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Mort de la princesse de Lamballe - Faivre

Date :
1908
Nature de l'image :
Peinture sur toile
Dimensions (HxL cm) :
265x367
MV6678

Analyse

La princesse fut massacrĂ©e devant la porte de la prison de la Force Ă  Paris le 3 septembre 1792. L’épisode est illustrĂ© d’apĂšs le rĂ©cit de Michelet : 

« La victime qu’ils attendaient, dĂ©siraient, Ă©tait Mme de Lamballe. Ils avaient bien voulu Ă©pargner deux ou trois valets de chambre du Roi, du Dauphin, reconnaissant que le dĂ©vouement obligĂ© d’un serviteur ne peut ĂȘtre un crime ; mais Mme de Lamballe, ils la considĂ©raient comme la principale conseillĂšre de l’Autrichienne, sa confidente, son amie, et quelque chose de plus. Une curiositĂ© obscĂšne et fĂ©roce se mĂȘlait Ă  la haine que son nom seul excitait et faisait dĂ©sirer sa mort. Ils se trompaient certainement pour l’influence qu’ils lui supposaient sur la reine. Le contraire Ă©tait plus vrai. Si la reine Ă©tait lĂ©gĂšre, elle n’était pas docile ; elle avait des qualitĂ©s mĂąles et fortes, dominatrices, un caractĂšre intrĂ©pide. Mme de Lamballe Ă©tait, au sens propre, une femme. Son portrait, plus que fĂ©minin, est celui d’une mignonne petite fille savoyarde ; on sait qu’elle Ă©tait, en effet, de ce pays. La tĂȘte est fort petite, sauf l’énorme et ridicule Ă©chafaudage de cheveux, comme on les portait alors ; les traits aussi sont trop petits, plus mignons que beaux ; la bouche est jolie, mais serrĂ©e, avec le fixe sourire du Savoyard et du courtisan. Cette bouche ne dit pas grand’chose ; on sait en effet que la gentille princesse avait peu de conversation, nulle idĂ©e ; elle Ă©tait peu amusante. Le portrait, qui rĂ©pond trĂšs-bien Ă  l’histoire, est celui d’une personne agrĂ©able et mĂ©diocre, nĂ©e pour dĂ©pendre et obĂ©ir, pour souffrir et pour mourir — ce faible col Ă©lancĂ© ne fait que trop penser, hĂ©las ! Ă  la catastrophe —. Mais ce que le portrait ne dit pas assez, c’est qu’elle Ă©tait faite aussi pour aimer. Il y parut Ă  la mort. La reine l’aimait assez, mais elle fut pour elle, comme pour tous, lĂ©gĂšre, inĂ©gale. Elle se jeta d’abord Ă  elle, avec tout l’emportement de son caractĂšre. La pauvre jeune Ă©trangĂšre, malheureuse par son mari qui la dĂ©laissait et mourut bientĂŽt, fut reconnaissante, se donna de cƓur, tout entiĂšre et pour toujours. Bien ou mal traitĂ©e, elle resta tendre et fidĂšle, avec la constance de son pays. Cette femme jeune et jolie Ă©tait toute Ă  deux personnes, au vieux duc de PenthiĂšvre, son beau-pĂšre, qui voyait en elle une fille, et Ă  la reine, qui l’oubliait pour Mme de Polignac. La reine n’avait aucun besoin de la bien traiter ; elle Ă©tait sĂ»re de son dĂ©vouement aveugle, en toute chose, honorable ou non ; elle s’en servait sans façon pour toute affaire et toute intrigue, la compromettait de toute maniĂšre, en usait et abusait. Qu’on en juge par un fait : ce fut Mme de Lamballe qu’elle envoya Ă  la SalpĂȘtriĂšre pour offrir de l’argent Ă  Mme de Lamotte, rĂ©cemment fouettĂ©e et marquĂ©e ; la reine apparemment craignait qu’elle ne publiĂąt des mĂ©moires sur la vilaine affaire du collier. Le trop docile instrument de Marie-Antoinette reçut de la supĂ©rieure de l’hospice cette foudroyante parole : Elle est condamnĂ©e, madame, mais pas Ă  vous voir.
La reine, en 90 et 91, se servit de Mme de Lamballe d’une maniĂšre moins honteuse, mais trĂšs-pĂ©rilleuse et la mit sur le chemin de la mort. Elle prit.son salon pour recevoir ; elle traita chez elle ou par elle avec les hommes importants de l’AssemblĂ©e qu’elle essayait de corrompre ; elle fit venir lĂ  les journalistes royalistes, les hommes les plus haĂŻs, les plus compromettants. Elle donna ainsi Ă  son amie une importance politique qu’autrement son caractĂšre, sa faiblesse, son dĂ©faut absolu de capacitĂ©, ne lui auraient donnĂ©e nullement. Le peuple commença Ă  considĂ©rer cette petite femme comme un grand chef de parti. La seule chose bien certaine, c’est qu’elle avait, en tout, le secret de Marie-Antoinette, qu’elle la savait tout entiĂšre, la reine n’ayant jamais daignĂ© se cacher en rien pour une amie si dĂ©pendante, si faible, et qui l’aimait quand mĂȘme, comme un chien aime son maĂźtre.
