qui décrit d’après son
imagination, a toute l’œconomie de la nature entre ses mains, &
il peut lui donner les charmes qu’il lui plaît, pourvû qu’il ne
la réforme pas trop, & que pour vouloir exceller, il ne se jette
pas dans l’absurde ; mais le bon goût & le génie l’en
garantiront toûjours. Voyez les réflexions de M.
Adisson sur cette matiere. Addition de M. le Chevalier de
Jaucourt. (Suite et fin de l’article.)
L’exigence du site déborde le cadre rhétorique
de la description d’objet (« une perspective qui serait fort
bornée »). Dans la description, le ressort du plaisir tient à
cet élargissement : il ne s’agit plus « de dépeindre
seulement quelques-uns de ces objets » ; il faut les
intégrer dans un site beaucoup plus vaste, et introduire dans la
représentation de l’extraordinaire, du beau, de l’illusion, de
l’enchantement, des charmes.
Le site apporte aux objets, à la scène
proprement dite, une supplément charmant. Il introduit, au-delà de
ce qui est décrit, l’espace vague d’une promenade pour
l’imagination. Le site n’est pas n’importe quel site : il
est caractérisé génériquement comme « site de l’Arcadie »,
c’est-à-dire comme le cadre d’une Pastorale ou d’une Fête
galante.
Cette caractérisation est très importante car,
une fois de plus, elle montre la différence radicale de ce qui se
définit ici comme description par rapport à l’héritage grec de
l’ἔκφρασις, dont les modèles référentiels sont des
sujets d’histoire, et même plus précisément des sujets
homériques.
Parce qu’elle quitte l’histoire pour le
paysage, la description n’en devient pas pour autant plus
réaliste : Jaucourt y insiste lourdement, il faut embellir la
nature. « Il ne faut point représenter [les objets] comme le
hasard nous les offre tous les jours, mais comme on s’imagine
qu’ils devroient être ». La description est un travail de
création imaginative, qui s’appuie sur le site le plus irréel
possible, le locus amoenus de
la pastorale. L’exigence du Beau sous-tend la logique de
condensation qui est ici à l’œuvre : l’artiste démiurge
doit « rassembler toutes les beautés possibles », il a
« toute l’œconomie de la nature entre ses mains ».
Cette puissance condensatrice de création s’oppose radicalement à
la menace disséminatrice qui pesait sur l’autre description, celle
du naturaliste Daubenton, ou du grammairien Mallet, accumulant les
détails, les attributs, les circonstances. La description ne décrit
plus un objet extérieur à elle-même ;
elle crée cet objet ; ou plutôt elle dispose les objets
qu’elle crée dans l’irréalité magique de son site.
Si la description
exerce désormais une puissance magique de condensation, c’est que,
à la faveur de son déplacement de l’extériorité de l’objet
vers l’intimité virtuelle de l’imagination, elle a cessé d’être
une opération seconde, venant après l’œuvre d’art, ou même
après l’animal, la plante qu’il s’agit de décrire. La
description est la création même, comme en géométrie. Ce qui nous
paraît aujourd’hui un acte génial d’insubordination chez
Diderot, lorsqu’il refait les tableaux qu’il décrit dans les
Salons, s’inscrit en
fait génériquement dans cette conception de la description qui
environnait Diderot, dans la pratique qu’en avait D’Alembert,
dans ce qu’il avait pu lire d’Addison quand il traduisait
Shaftesbury et Pope, dans la synthèse qu’en avait dégagée
Jaucourt, radicalisant Addison par le basculement de son modèle
poétique vers un modèle franchement pictural.
De l’hiéroglyphe à la scène : la Lettre
sur les sourds et muets
Le Prospectus de
l’Encyclopédie est
distribué en novembre 1750, le premier volume paraît
le 28 juin 1751. C’est au milieu de cette effervescence qu’il
faut situer la composition et la publication de la Lettre
sur les sourds et muets, dont la
lettre liminaire date du 20 janvier 1751. Nous remontons donc de
quelques années, puisque l’article Description
est publié dans le volume IV de l’Encyclopédie,
en novembre 1754. Il doit être cependant de rédaction antérieure,
comme l’indique le renvoi à un article Chronographie
qui finalement n’a pas été retenu.
