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La calomnie d’Apelle - Botticelli

Date :
1495
Nature de l'image :
Peinture sur bois
DĂ©trempe sur bois
Dimensions (HxL cm) :
62x91 cm
Lieu de conservation :

Analyse

Le peintre Antiphilos avait accusĂ© le cĂ©lĂšbre Apelle d’avoir participĂ© Ă  une insurrection contre PtolĂ©mĂ©e IV. Apelle fut d’abord emprisonnĂ©, puis innocentĂ©. PtolĂ©mĂ©e lui donna Antiphilos comme esclave. Apelle rĂ©alisa alors un tableau allĂ©gorisant ce qu’il venait de subir.
Dans le tableau de Botticelli, Ă  droite, le roi est assis sur son trĂŽne. Soupçon et Ignorance lui soufflent des ragots Ă  l’oreille. AveuglĂ©, le roi Ă©tend la main en avant et rencontre la Haine, en capuchon, pourvue d’un bras anormalement long. DerriĂšre la Haine, la Calomnie porte une torche dans sa main gauche. De la main droite, elle tire par les cheveux l’Innocence, un adolescent nu. Fourberie et Fraude tressent les cheveux de leur maĂźtresse. Plus Ă  gauche, une vieille femme en noir figure le Repentir. Enfin, tout Ă  gauche, une jeune femme nue, le bras droit levĂ© au ciel, dans la posture de VĂ©nus sortant des eaux, figure la VĂ©ritĂ©.

Voici l’extrait du traitĂ© de Lucien oĂč il est question d’Apelle :

« On a vu mille amitiĂ©s brisĂ©es, mille maisons renversĂ©es par ces dĂ©lations colorĂ©es d’apparence.
§2. Afin de nous garder d’y tomber, je veux, dans ce discours, retracer, comme dans un tableau, ce que c’est que la dĂ©lation, avec sa cause et ses effets. Longtemps avant moi, Apelle d’ÉphĂšse a dessinĂ© cette image : il s’est vu lui-mĂȘme calomniĂ© auprĂšs de PtolĂ©mĂ©e, comme complice de la conjuration tramĂ©e Ă  Tyr par ThĂ©odotas. Apelle n’avait jamais vu Tyr ; il ignorait absolument quel Ă©tait ce ThĂ©odotas ; il avait seulement entendu dire que c’était un lieutenant de PtolĂ©mĂ©e, auquel ce prince avait confiĂ© le gouvernement de la PhĂ©nicie. Cependant un de ses rivaux, nommĂ© Antiphile, jaloux de sa faveur auprĂšs du roi et envieux de son talent, le dĂ©nonça Ă  PtolĂ©mĂ©e comme ayant trempĂ© dans le complot, prĂ©tendant qu’on avait vu Apelle en PhĂ©nicie Ă  table avec ThĂ©odotas, et lui parlant Ă  l’oreille durant tout le repas. Enfin il affirma que la rĂ©volte de Tyr et la prise de PĂ©luse Ă©taient le fruit des conseils d’Apelle.
§3. PtolĂ©mĂ©e, homme d’une pĂ©nĂ©tration peu clairvoyante, mais nourri dans la flatterie des cours, se laisse emporter et troubler par cette calomnie absurde, et, sans rĂ©flĂ©chir Ă  son invraisemblance, sans faire attention que l’accusateur est un rival, qu’un peintre est trop peu de chose pour entrer dans une pareille trahison, surtout un peintre comblĂ© de ses bienfaits, honorĂ© par lui plus que tous ses confrĂšres, sans s’informer enfin si jamais Apelle a fait voile pour Tyr, PtolĂ©mĂ©e, dis-je, s’abandonne Ă  sa fureur, remplit son palais de ses cris, et traite Apelle d’ingrat, de conspirateur, de traĂźtre. Peut-ĂȘtre mĂȘme, si l’un des conjurĂ©s, arrĂȘtĂ©s pour cette rĂ©volte, indignĂ© de l’impudence d’Antiphile et touchĂ© de compassion pour le malheureux Apelle, n’eĂ»t dĂ©clarĂ© que celui-ci n’avait pris aucune part Ă  leur complot, peut-ĂȘtre ce grand peintre aurait-il eu la tĂȘte tranchĂ©e, victime des maux arrivĂ©s Ă  Tyr et qui ne lui Ă©taient point imputables.
§4. PtolĂ©mĂ©e reconnut son erreur, et il en Ă©prouva, dit-on, de si vifs regrets, qu’il donna cent talents Ă  Apelle et lui livra Antiphile pour qu’il en fĂźt son esclave. Apelle, l’imagination pleine du danger qu’il avait couru, se vengea de la dĂ©lation par le tableau que je vais dĂ©crire.
§5. Sur la droite est assis un homme qui porte de longues oreilles, dans le genre de celles de Midas : il tend de loin la main Ă  la DĂ©lation qui s’avance. PrĂšs de lui sont deux femmes, l’Ignorance sans doute et la Suspicion. De l’autre cĂŽtĂ© on voit la DĂ©lation approcher sous la forme d’une femme divinement belle, mais la figure enflammĂ©e, Ă©mue, et comme transportĂ©e de colĂšre et de fureur. De la gauche elle tient une torche ardente ; de l’autre elle traĂźne par les cheveux un jeune homme qui lĂšve les mains vers le ciel et semble prendre les dieux Ă  tĂ©moin. Il est conduit par un homme pĂąle, hideux, au regard pĂ©nĂ©trant ; on dirait d’un homme amaigri par une longue maladie. C’est l’Envieux personnifiĂ©. Deux autres femmes accompagnent la DĂ©lation, l’encouragent, arrangent ses vĂȘtements et prennent soin de sa parure. L’interprĂšte qui m’a initiĂ© aux allĂ©gories de cette peinture m’a dit que l’une est la Fourberie et l’autre la Perfidie. DerriĂšre elles marche une femme Ă  l’extĂ©rieur dĂ©solĂ© vĂȘtue d’une robe noire et dĂ©chirĂ©e : c’est la Repentance ; elle dĂ©tourne la tĂȘte, verse des larmes, et regarde avec une confusion extrĂȘme la VĂ©ritĂ© qui vient Ă  sa rencontre. C’est ainsi qu’à l’aide de son pinceau Apelle reprĂ©senta le danger auquel il avait Ă©chappĂ©.
§6. A notre tour, essayons, s’il vous plaĂźt, Ă  l’exemple du peintre d’ÉphĂšse, de dĂ©crire la DĂ©lation, avec tous ses attributs, et commençons par la dĂ©finir, : c’est le moyen de rendre son image encore plus ressemblante... »

