Aminte se sacrifie & sauve Lucrine (Pastor fido, acte I, Prault, 1766) - Cochin
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Analyse
« Les peuples d’Arcadie sacrifioient tous les ans une jeune Fille du païs à Diane, qu’ils adoroient ; ainsi l’Oracle le leur avoit depuis long-tems conseillé, pour faire cesser les maux dont ils étoient affligés. Le même Oracle, consulté depuis sur le terme de leurs miseres, leur avoit répondu :
“Vos maux ne finiront, que lorsque l’amour unira deux Rejetons des Dieux, & que la générosité d’un Berger fidele effacera le crime que commit autrefois une Nymphe perfide.”
Frappé de cette prédiction, Montan, Prêtre de la Déesse & Descendant d’Hercule, réussit à faire promettre en mariage à Silvio, son fils unique, la Nymphe Amarillis, aussi fille unique de Titire, qui de son côté rapportoit son origine au Dieu Pan. Mais, quelque effort que fissent les deux Peres, ils ne pouvoient parvenir à l’accomplissement de ce mariage ; le jeune Silvio n’avoit de passion que pour la chasse, & fuïoit tout ce qui pouvoit le rendre sensible. Amarillis cependant étoit tendrement aimée d’un Berger, nommé Mirtil, qui se croïoit lui-même fils de Carino, Berger d’Arcadie, mais qui depuis long-temps habitoit en Elide. Amarillis n’aimoit pas moins Mirtil ; mais elle n’osoit lui découvrir son amour, parce qu’elle craignoit l’effet de la loi, qui condamnoit à mort toute Nymphe infidelle. Corisque saisit cette occasion de perdre la Nymphe, à qui elle ne pardonnoit pas d’aimer Mirtil ; elle espere qu’après la mort de sa Rivale elle triomphera plus aisément de la constance du Berger, dont elle s’étoit elle-même éprise ; elle fait tant par se smensonges, & ses fourberies, que les deux Amans, peu précautionnés & conduits par des motifs bien différens de ceux qu’on leur attribue, se trouvent dans la même caverne. Un Satyre les dénonce, ils sont surpris ; & Amarillis, qui ne peut justifier son innocence, est condamnée à mourir. Mirtil, qui la croit coupable, & qui sait que la Loi ne condamne à la mort que la Nymphe infidelle, veut cependant la sauver & mourir à sa place, en profitant du privilege de la même Loi, qui permet à l’Homme d’offrir sa vie pour celle de la Criminelle. Il est conduit à l’Autel par Montan, qui faisoit, comme Prêtre de la Déesse, la fonction de Sacrificateur. Carino, qui cherchoit son cher Mirtil, arrive, il le trouve dans une situation qui l’étonne & qui le met au comble de la douleur, car il l’aimoit autant que s’il lui eût donné le jour. Il entreprend de lui sauver la vie, en prouvant que Mirtil étant étranger, il ne peut-être sacrifié pour une autre ; mais sans s’en appercevoir, il donne lieu de découvrir que Mirtil est fils de Montan même. Le Pere véritable exprime la douleur qu’il ressent d’être Ministre de la Loi contre son propre sang ; mais l’aveugle Tirenio, Prophête, vient lui ouvrir les yeux pour l’interprétation des paroles de l’Oracle. Il fait voir que non-seulement les Dieux ne veulent pas ce Sacrifice, mais que c’est le jour marqué par le Ciel, pour être la fin des maux dont l’Arcadie est affligée. On compare les paroles de l’Oracle avec ce qui vient d’arriver, & l’on reconnoît qu’Amarillis ne peut & ne doit épouser que Mirtil. Peu auparavant Silvio, chassant avec ardeur, avoit, par méprise, blessé Dorinde, dont il étoit adoré. Ce malheur avait fléchi la dureté de son cœur, & en le rendant sensible aux mouvemens de la pitié, l’avoit rendu tendre. Comme la blessure ne se trouve par mortelle, & qu’Amarillis devient épouse de Mirtil, Silvio épouse aussi Dorinde. Dans ce moment de bonheur inespéré, Corisque revient, elle demande & reçoit le pardon des Amans devenus Époux ; elle marque la reconnoissance de la grace qu’on lui accorde, & elle prend la résolution de changer de vie. »
(Argument du Pasto fido dans l’édition de Jean-Luc Nyon, Paris, 1759, texte italien et traduction française par Antoine Pecquet.)