Cette malheureuse femme Ă©tait Ă  l’abri, en sĂ»retĂ©, quand elle apprit le danger de la reine. Sans rĂ©flexion, sans volontĂ©, son instinct la ramena pour mourir, si elle mourait. Elle fut avec elle, au 10 aoĂ»t ; avec elle, au Temple. On ne lui permit pas d’y tester ; on l’arracha de Marie-Antoinette, et on la mit Ă  la Force. Elle commença Ă  sentir alors que son dĂ©vouement l’avait menĂ©e bien loin, jusqu’à une Ă©preuve que sa faiblesse ne pouvait porter. Elle Ă©tait malade de peur. Dans la nuit du 2 au 3, elle avait vu partir Mme de Tourzel, et elle, elle Ă©tait restĂ©e. Cela lui annonçait son sort. Elle entendait des bruits terribles, Ă©coutait, s’enfonçait dans son lit, comme fait un enfant qui a peur. Vers huit heures, deux gardes nationaux entrent brusquement : Levez-vous, madame, il faut aller Ă  l’Abbaye. — Mais, messieurs, prison pour prison, j’aime bien autant celle-ci, laissez-moi. Ils insistent. Elle les prie de sortir un moment, afin qu’elle puisse s’habiller. Elle en vient Ă  bout, enfin ; mais elle ne peut marcher ; tremblante, elle prend le bras d’un des gardes nationaux, elle descend, elle arrive Ă  ce tribunal d’enfer. Elle voit les juges, les armes, la mine sĂšche d’HĂ©bert et des autres, des hommes ivres, et du sang aux mains. Elle tombe, s’évanouit. Elle revient, et c’est pour s’évanouir encore. Elle ne savait pas que beaucoup de gens dĂ©siraient passionnĂ©ment la sauver. Les juges lui Ă©taient favorables ; dans ceux mĂȘme qui la rudoyaient, jusque dans les massacreurs, on lui avait fait des amis. Tout ce qu’il eĂ»t fallu, t’eĂ»t Ă©tĂ© qu’elle pĂ»t parler un peu, qu’ou tirĂąt de sa bouche un mot qu’on pĂ»t interprĂ©ter pour motiver son salut. On dit qu’elle rĂ©pondit assez bien sur le 10 aoĂ»t ; mais quand on lui demanda de jurer haine Ă  la royautĂ©, haine au roi, haine Ă  la reine ! son cƓur se serra tellement, qu’elle ne put plus parler ; elle perdit contenance, mit ses deux mains devant ses yeux, se dĂ©tourna vers la porte. Au moment oĂč elle la franchit, elle y trouva un certain Truchon, membre, je crois, de la Commune, qui s’empara d’elle, et d’autre part, un massacreur, le grand Nicolas, la saisit aussi. Tous deux, et d’autres encore, avaient promis de la sauver. On dit mĂȘme que plusieurs de ses gens s’étaient mĂȘlĂ©s aux Ă©gorgeurs, et l’attendaient dans la rue. Crie Vive la nation ! disaient-ils, et tu n’auras pas de mal.
A ce moment, elle aperçut au coin de la petite rue Saint-Antoine quelque chose d’effroyable, une masse molle et sanglante, sur laquelle un des massacreurs marchait des deux pieds avec ses souliers ferrĂ©s. C’était un tas de corps tout nus, tout blancs, dĂ©pouillĂ©s, qu’on avait amoncelĂ©s. C’est lĂ -dessus qu’il fallait mettre la main, et prĂȘter serment : cette Ă©preuve fut trop forte. Elle se dĂ©tourna, et poussa ce cri : Fi ! L’horreur !
Il y avait, sans nul doute, dans les meurtriers, de furieux fanatiques qui, aprĂšs avoir tant tuĂ© d’inconnus, d’innocents, s’indignaient de voir celle-ci, la plus coupable, Ă  leur sens, l’amie et la confidente de la reine, qui allait ĂȘtre Ă©pargnĂ©e. Pourquoi ? parce qu’elle Ă©tait princesse, qu’elle Ă©tait trĂšs-riche, et qu’il y avait beaucoup Ă  gagner sans doute Ă  la tirer de lĂ  On assure qu’en effet des sommes considĂ©rables avaient Ă©tĂ© distribuĂ©es entre ceux qui se faisaient fort de la sauver du massacre.
