Mort de la princesse de Lamballe - Faivre
Analyse
La princesse fut massacrĂ©e devant la porte de la prison de la Force Ă Paris le 3 septembre 1792. LâĂ©pisode est illustrĂ© dâapĂšs le rĂ©cit de Michelet :Â
« La victime quâils attendaient, dĂ©siraient, Ă©tait Mme de Lamballe. Ils avaient bien voulu Ă©pargner deux ou trois valets de chambre du Roi, du Dauphin, reconnaissant que le dĂ©vouement obligĂ© dâun serviteur ne peut ĂȘtre un crime ; mais Mme de Lamballe, ils la considĂ©raient comme la principale conseillĂšre de lâAutrichienne, sa confidente, son amie, et quelque chose de plus. Une curiositĂ© obscĂšne et fĂ©roce se mĂȘlait Ă la haine que son nom seul excitait et faisait dĂ©sirer sa mort. Ils se trompaient certainement pour lâinfluence quâils lui supposaient sur la reine. Le contraire Ă©tait plus vrai. Si la reine Ă©tait lĂ©gĂšre, elle nâĂ©tait pas docile ; elle avait des qualitĂ©s mĂąles et fortes, dominatrices, un caractĂšre intrĂ©pide. Mme de Lamballe Ă©tait, au sens propre, une femme. Son portrait, plus que fĂ©minin, est celui dâune mignonne petite fille savoyarde ; on sait quâelle Ă©tait, en effet, de ce pays. La tĂȘte est fort petite, sauf lâĂ©norme et ridicule Ă©chafaudage de cheveux, comme on les portait alors ; les traits aussi sont trop petits, plus mignons que beaux ; la bouche est jolie, mais serrĂ©e, avec le fixe sourire du Savoyard et du courtisan. Cette bouche ne dit pas grandâchose ; on sait en effet que la gentille princesse avait peu de conversation, nulle idĂ©e ; elle Ă©tait peu amusante. Le portrait, qui rĂ©pond trĂšs-bien Ă lâhistoire, est celui dâune personne agrĂ©able et mĂ©diocre, nĂ©e pour dĂ©pendre et obĂ©ir, pour souffrir et pour mourir â ce faible col Ă©lancĂ© ne fait que trop penser, hĂ©las ! Ă la catastrophe â. Mais ce que le portrait ne dit pas assez, câest quâelle Ă©tait faite aussi pour aimer. Il y parut Ă la mort. La reine lâaimait assez, mais elle fut pour elle, comme pour tous, lĂ©gĂšre, inĂ©gale. Elle se jeta dâabord Ă elle, avec tout lâemportement de son caractĂšre. La pauvre jeune Ă©trangĂšre, malheureuse par son mari qui la dĂ©laissait et mourut bientĂŽt, fut reconnaissante, se donna de cĆur, tout entiĂšre et pour toujours. Bien ou mal traitĂ©e, elle resta tendre et fidĂšle, avec la constance de son pays. Cette femme jeune et jolie Ă©tait toute Ă deux personnes, au vieux duc de PenthiĂšvre, son beau-pĂšre, qui voyait en elle une fille, et Ă la reine, qui lâoubliait pour Mme de Polignac. La reine nâavait aucun besoin de la bien traiter ; elle Ă©tait sĂ»re de son dĂ©vouement aveugle, en toute chose, honorable ou non ; elle sâen servait sans façon pour toute affaire et toute intrigue, la compromettait de toute maniĂšre, en usait et abusait. Quâon en juge par un fait : ce fut Mme de Lamballe quâelle envoya Ă la SalpĂȘtriĂšre pour offrir de lâargent Ă Mme de Lamotte, rĂ©cemment fouettĂ©e et marquĂ©e ; la reine apparemment craignait quâelle ne publiĂąt des mĂ©moires sur la vilaine affaire du collier. Le trop docile instrument de Marie-Antoinette reçut de la supĂ©rieure de lâhospice cette foudroyante parole : Elle est condamnĂ©e, madame, mais pas Ă vous voir.
La reine, en 90 et 91, se servit de Mme de Lamballe dâune maniĂšre moins honteuse, mais trĂšs-pĂ©rilleuse et la mit sur le chemin de la mort. Elle prit.son salon pour recevoir ; elle traita chez elle ou par elle avec les hommes importants de lâAssemblĂ©e quâelle essayait de corrompre ; elle fit venir lĂ les journalistes royalistes, les hommes les plus haĂŻs, les plus compromettants. Elle donna ainsi Ă son amie une importance politique quâautrement son caractĂšre, sa faiblesse, son dĂ©faut absolu de capacitĂ©, ne lui auraient donnĂ©e nullement. Le peuple commença Ă considĂ©rer cette petite femme comme un grand chef de parti. La seule chose bien certaine, câest quâelle avait, en tout, le secret de Marie-Antoinette, quâelle la savait tout entiĂšre, la reine nâayant jamais daignĂ© se cacher en rien pour une amie si dĂ©pendante, si faible, et qui lâaimait quand mĂȘme, comme un chien aime son maĂźtre.
