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Pour citer ce texte : Stéphane Lojkine, « Démonter la scène : Diderot et l'expérience des Salons », cours donné à l’université d'Aix-Marseille, sept.-déc. 2015
Démonter la scène : Diderot et l’expérience des Salons
LMDE19 - Littérature et arts - programme 2015
 La Chaste Suzanne, gravure de G. I. Scorodoumov d’après le tableau de Carle Vanloo exposé au Salon de 1765, Vienne, Albertina Museum Rien ne prédisposait Diderot à devenir critique
d’art et lui-même sans doute ne s’est jamais identifié comme
tel. Lorsqu’il commence, en 1759, à rédiger pour la
Correspondance littéraire de
Grimm les comptes rendus des expositions organisées tous les deux
ans par l’Académie royale de peinture et de sculpture, Diderot n’a
quasiment aucune culture artistique : en dehors des sculptures
familières des jardins publics, des Lesueur du couvent des
Chartreux
et des Rubens du Luxembourg,
de quelques estampes achetées ou feuilletées, Diderot ne connaît
l’art que par ouï-dire, et ses chefs-d’œuvre de référence
sont bien souvent les grandes peintures antiques perdues qu’évoquent
Pausanias et Pline plutôt
que les tableaux des collections princières que nous visitons
aujourd’hui dans les musées, mais qui lui étaient alors
inaccessibles.
Ce n’est donc
pas à proprement parler à partir d’une culture ni d’une
expérience esthétiques
que Diderot réagit et s’exprime. Sa culture est avant tout
théâtrale et c’est en homme de théâtre – spectateur
passionné, dramaturge déçu, théoricien visionnaire – qu’il
appréhende la composition,
entre ou refuse d’entrer dans la scène, la rejoue, la réécrit.
La scène est donc le paradigme à partir duquel il reçoit, pense et
restitue dans l’écriture la peinture, même lorsque l’œuvre –
un portrait, un paysage, une nature morte – ne nous paraît pas
aujourd’hui a priori
pouvoir être identifiée à une scène.
Or cette scène
que convoque Diderot et sur laquelle il s’appuie pour déployer,
sinon un discours sur l’art, du moins la parole de ses comptes
rendus, cette scène relève d’un malentendu : donnée
à voir comme
une scène picturale, elle est en fait reçue comme une scène de
théâtre, dans l’illusion d’une équivalence parfaite entre ces
deux modes de représentation (animé ou inanimé, en deux ou en
trois dimensions, parlant ou muet…).
Entre les deux scènes, le fossé se creuse au fur et à mesure que
s’affine la culture proprement artistique de Diderot et que les
voies de la peinture comme de la sculpture s’écartent de celles du
théâtre.
Alors la scène,
qui avait d’abord rendu possible la parole du compte rendu, se
dérobe, se dissémine, se défait devant l’avènement d’un
nouveau paradigme, dont l’œil, et non plus le langage, est
l’opérateur. L’œil de Diderot opère, dans l’œuvre, un
retournement, une révolte,
qui démonte la scène.
Programme des séances
Mercredi 9 septembre
Carle Vanloo, Mlle Clairon en Médée, 1759 (p. 194)
Théâtralité de la
scène. Espace vague, espace restreint.
Les Salons de
l’Académie royale de peinture et de sculpture. Agrément,
Réception.
Mercredi 16 septembre
Carle Vanloo, La
Chaste Suzanne, 1765
(p. 298-300)
La notion d’écran.
Niveaux géométral, scopique et symbolique du dispositif scénique.
L’écriture des
Salons : espace
public, privé, intime. Ekphrasis,
description, jugement.
Mercredi 23 septembre
Conférence de Maddalena Mazzocut-Mis, professeur d'esthétique à l'université de Milan : « Le spectateur entre intérêt et désintérêt esthétique »
Doyen, Le
Miracle des ardents, 1767
(p. 647-661)
Hogarth et la ligne de
beauté. Le technique et l’idéal.
