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Pour citer ce texte : Francesca Manzari, Stéphane Lojkine, cours de Littérature et Psychologie, Aix-Marseille Université, Faculté ALLSH, HBM2S05, programme 2020. Ce cours s’adresse aux étudiants de première année de la licence de Psychologie. A quoi sert la littérature ?Littératures, Psychologies, Psychanalyses  Femme au chapeau noir bordé de rouge - Cranach « A quoi sert la littérature ? »,
demande Deleuze dans sa Présentation de Sacher-Masoch ?
Comme le clinicien, la
littérature formule les
symptômes, elle les regroupe, et en ce sens elle invente les
maladies. La littérature « sert à nommer » :
nommer, ce n’est pas seulement représenter la réalité du monde
(l’objectif apparent de la littérature réaliste) ; nommer,
c’est constituer
un double du monde, un réservoir d’étiquettes
qui est aussi un laboratoire de
ses excès. La littérature nomme la monstruosité du monde et en
fait, pour le lecteur, un objet d’émotion et de plaisir : en
un sens, donc, elle érotise ce qu’elle représente. Elle est utile
par ce double qu’elle recueille et cette érotisation qu’elle
produit.
On
se demandera dans ce cours comment ce travail de la littérature
a pu, peut servir la psychologie ; comment parfois la
littérature résiste à la psychologie ; comment enfin elle
peut aider le psychologue à entendre ce qui, dans l’homme,
resterait autrement inaudible, ce qui ne sait pas ou ne peut pas
donner de la voix.
Le cours est
conçu selon quatre modules :
« La clef des songes » pose le problème de
l’interprétation des rêves et des catégories de l’imaginaire ;
« Pensées et usages de la folie » se penche sur la
parole du fou, la possibilité de l’entendre, la nécessité
parfois de l’adopter ; « Partages de l’intime »
suit la grande découverte des
voix intérieures de la conscience à la fin du XIXe siècle,
parallèlement à l’essor de la psychologie et de la psychanalyse ;
« Sensation et cognition » explore le pouvoir
d’introspection de la littérature, par quoi elle s’essaye à
dire comment, au plus secret de notre cerveau, nous pensons et nous
sentons.
I. La clef des songes
 Les songes de Joseph (loge de Raphaël) - atelier de Raphaël Depuis l’antiquité, nous attribuons aux rêves
les plus incompréhensibles une signification. La littérature a fait
un grand usage de ces rêves, prémonitoires, prophétiques, et de
leur interprétation. En 1900, Freud révolutionne notre rapport au
rêve en prétendant établir une science de l’interprétation du
rêve, qui elle-même révèle la présence en nous et les modes
opératoires de l’inconscient. Or le matériau imaginaire qui est à
l’œuvre ici est le matériau même de la littérature. Il nous
révèle le premier pouvoir de la littérature, qui est le pouvoir de
signifier secrètement. Peut-on pour autant
ramener ce sens indirect à une signification plus simple et plus
claire ? Peut-on lire dans la littérature les principes et les
codes de la psychologie ? Peut-on, par la psychanalyse, élucider
le vrai sens des textes littéraires ? Dans cette enquête, le
diable de l’interprétation emprunte les visages les plus charmeurs
de la séduction…
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Interpréter : Freud, Hoffmann, Poe
-
Penser autrement : Jung, Paracelse,
Diderot
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Soigner : Bettelheim, Grimm,
Perrault
II. Pensées et usages de la folie
 Chimère (Éloge de la Folie) - Holbein Prêtons-nous attention à la parole du fou ?
Au mieux, nous le laissons parler avec indulgence ; au pire,
nous l’enfermons pour ne pas l’entendre. Mais la littérature
nous révèle que la parole du fou n’est pas seulement une parole
détraquée : elle dit autre chose, elle signifie autrement,
comme venant d’un autre monde. Tel est son deuxième pouvoir. Par
cette autre parole, la parole du fou, se dit ce que l’institution,
le pouvoir établi ne sauraient tolérer ; par elle se dit la
résistance au sens, le sens dans le non-sens, et se déploient les
prestiges de l’incompréhensible ; par elle enfin, le corps
s’expose et s’exprime, faisant taire la raison au profit d’une
autre raison.
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Subversions : Foucault, Erasme,
Diderot
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Résistances : Derrida, Descartes
-
Hystéries : Charcot, Maupassant,
Didi-Huberman
III. Partages de l’intime
 Le rêve - Odilon Redon Lorsque je suis seul en compagnie de mon livre, un
espace s’ouvre à moi dans lequel une voix se fait entendre,
intermédiaire entre la parole ouverte, socialisée, publique et
l’imagination du rêve : une voix de la conscience, une voix
de la pensée repliée dans l’intériorité du moi. La littérature
permet de faire parler cette voix si importante dans la consistance
de nos vies. Par elle, elle signifie intimement : c’est
là son troisième pouvoir. Par cette voix de la conscience, la
littérature donne à voir les territoires de l’intime et ce qui
les partage : hantises et oublis, tropismes et dégoûts, désirs
et soumissions.
-
Une théorie de l’intériorité ?