En apparence, le
sujet de la Lettre sur les sourds
n’a rien à voir avec la question de la description. Diderot
commence par reprendre la thèse des grammairiens français selon
laquelle la phrase française
suivrait l’ordre naturel des idées, tandis que le latin serait une
langue à inversions.
Pour le démontrer, il suppose un muet,
obligé de s’exprimer par gestes : l’ordre de ses gestes
sera l’ordre naturel de la pensée. Mais le geste expressif du
sourd-muet révèle tout autre chose : il y a beaucoup moins de
gestes que de mots, le geste éloquent à lui seul signifie toute une
phrase.
Il n’y a donc pas d’ordre naturel de la pensée : la pensée
est simultanée.
La langue a besoin de
la durée pour décrire les idées ; mais elle opère cette
transposition depuis si longtemps que la simultanéité originaire,
naturelle, essentielle, de la pensée est en quelque sorte devenue
inaperçue :
« L’état de l’âme dans un
instant indivisible fut représenté par une foule de termes que la
précision du langage exigea, et qui distribuèrent une impression
totale en parties ; et parce que ces termes se prononçaient
successivement, et ne s’entendaient qu’à mesure qu’ils se
prononçaient, on fut porté à croire que les affections de l’âme
qu’ils représentaient avaient la même succession. Mais il n’en
est rien. Autre chose est l’état de notre âme, autre chose le
compte que nous en rendons, soit à nous-mêmes, soit aux autres,
autre chose la sensation totale et instantanée de cet état, autre
chose l’attention successive et détaillée que nous sommes forcés
d’y donner pour l’analyser, la manifester et nous faire entendre.
Notre âme est un tableau mouvant d’après lequel nous peignons
sans cesse : nous employons bien du temps à le rendre avec
fidélité ; mais il existe en entier et tout à la fois :
l’esprit ne va pas à pas comptés comme l’expression. Le pinceau
n’exécute qu’à la longue ce que l’oeil du peintre embrasse
tout d’un coup. La formation des langues exigeait la
décomposition ; mais voir un objet, le juger beau, éprouver
une sensation agréable, désirer la possession, c’est l’état de
l’âme dans un même instant, ce que le grec et le latin rendent
par un seul mot. Ce mot prononcé, tout est dit, tout est entendu.
Ah ! monsieur, combien notre entendement est modifié par les
signes; et que la diction la plus vive est encore une froide copie de
ce qui s’y passe ! » (p. 29-30)
L’activité de la langue, le génie de la
langue, c’est le génie de la description. La langue rend compte de
l’état de notre âme ; les termes du langage représentent
cet état, ses affections ; ils sont ce par quoi nous peignons à
l’extérieur le tableau intérieur de notre pensée. Nous
retrouvons ici l’éternel problème de la description, lorsqu’elle
est pensée par les grammairiens, ou comme production d’un système
différentiel, d’une taxinomie : la description dissémine la
pensée, elle la détaille, la décompose, la distribue en parties,
elle introduit de la succession dans ce qui était d’emblée total
et simultané.
La discursivité du langage, de l’expression,
dénature l’instantanéité naturelle de la pensée, et affaiblit
l’énergie de cette instantanéité : « mais voir un
objet, le juger beau, éprouver une sensation agréable, désirer la
possession, c’est l’état de l’âme dans un même instant »,
écrit Diderot qui, détaillant les opérations simultanées de
l’esprit face à l’objet, donne de façon prémonitoire le
programme descriptif des Salons :
la description idéale représente d’abord son objet, le donne à
voir donc, puis le critique, le juge, puis déclenche le travail
sensible de l’imagination, enfin provoque le désir d’acheter
l’œuvre, ou de s’en procurer une copie.