Mercredi 30 septembre
Greuze, La jeune
fille et l’oiseau mort, 1765 (p. 381-384)
Peinture d’histoire
et peinture de genre.
Greuze avec Boucher :
le problème de la vérité en peinture.
Mercredi 14 octobre
Greuze, Septime
Sévère et Caracalla, 1769 (p. 864-868)
La crise de la scène :
fonction du mur, parole paternelle, dispositif de la chambre
Mercredi 21 octobre
Fragonard,
Corésus et Callirhoé,
1765 (p. 423-431)
Le quart de tour
scénique. Modèle théâtral
et modèle platonicien.
Mercredi 4 novembre
Chardin, La
Raie, avant 1728 (p. 265)
La nature morte
au défi de la scène. L’épreuve
du silence.
 Noël Hallé, Minerve conduisant la paix à l'hôtel de ville, 1767, Versailles, Musée national du Château et des Trianons Devoir n°1
à rendre pour le 4 novembre.
Noël Hallé,
Minerve conduisant la paix à l’hôtel de ville,
1767 (p. 535-537)
Sujet n°1
Analysez
le tableau et commentez le compte rendu de Diderot.
Sujet n°2
Diderot,
fatigué d’écrire le Salon,
est allé se promener boulevard du Temple, devant le théâtre de
Nicolet. Là, il a assisté à une parade allégorique et bouffonne.
Le tableau final du spectacle représentait Minerve conduisant la
paix à l’hôtel de ville. Hallé
n’était pas épargné… Imaginez
le récit de Diderot, en vous inspirant de « L’Antre
de Platon » (p. 423-431)
et, pour le jeu des acteurs, du Neveu de Rameau.
Mercredi 18 novembre
Le Prince,
Pastorale russe, 1765
(p. 407-408)
La
place du spectateur.
Mercredi 25 novembre
Vernet, Les
Occupations du rivage, 1767 (4e
site de la Promenade Vernet, p. 605-612)
Le paysage. Action et
activité. Dissémination.
Mercredi 2 décembre
Hubert Robert, Le
Port de Ripetta à Rome, 1767
(p. 707-708)
La poétique des
ruines. Nature et
architecture. Le sublime.
Devoir n°2 à rendre
pour le 2 décembre.
Sujet n°1
Dans Le Spectateur émancipé,
Jacques Rancière écrit : “Ce que l’homme contemple dans le
spectacle est l’activité qui lui a été dérobée, c’est sa
propre essence, devenue étrangère, retournée contre lui,
organisatrice d’un monde collectif dont la réalité est celle de
cette dépossession.” (La Fabrique, 2008, p. 13) Dans quelle
mesure ces propos s’appliquent-ils à la relation que Diderot
développe face à l’œuvre d’art dans les Salons ?
Vous appuierez votre discussion de références précises au texte
des Salons et aux œuvres que Diderot y décrit.
Sujet n°2
Grimm demande à Diderot de rédiger pour
la Correspondance littéraire
un compte rendu de L’Analyse de la beauté
de Hogarth. Diderot s’exécute, mais de mauvaise grâce et avec
beaucoup de retard, sous la forme d’un dialogue qu’il intitule
Paradoxe de l’artiste.
Imaginez ce dialogue que vous situerez en 1767, en vous inspirant du
Paradoxe sur le comédien.
Mercredi 9 décembre
Préparation au partiel
de janvier
Livre au programme
Diderot, Œuvres,
tome IV « Esthétique - Théâtre », Laffont, Bouquins,
1996
Support de cours
Stéphane
Lojkine, L’Œil révolté. Les Salons
de Diderot, J. Chambon, 2007
Le Goût de Diderot. Greuze, Chardin, Falconet,
David, Hazan, 2013
Le Goût de Diderot. Regards croisés sur une
exposition, Scérén, 2013
Documentaire
Diderot au Salon. Vérité, poésie, magie.
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