
Après la mort de Louis XIV, la Galerie d'Énée a été commandée pour le Palais-Royal par Philippe d'Orléans, alors Régent. La galerie a été détruite, trois tableaux du décor original sont conservés au Musée Fabre à Montpellier. On s'intéresse ici au plus grand des trois, qui représente l'hospitalité accordée par Didon aux Troyens échoués sur le rivage de Carthage. L'épisode est raconté au livre I de l'Enéide.

Louis Galloche, Énée, débarqué à Carthage, se présente devant Didon, 1737, 101x116 cm, Paris, musée du Louvre, inv. 4658.
Présenté au Salon de 1737 avec son pendant Didon caresse l’Amour sous la figure d’Ascagne. Ancienne collection du prince de Conti.
Après la chute de Troie, Énée prend la fuite en mer avec ses compagnons. Sur sa route, la flotte d'Enée subit une tempête provoquée par Junon et échoue sur les côtes libyenne de Carthage. Pendant la tempête les navires se sont séparés en deux groupes. Chacun ignore le sort de l'autre. Ils se retrouvent ici, devant Didon auprès de qui ils sont venus demander l'hospitalié.
Au centre de la composition, Didon, reine de Carthage, est assise sur son trône. Selon le récit de Virgile, la scène est censée se dérouler dehors, sur le parvis du temple de Junon en construction. Mais Galloche représente plutôt une salle du trône, dans un palais baroque. Énée et Achate apparaissent à la vue de la cour au milieu d'une nuée qui se dissipe : Vénus, la mère d'Enée, avait enveloppé les deux héros d'un nuage d'invisibilité pour les protéger.
En face d'Enée, à gauche sur le tableau, deux Troyens déjà présents à l'audience de Didon découvrent avec joie et surprise que leur chef est toujours vivant. Entre la reine et Enée, sur les marches du trône, ses servantes apeurées esquissent un mouvement de recul face à l’apparition des deux héros.
Galloche reprend la composition d’Antoine Coypel. Le dais du trône, rouge et or, surmonte une reine vêtue de bleu. Face à elle, Enée a un manteau rouge, une cuirasse en or et une culotte bleue. Par la couleur, le couple est déjà accordé.

Nathaniel Dance, La rencontre de Didon et d’Énée, 1760, peinture sur toile, 122x171.8 cm, Londres, Tate Britain, inv. T06736.
Commande du jeune Lord George Grey, 5e comte de Stamford (pour Dunham Massey Hall ?), exposé à Londres en 1766 au retour de l’artiste après un séjour à Rome. Dance avait fait son Grand Tour en Italie, selon la pratique des aristocrates et des artistes britanniques de l'époque. Le tableau sur un sujet virgilien signale ce passage obligé.
La scène se déroule dans le temple de Junon à Carthage. Alors que la salle est plongée dans la pénombre, la lumière, qui tombe d'en haut, se concentre sur les protagonistes du tableau, Didon à gauche, Énée au centre, et ses compagnons derrière lui. Enée naufragé sur les côtes libyennes se présente devant la reine de Carthage pour lui demander l'hospitalité. La reine est certes représentée sur son trône, mais elle est à peine surélevée face à Enée : ce n'est pas le protocole plus solennel des cours européennes du temps. Sa sœur se tient derrière elle. Énée s'avance, Achate le suit, la nuée qui les enveloppait se dissipe, dessinant sa traînée en spirale vers le plafond. Au premier plan à droite, Ascagne, le fils d'Enée, n'est pas présent à cette scène dans le récit virgilien.
Contrairement à la composition de Coypel ou à celle de Galloche, celle de Dance ne place pas Didon au centre. De droite à gauche, Dance donne à sentir le mouvement des Troyens vers Didon, se frayant un chemin dans la foule. Enée porte la main sur son cœur, dans un geste oratoire indiquant qu'il prononce un discours : c'est conforme au texte de Virgile. Didon, les mains légèrement écartées, marque sa surprise : elle n'a pas encore pris sa décision, pas encore accordé l'hospitalité demandée.

