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 Le Caravage, Narcisse, 1594-1596, huile sur toile, 110x92 cm, Rome, Galerie nationale du Palais Corsini
Pour citer ce texte : Stéphane Lojkine, correction de la dissertation, LMDA06, sujet n°1, novembre 2011
L’autobiographie comme défiguration
Sujet
Dans un article sur
l’autobiographie comme défiguration, Paul de Man écrit : « On
s’accorde à considérer que la vie engendre l’autobiographie,
comme un acte engendre des conséquences ; mais ne peut-on
suggérer tout aussi justement que le projet autobiographique est
aussi susceptible d’engendrer et de déterminer la vie, et que,
quoi que l’auteur fasse, son action est gouvernée par les
exigences techniques de l’autoportrait, et déterminée du coup par
les ressources de son écriture ? »
(Paul de
Man, « Autobiography as De-facement », MNL,
Vol. 94, N° 5, Comparative Literature, déc. 1979,
p. 920)
Analyse du sujet
« L’autobiographie
comme défiguration (de-facement) »
titre de l’article, suppose que Paul de Man part de ce qu’il
considère comme le modèle théorique généralement admis (« on
s’accorde à considérer que », la doxa) :
la fonction de figuration de l’autobiographie. Par
l’autobiographie, l’écrivain se fabrique une figure, se
construit une représentation de soi, produit son portrait.
Paul de Man propose de
déconstruire ce modèle en le renversant (le paradoxe) :
ce n’est pas le projet autobiographique, c’est-à-dire ce qui
dans la vie de l’écrivain le détermine à écrire, qui produit la
figure, le portrait de l’écrivain, ce sont au contraire « les
exigences techniques de l’autoportrait », c’est-à-dire les
contraintes, mais aussi et surtout les « ressources » de
son écriture qui déterminent la vie de l’écrivain, son action.
Autrement dit, il ne s’agit pas de partir de la vie, de l’action
de l’écrivain pour voir ce qui dans cette vie, dans cette action,
cause l’écriture ; il faut au contraire partir de l’écriture,
de ses ressources particulières, c’est-à-dire de ce qui définit
chez cet écrivain, une poétique, pour trouver dans cette poétique
les causes de son action, de sa vie. C’est l’écriture qui
détermine la vie et non la vie qui détermine l’écriture.
D’un côté, donc, la
vie, les actes, l’action de l’écrivain. De l’autre,
l’autobiographie, le projet autobiographique, les exigences
techniques de l’autoportrait, les ressources de l’écriture. Le
premier ensemble renvoie à la vie, mais cette vie est envisagée
sous trois aspects : la vie comme choix (« la vie engendre
l’autobiographie »,), la vie comme cause, c’est-à-dire
comme système de déterminations, ou autrement dit de contraintes
(« un acte engendre des conséquences »), la vie comme
engagement (« son action est gouvernée… »). Le second
ensemble renvoie à l’écriture, elle aussi envisagée sous trois
aspects : l’écriture comme choix, ou comme projet (« le
projet autobiographique »), l’écriture comme système de
contraintes, c’est-à-dire comme genre (« les exigences
techniques de l’autoportrait », autrement dit le genre
autobiographique), l’écriture comme ressource, ou comme moyen de
réagir, de répondre (c’est la dimension de l’engagement).
Paul de Man pose le
problème de l’articulation entre ces deux ensembles : lequel
est la cause de l’autre ?
Problématisation
Le paradoxe du sujet
n’est pas facile à énoncer. Grosso modo : en
apparence ça va dans un sens (vie → écriture), en réalité ça
marche dans l’autre sens (écriture → vie). Ce que Paul de Man
met en question, c’est donc un système de causalité. Il n’y a
pas d’abord une vie, et dans cette vie des éléments qui ensuite
déterminent une entreprise d’écriture. L’écriture est toujours
déjà là, avant la vie. Cette manière de concevoir l’écriture
comme origine toujours déjà là, et de travailler la causalité
comme contradiction logique, est caracatéristique de la pensée de
Jacques Derrida et de la déconstruction. Elle explique le titre de
l’article.
Pourquoi l’écriture
autobiographique est-elle toujours déjà là ? L’écriture
est définie à la fois comme contrainte (« les exigences
techniques de l’autoportrait ») et comme ressource (« les
ressources de son écriture »), c’est-à-dire un système de
limitation et un système de déploiement. Dans la vie, avant même
d’écrire, l’écrivain a agi pour qu’un autoportrait soit
possible : autrement dit, il s’est mis en scène, il a
théâtralisé son action. Sa vie est déjà une écriture de
lui-même. A un certain type d’écriture correspond un certain type
de vie.