Mais ces différents
moments ne constituent pas essentiellement des parties du texte, des
points successifs d’une méthode descriptive : « c’est
l’état de l’âme dans un même instant ». Ce sont des
niveaux d’exercice de la description qui se superposent dans l’âme.
Cette superposition constitue la description en dispositif de
pensée : la description n’est ni une technique rhétorique,
ni une méthode de représentation ; elle est la pensée même,
comprise comme différents niveaux d’action, d’exercice, opérant
simultanément.
L’exercice du langage
a dénaturé, rendu méconnaissable ce dispositif ; seule la
poésie en restitue le mécanisme, ou plutôt l’esprit :
Il faut distinguer dans tout discours en
général la pensée et l’expression ; si la pensée est
rendue avec clarté, pureté et précision, c’en est assez pour la
conversation familière ; joignez à ces qualités le choix des
termes, avec le nombre et l’harmonie de la période, et vous aurez
le style qui convient à la chaire ; mais vous serez encore loin
de la poésie, surtout de la poésie que l’ode et le poème épique
déploient dans leurs descriptions. Il passe alors dans le discours
du poète un esprit qui en meut et vivifie toutes les syllabes.
Qu’est-ce que cet esprit ? J’en ai quelquefois senti la
présence ; mais tout ce que j’en sais, c’est que c’est
lui qui fait que les choses sont dites et représentées tout à la
fois ; que dans le même temps que l’entendement les saisit,
l’âme en est émue, l’imagination les voit, et l’oreille les
entend ; et que le discours n’est plus seulement un
enchaînement de termes énergiques qui exposent la pensée avec
force et noblesse, mais que c’est encore un tissu d’hiéroglyphes
entassés les uns sur les autres qui la peignent. Je pourrais dire en
ce sens que toute poésie est emblématique. Mais l’intelligence de
l’emblème poétique n’est pas donnée à tout le monde. Il faut
être presque en état de le créer pour le sentir fortement. (p. 34)
Clairement Diderot distingue deux pratiques de la
langue : la première est rhétorique, c’est celle de « la
chaire », c’est-à-dire du prédicateur à l’église ;
elle repose sur la propriété des mots, le rythme de la phrase (le
« nombre »), l’harmonie sonore. Mais l’autre
pratique, celle qui doit servir de modèle à la fois pour comprendre
comment fonctionne la pensée et pour jouir de ce fonctionnement, est
la pratique du poète, et notamment du poète dans ses descriptions
(« la poésie que l’ode et le poème épique déploient dans
leurs descriptions »).
Diderot se fait alors lyrique, on pourrait croire
mystique : il évoque un « esprit » qui passe dans
la description poétique et en « vivifie toutes les syllabes »,
sur le modèle de l’adage de saint Paul, « car la lettre tue,
l’Esprit vivifie » (Deuxième épître aux Corinthiens, III,
6). Saint Paul opposait l’ancienne religion juive, fondée sur
l’observance de la lettre, c’est-à-dire des règles et des
rituels que prescrit la Bible, ce qui suppose une étude continue du
texte sacré, à la nouvelle religion chrétienne, fondée sur la
révélation que procure le Saint-Esprit, c’est-à-dire sur la
possibilité, l’espérance d’un accès immédiat, total, global,
à la connaissance de Dieu. Selon saint Paul, la lettre, l’étude
scrupuleuse de la loi juive, tue l’esprit de la foi ; c’est
le Saint-Esprit qui donne la foi chrétienne, d’un coup, par une
révélation qui est une seconde naissance, qui vivifie.
