Les expositions organisées tout au long du dix-huitième siècle dans le Salon carré du Louvre par l’Académie royale de peinture et de sculpture connurent un succès public qui propulsa la peinture française à la tête du mouvement artistique européen, jusque là dominé par l’Italie. Diderot, qui rédigea les comptes rendus de ces « Salons » à partir de 1759, est un témoin privilégié de ces événements culturels sans précédent dans l’histoire.
Après avoir suivi Diderot au Salon et décrit sa manière de visiter puis d’écrire, ce livre propose d’examiner la nouvelle relation esthétique qui se constitue entre le spectateur et l’oeuvre d’art à la faveur de ces expositions. L’oeil de Diderot hérite d’une conception académique de la composition, comme disposition de figures : ce que l’on voit est d’abord de la géométrie. Diderot superpose à cette géométrie une nouvelle conception, centrée sur le choix par le peintre du moment de l’histoire à représenter. Il s’agit dès lors de faire bouger mentalement les figures dans le film des événements, jusqu’à arrêter la scène au moment visuellement idéal : la peinture n’est plus affaire de composition et de géométrie, mais de scène et de dispositif.
Lorsqu’il s’attelle aux Salons, Diderot sort d’une expérience théâtrale difficile : il y a puisé une théorisation révolutionnaire de la scène dramatique, qu’il va importer dans l’espace pictural. Le « quatrième mur » qui interdit aux acteurs de s’adresser au public devient une injonction aux peintres : non pas montrer, mais laisser voir. Voyeurisme et effraction deviennent alors les postures privilégiées du spectateur face à la toile.
Cependant le modèle de la scène entre lui-même en crise : « L’Antre de Platon » et la « Promenade Vernet », les deux textes les plus célèbres des Salons, cherchent alors à le dépasser et à penser le dispositif de la représentation picturale comme le dispositif même de la pensée.
Émissions et comptes rendus
- Compte rendu de Marie-Claire Planche sur fabula
- Compte rendu d’Anne Coudreuse sur nonfiction.fr
- « Du jour au lendemain », entretien d’A. Veinstein avec S. Lojkine, lundi 21 janvier 2008, 23h30
- « Tout arrive ! », A. Laporte, mercredi 28 novembre 2007
Sommaire
Introduction
Le Salon de se donne pas à lire — Ce que le Salon donne à voir — Le dispositif des Salons — Représentation préalable et intention du texte — Le jugement public
Du Salon au Salon
Les Salons de l'Académie royale de peinture : histoire et enjeux
La Correspondance littéraire de Grimm face aux Salons — L’accrochage des tableaux — Agrément et réception des nouveaux académiciens — La crise de la hiérarchie des genres — La visite au Salon
Conditions matérielles de l’écriture des Salons
Le rôle de Grimm — L’amitié de Diderot — De l’aide technique au jeu diabolique : La Rue, puis Naigeon — Solitude du cabinet, publicité du Salon — Écrire à partir du livret
L’invention de la description
La description comme définition (Mallet) — Le plaisir de la description (Jaucourt) — La description comme éloge : l'ekphasis — Diderot et Falconet
De la description au dispositif
Le modèle journalistique — Greuze par l’abbé de La Porte — La disposition des figures — Greuze par Diderot — Le tableau comme scène
Les figures et le moment
Désarticulation du corps et dispositif du compte rendu
“Ce Christ est tout disloqué” : La Résurrection de Bachelier (1759) — Membres détachés et visage homérique : la Bacchante de Pierre (1763 Entre ignoble débauche et poésie sublime : l’Anacréon de Restout fils (1765) — Conflit du sens, conflit du corps : La Jeune Fille et l’oiseau mort de Greuze (1765) — “L’œil droit va tomber de son orbite” : Le Chaste Joseph de Lagrenée (1767) — “Vedi coglione !” La Tête de Pompée présentée à César de Lagrenée (1767)
Défiguration dans l’espace, configuration dans le temps
La composition comme disposition de figures — Gamme des expressions, anamorphose de la figure — La conférence de Le Brun sur La Manne de Poussin — Diderot lecteur de Le Brun ?
Genèse de l’instant prégnant
L’article “Composition” de l’Encyclopédie (1753) — Du moment paroxystique (1761) au “moment qui précède l’explosion (1765)— Le moment comme dispositif scénique - L’instant prégnant dans le Laocoon de Lessing
Le modèle théâtral
Théorie diderotienne de la scène avant les Salons
La scène au salon : Le Fils naturel (1757) — Changer la scène : dépouillement et liaison sensible — Dépréciation de la décoration : De la poésie dramatique (1758) — Contre le discours, l’effet visuel de la scène — Espace vague, espace restreint — Le quatrième mur
Décoration, parade, danse : la dépréciation du modèle théâtral dans les Salons
Modèle tragique et coulisse : la Médée de Vanloo (1759) — Modèle de la foire et portrait : La Famille de La Rochefoucauld par Roslin (1765) — Modèle de l’opéra et hybris de la figure : La Course d’Hippomène et d'Atalante de Hallé (1765)
Non pas montrer, mais laisser voir
L‘œil et le regard : Lycurgue blessé dans une sédition, de Cochin (1761) — La fonction du voile
La relation esthétique
Corésus et Callirhoé : la fin de la scène
Le quart de tour du Corésus — Entre caverne et peinture – Ni narration, ni tableau — Le regard du père — La relation esthétique : une relation politique
Les scènes de la nature : une dissémination positive
La peinture contre la nature : un sublime matérialiste — “Une espèce de pont” : interception et réversion scopique — Virgile, Lucrèce, Rousseau : l’histoire quand même
Paysage et dialogue : le circuit de la relation
“Le coup de battoir d’une blanchisseuse” — Le modèle cartésien : l’admiration, forme première de la relation esthétique — Le modèle de l’acteur : “je suis double” — Le modèle politique : émergence de la révolte
Conclusion
La magie de Chardin — Les entassements de Boucher — L’ère des dispositifs