L’Apelle dont il est question dans ce texte de Lucien n’est pas le grand peintre nĂ© Ă  Cos qui vĂ©cut sous Alexandre et sous PtolĂ©mĂ©e, fils de Lagos. Celui dont il s’agit ici Ă©tait de Colophon, et, par adoption, citoyen d’ÉphĂšse. Mais les deux peintres ont Ă©tĂ© confondus Ă  la Renaissance.

Annotations :

2. C’est la derniĂšre Ɠuvre de Botticelli sur un sujet profane. Botticelli s’inspire d’une peinture perdue rĂ©alisĂ©e par Apelle et dĂ©crite par Lucien Cette description est considĂ©rĂ©e par Alberti dans le De pictura (1435) comme l’idĂ©al de la composition picturale (livre III, §53, Ă©d. Macula p. 213). Botticelli aurait-il reprĂ©sentĂ© (avant sa conversion) Savonarole, dont les prĂȘches calomnieux prĂ©cipitĂšrent la rĂ©volution Ă  Florence ?

3. DĂŒrer a Ă©galement proposĂ© sa version du tableau d’Apelle dĂ©crit par Lucien (dessin de 15x44 cm, 1522, Vienne, Albertina).

Composition de l'image :
Présentation, hommage, conseil
Sources textuelles :
Lucien de Samosate (125-192)
LIX, Qu’il ne faut pas croire lĂ©gĂšrement Ă  la dĂ©lation

Informations techniques

Notice #000720

Image HD

Identifiant historique :
A0039
Traitement de l'image :
Scanner
Localisation de la reproduction :
Collection particuliĂšre
Bibliographie :
Barbara Deimling, Sandro Botticelli, Cologne, Taschen, 1994
p. 72