La scène représentée par Cochin constitue en quelque sorte le préalable à cette narration, sa scène primitive : c’est la punition du « crime que commit autrefois une Nymphe perfide », Lucrine, sauvée in extremis par son amant Aminte, comme Mirtil s’offrira à mourir pour Amaryllis. L’histoire d’Aminte et de Lucrine est racontée par Ergaste à Mirtil à la scène seconde de l’Acte premier :
« Je vais te retracer, dès le commencement, la déplorable histoire de nos malheurs ; elle pourroit attendrir, je ne dis pas des hommes seulement, mais même les chânes le splus durs. Dans le temps que de jeunes Prêtres étoient encore admis au saint Sacerdoce & aux fonctions du Temple, un Berger distingué, nommé Aminte, qui alors exerçoit le Sacerdoce, aima Lucrine. Cette Nymphe étoit un miracle de beauté & de graces, mais un monstre d’infidélité & d’inconstance. Longtemps elle répondit au sincere & pur amour du Berger, ou du moins la perfide en donna-t-elle toutes les marques apparentes, & tandis qu’il ne se présenta pas de Rival, elle flatta les espérances de l’infortuné Aminte. Mais admire son inconstance ! un vil Berger ne l’eût pas plûtôt apperçue, que ne pouvant résister aux premiers regards ni aux premiers soupirs, elle s elivra toute entiere à d enouvelles amours, avant qu’Aminte eût pû avoir le moindre soupçon de la perfidie. Le mérpis, l’éloignement, furent les premiers effets de ce changement ; bientôt l’ingrate ne voulut plus l’écouter ni le voir. Juge par ton propre exemple si ce malheureux amant se livra aux pleurs & aux gémissemens.
MIRTIL
Oui, sans doute, c’est le plus grand de tous les maux.
ERGASTE
Lorsqu’Aminte eut en vain emploïé les larmes, les prieres, les soupirs, pour regagner le cœur de Lucrine, il s’adressa à la grande Déesse. Diane, dit-il, si jamais, avec un cœur pur & une main innocente, j’ai brûlé des parfums sur tes autels, venge ma flamme trahie par les trompeuses caresses d’une perfide Nymphe. La Déesse fut sensible aux prieres & aux plaintes de cet Amant fidele, de ce grand Prêtre dont la vertu lui étoit chere ; les mouvemens de s apitié ne firent que rendre son couroux plus vif ; elle prit son arc redoutable, & lança dans le sein de l’Arcadie des fléches invisibles, qui portoient en tous lieux une mort certaine. Tous, sans distinction d’âge & de sexe, périssoient sans secours, sans pitié : les remedes & la fuite étoient également inutiles ; & souve,t le médecin, essaïant de guérir le malade, mouroit avant lui. Au milieu de si grands maux, il ne resta plus de remede à attendre que des Dieux : on recourut à l’Oracle le plus voisin ; sa réponse ne fut que trop claire, mais plus funeste & plus terrible encore. Diane, dit-il, justement indignée, ne peut être appaisée que par le sang de la perfide Lucrine, ou de quelqu’autre du païs, offert pour elle, en sacrifice, par la main d’Aminte. L’infidelle, après d’inutiles larmes, après avoir en vain atte,ndu du secours de son nouvel Amant, fut solemnellement conduite à l’Autel sacré. Là , fléchissant ses genoux tremblants aux piés de cet Amant trahi, qui l’avoit si inutilement suivie ; elle n’attendoit que la mort d ela main du Grand-prêtre irrité : l’intrépide Aminte, animé de colere, & ne paroissant respirer que la vengeance, tire le glaive sacré, puis se retournant vers la Victime, & jettant un soupir, présage de sa propre mort : Lucrine, s’écrie-t-il, que ton malheur te fasse connoître quel Amant tu m’as préféré, & que ce coup t’apprenne quel Amant tu as abandonné. A l’instant il se frappe & plonge le glaive dans son sein : ainsi le Sacrificateur tombe Victime lui-même, entre les bras de Lucrine. Saisie par un spectacle si cruel & si peu attendu, elle reste un moment suspendue entre la vie & la mort, incertaine si c’est le fer ou sa propre douleur qui lui perce le cœur? A peine ses sens revenus lui laissent l’usage de la parole : fidele & courageux Aminte, dit-elle, en versant un torrent de larmes, Amant que je connus trop tard, qui me donne la mort en voulant me rendre la vie, il faut en m’unissant éternellement à toi, réparer le crime que je fis en t’abandonnant. Elle eut à peine achevé ces mots, qu’elle tire du sein de son Amant expira,t le glaive encore teint & fumant de son sang ; elle s’en perce le cœur, & se laisse tomber entre les bras d’Aminte, qui put encore être sensible au coup. Ainsi finirent les deux Amants, déplorables victimes d’une perfidie sans exemple & d’un amour excessif. » (éd. Nyon, Paris, 1759, pp. 81-89)
1. Signé sous la gravure, à gauche « C. N. Cochin filius del. », à droite « B. L. Prevost sculp. ».
Informations techniques
Notice #001145