Préparation de l’introduction
Le point de départ :
L’autobiographie comme figuration de soi. Citation de Montaigne.
Paul de Man prend le
contrepied de cette approche.
Citation du sujet.
Problématique :
l’écriture commence avant la vie, elle se résout dans la vie qui
du coup en défait les modèles, les figures préétablies.
L’autobiographie rend compte de cette défiguration.
Plan :
Tout d’abord
décrire le paradoxe : Une vie écrite avant l’écriture. Le
fiasco rousseauiste, la main inquisitrice de Casanova.
Interroger
ensuite le présupposé du sujet : mais l’enjeu, la finalité
de l’autobiographie est-elle la figuration/défiguration de soi ?
Est-ce une affaire de figure, de portrait, de représentation (de
soi) ou l’accomplissement d’une vie, la disposition de cette
vie, l’expérience, la maîtrise de cette disposition ?
Le problème de
la disposition est soumis au même renversement que celui de la
figuration : Il n’y a pas un déroulement spontané de la
vie, puis la falsification, l’agencement rusé, la disposition
fallacieuse de ses éléments dans un récit autobiographique. La
vie est toujours déjà une disposition, que l’autobiographie
achève, accomplit systématise.
Introduction
L’autobiographie est
souvent frappée de soupçon : proposant un portrait de
soi-même, l’écrivain ne se constitue-t-il pas nécessairement une
figure de soi inauthentique ? N’a-t-il pas d’ailleurs
intérêt à arranger, à déformer cette figure ? Montaigne
évoque cette gageure de l’autobiographie dans son essai « Du
démentir » : « Moulant sur moi cette figure, il m’a
fallu si souvent me testonner & composer, pour m’extraire, que
le patron s’en est fermy, et aucunement formé soy-mesme. Me
peignant pour autruy, je me suis peint en moy de couleurs plus
nettes. que n’estoyent les miennes premieres. Je n’ay pas plus
faict mon livre, que mon livre m’a faict. Livre consubstantiel à
son autheur : D'une occupation propre : Membre de ma vie :
Non d’une occupation & fin, tierce et estrangere, comme tous
autres livres. » (Montaigne, Essais,
II, 18, §6.)
Non seulement, selon
Montaigne, l’écriture autobiographique moule sur le visage de
l’écrivain le masque d’une figure qui en force, accentue,
clarifie et du coup trahit les traits, mais plus insidieusement ce
travail de moulage ne peut être dissocié de la vie même de
l’auteur. Si la figure de soi produite dans le livre a trahi la
vérité de l’écrivain dans la vie, cette trahison est elle-même
l’histoire de sa vie, « une occupation propre, membre de ma
vie ». C’est ce renversement de la causalité dans le
mouvement de figuration de soi consubstantiel au projet
autobiographique qu’évoque Paul de Man dans un article consacré à
l’autobiographie comme défiguration : « On s’accorde à
considérer que la vie engendre l’autobiographie, comme un acte
engendre des conséquences ; mais ne peut-on suggérer tout
aussi justement que le projet autobiographique est aussi susceptible
d’engendrer et de déterminer la vie, et que, quoi que l’auteur
fasse, son action est gouvernée par les exigences techniques de
l’autoportrait, et déterminée du coup par les ressources de son
écriture ? »
Paul de Man aboutit
ainsi au paradoxe que l’autobiographie n’est plus saisie comme
une entreprise de représentation rétrospective d’une vie révolue,
qu’il s’agirait d’adapter, voire de travestir pour donner une
certaine image de soi, mais qu’à rebours c’est la détermination,
la ressource d’une écriture déjà présente à l’origine de
cette vie qui en a causé les actions, les décisions, les
engagements.
On étudiera dans un
premier temps ce qu’il faut entendre par une vie qui serait écrite
avant l’écriture. On se demandera ensuite ce que devient l’enjeu
de l’autobiographie, dès lors que la figuration cesse d’en être
la fin pour en devenir l’origine. Peut-être, enfin, y a-t-il là
l’occasion de revenir à l’écriture autobiographique comme
achèvement, non d’une représentation de la vie, mais de la vie
même…
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