Henry James à l’épreuve de James Joyce, Virginia Woolf, Valery
Larbaud, Italo Svevo
-
Bouveresse, Wittgenstein et le mythe de
l’intériorité
-
Efficacité littéraire de la
perversion : Deleuze et Sacher-Masoch
IV. Sensation et cognition
Nommer les partages de l’intime, ce n’est pas
seulement faire apparaître des frontières ; c’est aussi
donner à voir les chemins qu’emprunte la pensée repliée en
elle-même. La littérature alors signifie auto-réflexivement,
c’est là son quatrième pouvoir. Elle fait de la pensée en
train de se faire l’objet de sa pensée. Consignant les traces
mnésiques de la sensation se donnant à sentir, de la pensée
jaillissant de la sensation, elle fournit l’image sensible de
l’expérience cognitive en train de se faire : c’est le « Je
me voyais me voir » de La Jeune Parque.
-
Marcel Proust et la psychologie cognitive
-
Robert Musil,
L’Homme sans qualités
-
Gustav Fechner : psychophysique et
poésie
Bibliographie
La clef des songes
 Caliban couché - Odilon Redon Freud, L’Interprétation du rêve
[1900], trad. J. P. Lefebvre,
Points Essais, 2013 (chap. 2
et chap. 6)
Freud,
L’Inquiétante étrangeté et autres essais
[1919], trad. B. Féron, Gallimard, Folio, 1988
Carl Gustav Jung,
Psychologie et alchimie,
Synchronicité et paracelsica,
Mysterium conjunctionis, in
La Réalité de l’âme,
tome 2, éd. Michel Cazenave, Le Livre de Poche, La Pochothèque,
1998
Bruno
Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées [1976],
in Parents et enfants,
éd. Danièle Lévy, Laffont, Bouquins, 1995
Textes littéraires à l’appui
Denis Diderot, Le
Rêve de D’Alembert [1769],
éd. Colas Duflo, GF, 2003
Les Frères
Grimm, Contes pour
les enfants et la maison, éd.
N. Rimasson-Fertin, Corti, 2009, « Hänsel
et Gretel » (n°15), « Cendrillon »
(n°21), « Le Petit Chaperon Rouge »(n°26),
« Blanche-Neige » (n°53)
E. T. A.
Hoffmann, L’Homme au sable
[1817], GF Etonnants classiques, 2015
Charles Perrault,
Le Petit Chaperon rouge,
La Belle au bois dormant
et Cendrillon[1698],
in Contes en prose, Le
Livre de poche, Libretti, 2004
Edgar Allan Poe,
La Lettre volée
[1844], in Histoires extraordinaires,
tr. Ch. Baudelaire, Livre de poche, 1972
Pensées et usages de la folie
Jacques Derrida, « Cogito et histoire de la
folie »,
in L’Écriture et la différence [1967],
Seuil, Points, 1979
Georges Didi-Huberman, Invention de l’hystérie
[1982], Macula, 2012
Michel Foucault, Maladie mentale et psychologie
[1954], Puf, Quadrige, 2015
Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge
classique [1972], Gallimard, Tel, 1982
Freud et Breuer, Études sur l’hystérie
[1895], PUF, 1956
Textes littéraires à l’appui
Érasme, Éloge de la folie [1511], éd. J.
Cl. Margolin, Gallimard, Folio, 2010
Diderot, Le Neveu de Rameau
[1760-1770], éd.
Marian Hobson, Droz, 2013
Maupassant, Le Horla
[1886-1887], Gallimard, Folio, 2014
Partages de l’intime
Henry Bergson, Cours II. Leçons
d’esthétique : leçons de morale, de
psychologie et de métaphysique, PUF, 1992
Jacques Bouveresse, Le Mythe de l’intériorité :
expérience, signification et langage privé chez
Wittgenstein, Minuit, 1987
Gilles Deleuze, Présentation de Sacher Masoch.
Le froid et le cruel, Minuit, 2007
William James, Précis de Psychologie, tr.
N. Ferron, Les Empêcheurs de Penser en Rond, 2003
Ludwig Wittgenstein, Remarques
sur la philosophie de la psychologie,
trad. Gérard Granel, Trans-Europ-Repress, 1998
Textes littéraires à l’appui
Henry James, Un Portrait de femme et autres
romans, dir. Évelyne Labbé, Gallimard, Pléiade, 2016
James Joyce, Ulysse, « Pénélope »
(le dernier chapitre), tr. Tiphaine Samoyault, Galimard, 2004, Folio,
2013
Virginia Woolf, Mrs
Dalloway [1925], tr. de M.-C. Pasquier,
Gallimard, Folio, 1981
Sensation et cognition
André Didierjean, La Madeleine et le Savant.
Balade proustienne du côté de la psychologie cognitive, Seuil,
Science ouverte, 2015
Isabelle Dupéron,
G. T. Fechner. Le parallélisme
psychophysiologique, PUF, 2000
David Lapoujade, Fictions du Pragmatisme :
William et Henry James, Minuit, 2008
Textes littéraires à l’appui
Valery Larbaud, Amants, heureux amants
[1923], Gallimard, L’Imaginaire, 1993
Robert Musil, L’Homme sans qualités
[1930-1932], tr. de P. Jaccottet, Points, 2011
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu
[1913-1927], Gallimard, folio, 1999
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