
Dans un contexte académique marqué par l’ordre et la clarté héritée de la tradition classique, Jean de Troy met en valeur les grands principes picturaux qu’il a pu étudier dans les œuvres de Nicolas Poussin, notamment par le biais d’esquisses, de copies ou de gravures largement diffusées. L’influence de Poussin se manifeste dans l’organisation rigoureuse de l’espace, la lisibilité narrative et le soin apporté à la disposition des figures. Jean de Troy adopte une composition pyramidale, qui structure la scène autour d’un axe central et guide le regard du spectateur selon une progression hiérarchisée. Sa palette, dominée par des tons chauds et lumineux, anime la composition tout en renforçant sa cohérence dramatique.
Le tableau propose de lire un épisode des Actes des Apôtres, la guérison du paralytique par Pierre, comme une allégorie de la charité.
Le récit se situe à Jérusalem, où saint Pierre entreprend de fonder la première communauté chrétienne. L'épisode devient chez Jean de Troy parabole : placé à l'arrière-plan, il reprend les éléments du texte évangélique. La guérison est supposée se produire « au Temple pour la prière de l’après-midi, à la neuvième heure » : de fait, l’arrière-plan baigné d’une lumière dorée suggère un soleil déclinant, qui se couche derrière les structures monumentales du temple et projette des ombres allongées sur la cour intérieure. L’infirme est assis « à la porte du Temple », comme le précise le texte. Le geste clé du miracle, « le prenant par la main droite, il le releva », constitue l'élément central du tableau : saint Pierre tend résolument la main droite vers le paralytique, dans un geste à la fois ferme et bienveillant.
Quel sens donner à cette guérison ? En tendant la main au paralytique, Pierre accomplit un acte de charité. La charité ne consiste pas, simplement et matériellement, à donner de l'argent, mais, spirituellement, à communiquer l'énergie de la foi, qui va donner au paralytique la force de remarcher. C'est pourquoi la mère avec son enfant au premier plan à gauche doit être comprise comme une figure de la charité, et la charité comme l'expression fondamentale de la foi, que symbolise son manteau bleu. Elle indique de la main la compréhension littérale de la charité au second plan à droite : un apôtre donne l'aumône à une mendiante. De là, le spectateur est invité à passer à l'arrière plan, où la guérison du paralytique est comprise comme une allégorie mystique de la charité. Autrement dit, la composition de Jean de Troy n'est pas scénique mais allégorique. Elle se décompose en trois temps de l'allégorie — figure, scène et parabole — et ne peut se réduire à un moment dans une histoire, comme l'exigeait alors l'Académie parisienne. (Voir la conférence de Le Brun sur La Manne de Poussin.)

Sébastien Bourdon, La Chute de Simon le Magicien, 1658, huile sur toile, 650x470 cm.
La scène représentée par Bourdon illustre un épisode tiré des Actes apocryphes de saint Pierre : devant le préfet de Rome, qui trône à droite, Simon le Magicien, défiant Pierre, s'est élevé dans les airs devant la foule rassemblée. Mais une prière de l’apôtre provoque sa chute : Pierre sera condamné au martyre.
La chute du magicien devient, avec la Contre-Réforme, le symbole de l'hérésie vaincue. Pour les chanoines de la cathédrale, qui choisirent le sujet, il s'agissait de représenter la foi catholique triomphant du protestantisme.
On entre dans le tableau depuis le 1er plan à gauche, on va vers le préfet de Rome à droite, et de lui vers Simon mage dans le ciel. Jean de Troy reprend ce modèle de composition pour sa Guérison du paralytique.