Cette malheureuse femme Ă©tait Ă lâabri, en sĂ»retĂ©, quand elle apprit le danger de la reine. Sans rĂ©flexion, sans volontĂ©, son instinct la ramena pour mourir, si elle mourait. Elle fut avec elle, au 10 aoĂ»t ; avec elle, au Temple. On ne lui permit pas dây tester ; on lâarracha de Marie-Antoinette, et on la mit Ă la Force. Elle commença Ă sentir alors que son dĂ©vouement lâavait menĂ©e bien loin, jusquâĂ une Ă©preuve que sa faiblesse ne pouvait porter. Elle Ă©tait malade de peur. Dans la nuit du 2 au 3, elle avait vu partir Mme de Tourzel, et elle, elle Ă©tait restĂ©e. Cela lui annonçait son sort. Elle entendait des bruits terribles, Ă©coutait, sâenfonçait dans son lit, comme fait un enfant qui a peur. Vers huit heures, deux gardes nationaux entrent brusquement : Levez-vous, madame, il faut aller Ă lâAbbaye. â Mais, messieurs, prison pour prison, jâaime bien autant celle-ci, laissez-moi. Ils insistent. Elle les prie de sortir un moment, afin quâelle puisse sâhabiller. Elle en vient Ă bout, enfin ; mais elle ne peut marcher ; tremblante, elle prend le bras dâun des gardes nationaux, elle descend, elle arrive Ă ce tribunal dâenfer. Elle voit les juges, les armes, la mine sĂšche dâHĂ©bert et des autres, des hommes ivres, et du sang aux mains. Elle tombe, sâĂ©vanouit. Elle revient, et câest pour sâĂ©vanouir encore. Elle ne savait pas que beaucoup de gens dĂ©siraient passionnĂ©ment la sauver. Les juges lui Ă©taient favorables ; dans ceux mĂȘme qui la rudoyaient, jusque dans les massacreurs, on lui avait fait des amis. Tout ce quâil eĂ»t fallu, tâeĂ»t Ă©tĂ© quâelle pĂ»t parler un peu, quâou tirĂąt de sa bouche un mot quâon pĂ»t interprĂ©ter pour motiver son salut. On dit quâelle rĂ©pondit assez bien sur le 10 aoĂ»t ; mais quand on lui demanda de jurer haine Ă la royautĂ©, haine au roi, haine Ă la reine ! son cĆur se serra tellement, quâelle ne put plus parler ; elle perdit contenance, mit ses deux mains devant ses yeux, se dĂ©tourna vers la porte. Au moment oĂč elle la franchit, elle y trouva un certain Truchon, membre, je crois, de la Commune, qui sâempara dâelle, et dâautre part, un massacreur, le grand Nicolas, la saisit aussi. Tous deux, et dâautres encore, avaient promis de la sauver. On dit mĂȘme que plusieurs de ses gens sâĂ©taient mĂȘlĂ©s aux Ă©gorgeurs, et lâattendaient dans la rue. Crie Vive la nation ! disaient-ils, et tu nâauras pas de mal.
A ce moment, elle aperçut au coin de la petite rue Saint-Antoine quelque chose dâeffroyable, une masse molle et sanglante, sur laquelle un des massacreurs marchait des deux pieds avec ses souliers ferrĂ©s. CâĂ©tait un tas de corps tout nus, tout blancs, dĂ©pouillĂ©s, quâon avait amoncelĂ©s. Câest lĂ -dessus quâil fallait mettre la main, et prĂȘter serment : cette Ă©preuve fut trop forte. Elle se dĂ©tourna, et poussa ce cri : Fi ! Lâhorreur !
Il y avait, sans nul doute, dans les meurtriers, de furieux fanatiques qui, aprĂšs avoir tant tuĂ© dâinconnus, dâinnocents, sâindignaient de voir celle-ci, la plus coupable, Ă leur sens, lâamie et la confidente de la reine, qui allait ĂȘtre Ă©pargnĂ©e. Pourquoi ? parce quâelle Ă©tait princesse, quâelle Ă©tait trĂšs-riche, et quâil y avait beaucoup Ă gagner sans doute Ă la tirer de lĂ On assure quâen effet des sommes considĂ©rables avaient Ă©tĂ© distribuĂ©es entre ceux qui se faisaient fort de la sauver du massacre.
