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LE SPHINX (le Livre des Chants), traduit de Heinrich Heine par Gérard de Nerval C’est l’antique forêt pleine d’enchantements. On y respire, au bord de leurs frêles calices, Le doux parfum des fleurs. — Les clairs rayonnements De la lune en mon cœur versent mille délices. J’allais parmi la mousse embaumée, et tandis Que sous mes pas errants craquait la morte branche Il se fit quelque bruit dans les airs : — j’entendis La voix du rossignol chanter, sonore et franche ! Il chante ses amours, le jeune rossignol ! Il chante leurs gaietés et leurs douleurs sans trèves, Et si tristement pleure, hélas ! que mes vieux rêves Se raniment soudain et reprennent leur vol. — Je poursuivis ma route à travers la nature, Dans les herbes, songeant et le cœur en émoi. — Comme j’allais, je vis s’élever devant moi Un grand château gothique à la haute toiture. Je jetai sur ses murs désolés un coup d’œil : — Sa porte était fermée et sa fenêtre close, Et partout la tristesse accablante et le deuil; La mort paraissait vivre en ce château morose. Au seuil était un sphinx. — A la fois effrayant Et charmant, il avait d’un lion la poitrine Et la griffe cruelle, et de la plus divine Femme il avait les reins et le front souriant. O femme ! son regard appelait de sauvages Voluptés ! et sa lèvre au sourire puissant, Qui n’avait point subi du temps les durs ravages, S’offrait pleine d’ardeurs, de désirs et de sang. Le rossignol chantait si doucement dans l’arbre ! Saisi soudainement d’un charme inapaisé, Ne pouvant résister à la lèvre de marbre, J’y vins mettre un joyeux et violent baiser. La figure impassible, alors, prit une vie; La pierre soupira; le frisson courut dans sa veine; — elle vivait ! — et sa bouche ravie but avec soif le flot de mes baisers ardents. Elle aspira mon souffle entier, la charmeresse ! Sa poitrine gonflait en sa rebellion. Elle étreignis mon corps dans une chaude ivresse, Le déchirant avec ses griffes de lion. O souffrance et plaisirs infinis ! Doux martyre ! Pendant que son baiser m’énivrait en vainqueur, Comme un poison charmeur qui tue et vous attire, — Ses griffes me faisaient des blessures au cœur. Le rossignol chanta, des frissons plein son aile : — O sphinx ! Amour ! pourquoi mêler jusqu’à la mort, A tes félicités la douleur éternelle ! Et pourquoi le baiser si la bouche vous mord ? « O toi, beau sphinx ! Amour mystérieux ! révèle à nos cœurs, tout remplis de tes désirs brûlants, cette énigme fatale et sans cesse nouvelle. — Moi, j’y songe déjà depuis près de mille ans.
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