Johann Andreas Thelott, Énée vient se présenter à Didon, reine de Carthage, vers 1690-1700, plaque circulaire en argent, ciselée en bas-relief, diamètre de 12,8 cm, Paris, musée du Louvre, inv. ECL 20794.
Cette plaque fait partie d’une série de trois plaques illustrant l'histoire de Didon et Énée dans l’Énéide de Virgile. La fonction de ces plaques décoratives réalisées à Augsbourg n'est pas claire.
La plaque représente la scène de la rencontre entre Didon et Énée dans le temple de Junon. Ils sont à l’intérieur de ce temple, identifiable par la voûte et les colonnes. Au centre, Énée, accompagné de Troyens, prend la main que lui tend la reine Didon, qui s'avance jusqu'au bord de l'estrade où elle se tient. Énée tient dans son autre main un bâton, symbole royal à la période médiévale. Derrière la reine, un enfant, sans doute Cupidon déguisé en Ascagne, tient la traîne de sa robe. Il suggère ainsi la future relation conjugale de la reine avec le héros troyen. Deux femmes, dont sa sœur Anne, se tiennent derrière Didon. Un chien, au premier plan au centre, jappe au mollet d'Énée, comme pour avertir Didon de la future trahison du Troyen.
A l’arrière-plan, une fontaine jaillissante dont la vasque est portée par une statue s'élève au milieu d'une rangée d'arbres : le parc au-dehors indique que la scène est à l'intérieur, malgré la double colonnade qui pourrait faire penser le contraire.
Comme dans la composition de Coypel, la scène hésite entre une représentation dehors, comme le voudrait le texte de Virgile (pour qui le temple de Junon est encore en construction) et une représentation dedans, comme il siérait dans l'Europe moderne à une audience royale.

Didon accueille Énée devant le temple de Junon, illustration pour la première édition anglaise de Virgile, The works of Publius Virgilius Maro, éd. John Ogilby, Londres, 1654. L'estampe, non signée, est probablement de Francis Cleyn, qui signe presque toutes les gravures de la série. Collection de la Folger Shakespeare Library, Wahington, cote 225 452f. L'édition a fait l'objet d'une souscription auprès de la noblesse anglaise ; chaque estampe est dédiée à l'un des souscripteurs, dont les armes figurent en bas de la page. ici, il s'agit de Charles Seymour, 6e duc de Somerset.
La composition s'ordonne en deux groupes et s'étage en trois plans. Le premier groupe à gauche, présente un groupe d’hommes en cuirasses, avec un homme en avant légèrement détaché du groupe. Un second groupe est en face d’eux à droite : c'est la cour de Didon, accompagnant sa reine. Ces deux groupes se rencontre devant une statue, placée à l'arrière-plan au centre de la composition : on reconnaît Junon au paon qui l'accompagne.
La scène représente Énée accueilli par la reine Didon à Carthage dans le temple de Junon. Les Troyens à gauche portent des sandales spartiates. Énée se distingue par un plumet de casque plus imposant et des jarretières à têtes de lions. Didon à droite porte une couronne et tient un sceptre.
A l'arrière-plan, dans la rotonde au milieu de laquelle s'élève la statue, une fresque peint la bataille qui fait rage sous les murs de Troie, dont la citadelle est représentée en haut à gauche. A droite, un guerrier tombant de son char s'apprête à mourir sous l'épée de son poursuivant. Est-ce Hector succombant sous les coups d'Achille ?
Dans le récit virgilien, Enée et Achate s'arrêtent longuement devant les bas-reliefs de la façade du temple de Junon en construction, qui représentent les épisodes de la guerre de Troie.
Par cet arrière-plan, Cleyn, par rapport à Coypel, marque un respect plus grand des lieux que Virgile décrit. Mais comme Coypel, il ne situe pas la scène en extérieur : pour une audience royale, cela lui paraît contraire aux bienséances. Aucun trône ici : Didon et Énée sont visuellement traités comme de même rang protocolaire.

Enée accueilli par Didon à Carthage, enluminure pour le livre I des Enéydes de Virgile, trad. Octovien de Saint-Gelais, 1509, Bibliothèque nationale de France, Réserve des livres rares, cote VELINS-1070.
Cette enluminure appartient à l'exemplaire sur vélin offert à François 1er. Les gravures sur bois ont été peintes pour donner l'aspect des enluminures traditionnelles. On peut comparer ces enluminures sur vélin avec les gravures sur bois de composition identique dans les autres exemplaires, ordinaires, de l'édition.
Au premier plan, Énée et ses compagnons accostent aux portes de la ville de Carthage. Didon sort de la ville pour les accueillir. Derrière elle, sa sœur Anne, l'accompagne. En arrière-plan, aucun temple de Junon ; la ville de Carthage, censée être en construction, est complètement terminée. Dans le fond à gauche, en haut d'une colline verdoyante, on distingue un fort. Derrière la colline verte, deux collines bleues : le passage au bleu donne l'effet de profondeur recherché
Énée accoste directement à Carthage : ce n'est pas le récit virgilien. Aucun nuage d'invisibilité non plus ici : tous les préliminaires à la rencontre ont été supprimés.
Le problème de l'illustrateur est ici à la fois technique et sémiologique : techniquement, la gravure sur bois permet plus difficilement le détail ; il fallait simplifier le trait. Sémiologiquement, on quitte la pratique de composition narrative pour s'orienter vers la représentation d'une scène unique ; cela suppose de condenser le récit.
Mais ici, l'accueil de Didon se fait bien toujours en extérieur, conformément au récit virgilien. ce ne sera plus le cas à partir du 17e siècle, chez Cleyn, Coypel ou Galloche.