Poussin, Pierre et Jean guérissant le boiteux, 1655, huile sur toile, 125,7x165,1 cm, New York, Metropolitan Museum.
Dans cette œuvre, Poussin s’inscrit dans la lignée de Raphaël, dont il reprend le principe fondamental de la composition géométrique, avec une groupement pyramidal des figures. Au premier plan à gauche, on entre dans la toile par une scène d'aumône : un homme se rendant au temple tend une pièce à une mendiante accompagnée de son enfant. Tout au fond, derrière la scène du paralytique, un second acte de charité se joue plus discrètement : un autre personnage donne l’aumône à un vieillard. Sur la droite, un jeune homme qui se rend au temple, témoin du miracle, arrête un vieillard qui en sort pour lui montrer ce qui se passe.
Cette œuvre de Poussin a servi de modèle à Jean de Troy, à qui on demande explicitement, à Montpellier, de s’en inspirer. C'est donc de ce tableau de Poussin que de Troy tire l'idée d'interpréter la guérison du paralytique comme une parabole de la charité, ainsi que le modèle de composition en trois groupes étagés sur les marches de l'escalier du temps. Mais chez Poussin la composition s'ordonne en une scène unifiée : l'entrée du temple est en fait à gauche, le miracle a lieu sur le parvis du temple, qui tient lieu d'estrade scénique. La scène théâtrale est toujours une antichambre, une place, une promenade, un espace liminaire ; jamais le cœur (du pouvoir, du sacré). De Troy ne l'entend pas ainsi.
Chez Poussin, devant le parvis, les marches ont pour fonction d'établir le passage entre le monde réel, où se tient le spectateur du tableau, et l'espace de la représentation, qui est celui du miracle. Dans cet espace intermédiaire, les figures mettent en scène l'entrée dans la représentation et la sortie de la représentation, qui est en même temps l'entrée dans le temple et la sortie du temple.
L'entrée dans la représentation se fait par la scène de l'aumône, qui constitue à la fois un embrayeur visuel et une pré-représentation : l'aumône est la compréhension littérale de la charité, avant d'accéder à sa compréhension mystique, la guérison par la foi.
La sortie de la représentation se fait par l'échange du jeune homme et du vieillard à droite : face à l'événement de la guérison, Poussin dispose les répercussions de cet événement sur les spectateurs ; il y a celui qui est tout de suite touché et celui qui n'a rien vu.
Les trois groupes n'ont plus du tout la même signification chez de Troy. Tout d'abord ils ne se parcourent pas dans le même ordre : chez de Troy, le miracle est le 3e terme, alors que chez Poussin les spectateurs du miracle sont le 3e terme. Chez de Troy, on entre progressivement dans le temple. Chez Poussin, on n'y entre en fait jamais. De Troy ne construit pas un dispositif scénique, mais un étagement de représentations allégoriques.
De Troy emprunte cependant encore à Poussin un détail énigmatique. Chez Poussin, à gauche et à droite, on retrouve la même porteuse d'offrandes, de profil avec une corbeille sur la tête. Froide et insensible, elle accomplit sa tâche comme indifférente à ce qui se produit. De Troy ne garde qu'une porteuse d'offrande à gauche, qui nous regarde. Et à la place de celle de droite, la plus visible chez Poussin, il se peint lui et signe sa différence.

Commandée pour accompagner les toiles de Jean de Troy et Sébastien Bourdon, La Remise des clefs à saint Pierre s’inscrit dans un programme
iconographique destiné à glorifier le saint patron de la cathédrale de Montpellier. L’œuvre met en scène une formule de l’Évangile selon Matthieu qui n'est peut-être qu'une métaphore. Le Christ dit à Pierre, qui vient de le reconnaître comme le Christ et fils du Dieu vivant : « Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. »
La composition du tableau aurait été imaginée par Jean de Troy, qui meurt avant d'avoir pu l'exécuter. Antoine Ranc pour le figures, et Charmeton pour le paysage terminent ce que de Troy avait commencé.
Au centre, le Christ tend les clefs du Paradis à Pierre agenouillé ; autour, les apôtres forment un demi-cercle guidant le regard. Comme dans La Guérison du paralytique, un personnage en rouge au premier plan à gauche introduit le spectateur dans la scène et guide le regard vers le geste central du Christ indiquant du doigt d'où lui viennent ces clefs et à quoi elles sont destinées.
Derrière la figure du Christ, vêtu comme il se doit de bleu et de rouge (la foi et la passion), une étrange fabrique d'architecture grise lui sert d'écrin. Juste avant de lui remettre les clefs, le Christ a dit à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle. » La fabrique de pierre désigne le E de l'Eglise, et préfigure ce que Pierre va instituer et organiser.
Au fond à gauche, derrière les arches du pont où se tiennent des spectateurs, on distingue un berger gardant ses brebis sur la rive. Le troupeau de brebis est une autre allégorie de ce que Pierre doit bâtir : une communauté des croyants dont le chef de l'Eglise sera le berger. Depuis la rive, un homme en barque s'apprête à traverser la rivière : c'est une allégorie de la mort, pour laquelle les clefs de saint Pierre offrent la promesse d'un passage heureux.
Comme dans La Guérison du paralytique, la composition imaginée par De Troy fonctionne beaucoup plus comme une allégorie que comme une scène. La traditio clavium est représentée d'abord littéralement : le Christ remet les clefs à saint Pierre. Elle est figurée ensuite par le mur qui s'édifie derrière lui. Elle est interprétée enfin de façon mystique comme sauvegarde de la communauté des brebis et franchissement serein du fleuve de la mort.