L’opposition que Diderot établit entre une
pratique rhétorique et une pratique poétique du langage, entre une
conception taxinomique et successive de la pensée et une conception
synthétique et synesthésique transpose la division théologique
paulinienne dans une métaphysique de la pensée qui n’a plus rien
de religieux. L’éloquence en chaire, avec ses périodes, ses
règles harmoniques, c’est la lettre ; la description
poétique, « qui fait que les choses sont dites et
représentées tout à la fois », c’est l’esprit. On passe
d’une logique de l’enchaînement (« un enchaînement de
termes énergiques »), à une logique de l’entassement, du
tissu (« un tissu d’hiéroglyphes entassés »),
c’est-à-dire à la superposition et au réseau qui modélisent la
pensée comme dispositif.
Diderot décrit ici très précisément le
basculement du paradigme discursif vers le paradigme pictural :
la pensée, ce n’est pas du langage, c’est de l’image, et même
plus précisément c’est quelque chose qui fait tableau dans
l’esprit, qui se peint comme une peinture. La métaphore de
l’hiéroglyphe fixe ce basculement et propose une formation de
compromis : elle permet de penser la pensée encore comme du
langage, comme un système de signes ; mais ces signes sont des
hiéroglyphes, ou des emblèmes, c’est-à-dire déjà des images,
des images allégoriques. Diderot abandonnera très vite cette
métaphore, absente des Salons :
aller jusqu’au bout du basculement vers l’image suppose
d’abandonner complètement la référence linguistique,
de penser la pensée comme tableau, ou plus précisément comme
scène.
Dès le début de
la Lettre sur les sourds,
le geste sublime apparaît comme l’expression poétique achevée de
cette simultanéité originaire de la pensée :
 Johann Heinrich Füssli, Lady Macbeth somnambule, vers 1781-1784, huile sur toile, 221x160 cm, Paris, Musée du Louvre, RF1970-29
« il
y a des gestes sublimes que toute l’éloquence oratoire ne rendra
jamais. Tel est celui de Macbeth dans la tragédie de Shakespeare. La
somnambule Macbeth s’avance en silence et les yeux fermés sur la
scène, imitant l’action d’une personne qui se lave les mains,
comme si les siennes eussent encore été teintes du sang de son roi
qu’elle avait égorgé il y avait plus de vingt ans. Je ne sais
rien de si pathétique en discours que le silence et le mouvement des
mains de cette femme. Quelle image du remords ! La manière
dont une autre femme annonça la mort à son époux incertain de son
sort, est encore une de ces représentations dont l’énergie du
langage oral n’approche pas. Elle se transporta avec son fils entre
ses bras dans un endroit de la campagne où son mari pouvait
l'apercevoir de la tour où il était enfermé ; et après
s’être fixé le visage pendant quelque temps du côté de la tour,
elle prit une poignée de terre qu’elle répandit en croix sur le
corps de son fils qu’elle avait étendu à ses pieds. Son mari
comprit le signe, et se laissa mourir de faim. On oublie la pensée
la plus sublime ; mais ces traits ne s’effacent point. »
(p. 17-18)
Le geste sublime
décrit d’un trait une situation. Nous trouvons déjà ici les
caractéristiques de la description telles qu’elles se dessineront
plus nettement dans l’addition de Jaucourt à l’article
Description
de l’Encyclopédie :
tout d’abord le silence de la scène, le geste énigmatique du
personnage installent l’absence de la chose ; la description
n’est pas une description d’objet, elle est bien la mise en
évidence d’une dépression, d’un manque que la performance va
suppléer.
Ce vide central
s’inscrit dans un système de répercussions sur lequel il convient
de s’arrêter un moment : dans Macbeth,
au début de l’acte V, la scène s’ouvre entre une dame de
compagnie de lady Macbeth et un médecin, inquiets des troubles du
sommeil qu’éprouve la reine. Lady Macbeth entre en scène en
présence de ces deux témoins privilégiés et sa pantomime de
somnambule est commentée pas à pas par eux. Il n’y a pas de
didascalie : le jeu de l’actrice est en quelque sorte guidé
par ces commentaires mezzo voce
qui répercutent la pantomime. Le meurtre de Duncan par Macbeth
déclenche le remords et le somnambulisme de son épouse, qui à son
tour suscite les réactions de la dame de compagnie et du médecin.
