Aller au contenu principal
Printer Friendly, PDF & Email

9. Angélique et Médor.

Du même.

Tableau de la forme et de la grandeur du précédent.

Angélique et Médor - Boucher
Angélique et Médor - Boucher

Les deux figures principales sont placées à droite de celui qui regarde. Angélique1 est couchée nonchalamment à terre et vue par le dos, à l’exception d’une petite portion de son visage qu’on attrape et qui lui donne l’air de la mauvaise humeur. Du même côté, mais sur un plan plus enfoncé, Médor debout, vu de face, le corps penché, porte sa main vers le tronc d’un arbre sur lequel il écrit apparemment les deux vers de Quinault, ces deux vers que Lulli a si bien mis en musique2, et qui donnent lieu à toute la bonté d’âme de Roland de se montrer et de me faire pleurer quand les autres rient :

Angélique engage son cœur,
Médor en est vainqueur.

Des Amours sont occupés à entourer l’arbre de guirlandes. Médor est à moitié couvert d’une peau de tigre, et sa main gauche tient un dard de chasseur. Au-dessous d’Angélique imaginez de la draperie, un coussin, un coussin, mon ami ! qui va là comme le tapis du Nicaise de La Fontaine3 ; un carquois et des flèches ; à terre un gros Amour étendu sur le dos et deux autres qui jouent dans les airs, aux environs de l’arbre confident du bonheur de Médor ; et puis à gauche du paysage et des arbres.

Il a plu au peintre d’appeler cela Angélique et Médor, mais ce sera tout ce qu’il me plaira. Je défie qu’on me montre quoi que ce soit qui caractérise la scène et qui désigne les personnages. Eh mordieu ! il n’y avait qu’à se laisser mener par le poète. Comme le lieu de son aventure est plus beau, plus grand, plus pittoresque et mieux choisi ! C’est un antre rustique, c’est un lieu retiré, c’est le séjour de l’ombre et du silence. C’est là que, loin de tout importun, on peut rendre un amant heureux, et non pas en plein jour, en pleine campagne, sur un coussin. C’est sur la mousse du roc que Médor grave son nom et celui d’Angélique.

Cela n’a pas le sens commun ; petite composition de boudoir. Et puis ni pieds, ni mains, ni vérité, ni couleur, et toujours du persil sur les arbres. Voyez ou plutôt ne voyez pas le Médor, ses jambes surtout ; elles sont d’un petit garçon qui n’a ni goût ni étude. L’Angélique est une petite tripière. O le vilain mot ! D’accord, mais il peint. Dessin rond, mou, et chairs flasques. Cet homme ne prend le pinceau que pour me montrer des tétons et des fesses. Je suis bien aise d’en voir, mais je ne veux pas qu’on me les montre4.

 

 

Notes

1

Angélique est l’héroïne principale de l’Orlando furioso (Roland furieux) de L’Arioste (1532). Poursuivie par l’amour de Roland, Angélique tombe sur le soldat Médor blessé, qu’elle soigne et dont elle tombe follement amoureuse, alors qu’ils sont hébergés chez des bergers, loin du champ de bataille. Quoique reine du Cathay (de la Chine), Angélique épouse Médor et l’emmène dans son royaume. Leur séjour bienheureux chez les bergers laisse pourtant des traces : leurs initiales gravées un peu partout par Médor seront retrouvées par Roland, qui en devient fou (furieux) de douleur.

2

Le Roland de Lulli, adaptation par Quinault de l’épopée de l’Arioste, date de 1685.

3

Nicaise est un conte en vers de La Fontaine (1671). Le niais Nicaise est apprenti drapier ; la fille de son maître lui donne un rendez-vous galant de nuit dans la forêt. « Nicaise après quelques moments / La va trouver: et le bon sire / Voyant le lieu se met à dire : / Qu’il fait ici d’humidité ! / Foin, votre habit sera gâté. / Il est beau : ce serait dommage. / Souffrez sans tarder davantage / Que j’aille quérir un tapis. / — Eh mon Dieu laissons les habits ; / Dit la belle toute piquée. / Je dirai que je suis tombée. » Mais Nicaise s’entête, et fait attendre sa belle un certain temps. Quand il revient, il est trop tard : « A quoi tient, dit-il à la dame, / Que vous ne m'ayez attendu ? / Sur ce tapis bien étendu / Vous seriez en peu d'heure femme. / Retournons donc sans consulter : / Venez cesser d'être pucelle ; / Puisque je puis sans rien gâter / Vous témoigner quel est mon zèle ».

4

« Comparer avec cette réflexion sur les Grâces de Vanloo : « Ils ne savent pas que c’est une femme découverte et non une femme nue qui est indécente. Une femme indécente, c’est celle qui aurait une cornette sur sa tête, ses bas à ses jambes et ses mules aux pieds. Cela me rappelle la manière dont Mme Hocquet avait rendu la Vénus pudique la plus déshonnête créature possible. Un jour elle imagina que la déesse se cachait mal avec sa main inférieure, et la voilà qui fait placer un linge en plâtre entre cette main et la partie correspondante de la statue qui eut tout de suite l’air d' une femme qui s’essuie. » (DPV XIV 33-34 ; Ver, IV, 298)

Référence de l'article

Diderot, Denis (1713-1784), Angélique et Médor (Boucher, Salon de 1765), mis en ligne le 11/04/2022, URL : https://utpictura18.univ-amu.fr/rubriques/numeros/salons-diderot-edition/angelique-medor-boucher-salon-1765

Printer Friendly, PDF & Email

Les Salons de Diderot (édition)

Salon de 1763

Salon de 1765

Salon de 1767