La lutte, selon toute apparence, se trouvait engagĂ©e pour elle entre les mercenaires et les fanatiques. Lâun des plus enragĂ©s, un petit perruquier, Charlat, tambour dans les volontaires, marche Ă elle, et de sa pique, lui fait sauter son bonnet ; ses beaux cheveux se dĂ©roulent et tombent de tous cĂŽtĂ©s. La main maladroite ou ivre qui lui avait fait cet outrage tremblait, et la pique lui avait effleurĂ© le front ; elle saignait. La vue du sang eut son effet ordinaire : plusieurs se jetĂšrent sur elle ; lâun dâeux vint par derriĂšre, et lui lança une bĂ»che ; elle tomba, et Ă lâinstant fut percĂ©e de plusieurs coups.
Elle expirait Ă peine, que les assistants, par une indigne curiositĂ© qui fut peut-ĂȘtre la cause principale de sa mort, se jetĂšrent dessus pour la voir. Les observateurs obscĂšnes se mĂȘlaient aux meurtriers, croyant surprendre sur elle quelque honteux mystĂšre qui confirmĂąt les bruits qui avaient couru. On arracha tout, et robe, et chemise ; et nue, comme Dieu lâavait faite, elle fut Ă©talĂ©e au coin dâune borne, Ă lâentrĂ©e de la rue Saint-Antoine. Son pauvre corps, trĂšs-conservĂ© relativement (elle nâĂ©tait plus trĂšs-jeune), tĂ©moignait plutĂŽt pour elle ; sa petite tĂȘte dâenfant, plus touchante dans la mort, disait trop son innocence, ou du moins faisait bien voir quâelle nâavait pu guĂšre faillir que par obĂ©issance ou faiblesse dâamitiĂ©.
Ce lamentable objet resta de huit heures Ă midi sur le pavĂ© inondĂ© de sang. Ce sang qui coulait par fontaines de ses nombreuses blessures venait de moment en moment la couvrir, la voiler aux yeux. Un homme sâĂ©tablit auprĂšs, pour Ă©tancher le flot ; il montrait le corps Ă la foule : Voyez-vous comme elle Ă©tait blanche ! voyez-vous la belle peau ! Il faut remarquer que ce dernier caractĂšre, bien loin dâexciter la pitiĂ©, animait la haine, Ă©tant considĂ©rĂ© comme un signe aristocratique. Ce fut un de ceux qui dans le massacre aidait le plus les meurtriers dans leurs Ă©tranges jugements sur ceux quâils allaient tuer. Ce mot : Monsieur de la peau fine, Ă©tait un arrĂȘt de mort.
Cependant, soit pour augmenter la honte et lâoutrage, soit de peur que lâassistance ne sâattendrit Ă la longue, les meurtriers se mirent Ă dĂ©figurer le corps. Un nommĂ© Grison lui coupa la tĂȘte ; un autre eut lâindignitĂ© de la mutiler au lieu mĂȘme que tous doivent respecter (puisque nous en sortons tous) ; le barbare lui coupa ces parties sacrĂ©es ; ce pauvre mystĂšre de femme, que les assassins eux-mĂȘmes auraient dĂ» voiler de la terre, ils le mirent au bout dâune pique et le promenĂšrent au soleil.
HĂątons-nous de dire que, de ces deux brigands, lâun fut plus tard guillotinĂ©, comme chef dâune bande de voleurs ; lâautre, Charlat, fut massacrĂ© Ă lâarmĂ©e par ses camarades, qui ne voulurent pas souffrir parmi eux cet homme infĂąme.
Ce fut une scĂšne effroyable de les voir partir de la Force, emportant au bout des piques, dans cette large et triomphale rue Saint-Antoine, leurs hideux trophĂ©es. Une foule immense les suivait, muette dâĂ©tonnement. Sauf quelques enfants et quelques gens ivres qui criaient, tous les autres Ă©taient pĂ©nĂ©trĂ©s dâhorreur. Une femme, pour Ă©chapper Ă cette vue, se jette chez un perruquier ; et voilĂ la tĂȘte coupĂ©e qui arrive Ă la boutique, qui entre... Cette femme, foudroyĂ©e de peur, tombe Ă la renverse, heureusement de maniĂšre quâelle tombe dans lâarriĂšre-boutique. Les assassins jettent la tĂȘte sur le comptoir, disent au perruquier quâil faut la friser ; ils la menaient, disaient-ils, voir sa maĂźtresse au Temple ; il nâeĂ»t pas Ă©tĂ© dĂ©cent quâelle se prĂ©sentĂąt ainsi. Leur caprice Ă©tait, en effet, dâexercer sur la reine ce supplice atroce et infĂąme de la forcer de voir le cĆur, la tĂȘte et les parties honteuses de Mme de Lamballe, â ce cĆur qui lâavait tant aimĂ©e. »
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Notice #014676