Le geste sublime
s’inscrit donc dans un système de répercussions après
l’événement proprement dit (le meurtre que représente,
indirectement, le geste), mais avant sa traduction discursive (le
dialogue qui commente le geste). Diderot, qui cherche à démontrer
l’instantanéité du geste, du trait, comme symptôme de
l’instantanéité de la pensée, transforme cette
scène du dialogue des témoins en scène solitaire et muette, mais
le second exemple qu’il donne trahit nettement ce système de
répercussions : c’est parce qu’elle a préalablement appris
la mort programmée de son époux que la femme exécute sa pantomime
au pied de la tour où il est enfermé. La pantomime répercute
l’annonce de la mort et engendre elle-même la réaction du
prisonnier, qui se donne la mort.
Dans les deux cas, le
geste sublime ne décrit pas une figure de la mort proprement dite
(le meurtre de Duncan, l’exécution du prisonnier de la tour), mais
une trace des conséquences de cette mort : la tache de sang qui
souille les mains de Macbeth, la poignée de terre qui ensevelira le
prisonnier. Le tableau se cristallise, il émerge comme scène dans
la représentation à partir de ce processus d’action et de
réaction qui ne le définit pas seulement comme image par opposition
au discours éloquent, à la tirade théâtrale, mais aussi comme
réseau en travail, en devenir, comme propagation d’impressions
sensibles dans ce réseau.
Le processus du
supplément d’absence (un geste meublant le vide de la scène)
s’explique par cette propagation qui n’est pas simplement une
répercussion d’informations sur la scène, mais, plus
essentiellement encore, une diffusion d’affects depuis le réel (ce
que la fiction théâtrale suppose comme le réel) sur la scène, et
de la scène dans l’esprit du spectateur. Cette propagation
implique l’appréciation, dans l’espace décrit, d’un lieu de
la pantomime, de la scène proprement dite, et, à la marge de ce
lieu, d’un espace depuis lequel la pantomime est reçue, appréciée,
commentée. C’est parce que la description ne rend pas présents
les objets (comme le veut l’hypotypose), mais crée au contraire
cet absentement, que se constitue ce dédoublement de l’espace
caractéristique de la scène théâtrale : la référence à
l’emblème, à la peinture, à l’image ne doit pas nous tromper ;
elle n’oriente que superficiellement la description scientifique
vers l’ἔκφρασις ;
le dispositif qui se met ici en place est le dispositif de la scène,
que vont perfectionner les réflexions théoriques de Diderot dans
les Entretiens sur le Fils naturel
et le Discours sur la poésie dramatique.
Questions de cours
Qu’est-ce qu’un critique d’art selon
Diderot ? Pourquoi les déteste-t-il ?
Qu’est-ce que l’ut pictura poesis ?
D’où cette formule vient-elle ? Comment Diderot la met-il
en pratique ?
Qu’est-ce
qu’un poète pour Diderot ? Quels sont pour lui les grands
poètes ? Pourquoi les invoque-t-il sans cesse dans les
Salons ?
Quand et dans
quel contexte l’ekphrasis a-t-elle été inventée ?
Quelle est la première ekphrasis et la plus célèbre ?
Définissez les
caractéristiques poétiques, performatives, géographiques de
l’ekphrasis.
De quelle façon
Diderot fictionalise-t-il la description ? Donnez des
exemples.
Quelles sont les
quatre définitions de la description dans l’Encyclopédie
et de qui sont-elles ?
Qu’est-ce que
l’hypotypose ? En quoi la description selon Jaucourt et
selon Diderot s’oppose-t-elle à l’hypotypose ?
Pourquoi y a-t-il
une tendance de la description à la dissémination ? Dans
quels textes ce problème est-il soulevé ? Comment Diderot
renverse-t-il le problème dans la Lettre sur les sourds ?
Qu’est-ce
qu’un hiéroglyphe poétique selon Diderot ?
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