La lutte, selon toute apparence, se trouvait engagĂ©e pour elle entre les mercenaires et les fanatiques. L’un des plus enragĂ©s, un petit perruquier, Charlat, tambour dans les volontaires, marche Ă  elle, et de sa pique, lui fait sauter son bonnet ; ses beaux cheveux se dĂ©roulent et tombent de tous cĂŽtĂ©s. La main maladroite ou ivre qui lui avait fait cet outrage tremblait, et la pique lui avait effleurĂ© le front ; elle saignait. La vue du sang eut son effet ordinaire : plusieurs se jetĂšrent sur elle ; l’un d’eux vint par derriĂšre, et lui lança une bĂ»che ; elle tomba, et Ă  l’instant fut percĂ©e de plusieurs coups.
Elle expirait Ă  peine, que les assistants, par une indigne curiositĂ© qui fut peut-ĂȘtre la cause principale de sa mort, se jetĂšrent dessus pour la voir. Les observateurs obscĂšnes se mĂȘlaient aux meurtriers, croyant surprendre sur elle quelque honteux mystĂšre qui confirmĂąt les bruits qui avaient couru. On arracha tout, et robe, et chemise ; et nue, comme Dieu l’avait faite, elle fut Ă©talĂ©e au coin d’une borne, Ă  l’entrĂ©e de la rue Saint-Antoine. Son pauvre corps, trĂšs-conservĂ© relativement (elle n’était plus trĂšs-jeune), tĂ©moignait plutĂŽt pour elle ; sa petite tĂȘte d’enfant, plus touchante dans la mort, disait trop son innocence, ou du moins faisait bien voir qu’elle n’avait pu guĂšre faillir que par obĂ©issance ou faiblesse d’amitiĂ©.
Ce lamentable objet resta de huit heures Ă  midi sur le pavĂ© inondĂ© de sang. Ce sang qui coulait par fontaines de ses nombreuses blessures venait de moment en moment la couvrir, la voiler aux yeux. Un homme s’établit auprĂšs, pour Ă©tancher le flot ; il montrait le corps Ă  la foule : Voyez-vous comme elle Ă©tait blanche ! voyez-vous la belle peau ! Il faut remarquer que ce dernier caractĂšre, bien loin d’exciter la pitiĂ©, animait la haine, Ă©tant considĂ©rĂ© comme un signe aristocratique. Ce fut un de ceux qui dans le massacre aidait le plus les meurtriers dans leurs Ă©tranges jugements sur ceux qu’ils allaient tuer. Ce mot : Monsieur de la peau fine, Ă©tait un arrĂȘt de mort.
Cependant, soit pour augmenter la honte et l’outrage, soit de peur que l’assistance ne s’attendrit Ă  la longue, les meurtriers se mirent Ă  dĂ©figurer le corps. Un nommĂ© Grison lui coupa la tĂȘte ; un autre eut l’indignitĂ© de la mutiler au lieu mĂȘme que tous doivent respecter (puisque nous en sortons tous) ; le barbare lui coupa ces parties sacrĂ©es ; ce pauvre mystĂšre de femme, que les assassins eux-mĂȘmes auraient dĂ» voiler de la terre, ils le mirent au bout d’une pique et le promenĂšrent au soleil.
HĂątons-nous de dire que, de ces deux brigands, l’un fut plus tard guillotinĂ©, comme chef d’une bande de voleurs ; l’autre, Charlat, fut massacrĂ© Ă  l’armĂ©e par ses camarades, qui ne voulurent pas souffrir parmi eux cet homme infĂąme.
Ce fut une scĂšne effroyable de les voir partir de la Force, emportant au bout des piques, dans cette large et triomphale rue Saint-Antoine, leurs hideux trophĂ©es. Une foule immense les suivait, muette d’étonnement. Sauf quelques enfants et quelques gens ivres qui criaient, tous les autres Ă©taient pĂ©nĂ©trĂ©s d’horreur. Une femme, pour Ă©chapper Ă  cette vue, se jette chez un perruquier ; et voilĂ  la tĂȘte coupĂ©e qui arrive Ă  la boutique, qui entre... Cette femme, foudroyĂ©e de peur, tombe Ă  la renverse, heureusement de maniĂšre qu’elle tombe dans l’arriĂšre-boutique. Les assassins jettent la tĂȘte sur le comptoir, disent au perruquier qu’il faut la friser ; ils la menaient, disaient-ils, voir sa maĂźtresse au Temple ; il n’eĂ»t pas Ă©tĂ© dĂ©cent qu’elle se prĂ©sentĂąt ainsi. Leur caprice Ă©tait, en effet, d’exercer sur la reine ce supplice atroce et infĂąme de la forcer de voir le cƓur, la tĂȘte et les parties honteuses de Mme de Lamballe, — ce cƓur qui l’avait tant aimĂ©e. »

Sources textuelles :
Michelet, Histoire de la révolution française (1847-1853)
Livre VII, Chapitre 6, le 3 et le 4 septembre [1792]

Informations techniques

Notice #014676

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Identifiant historique :
B3995
Traitement de l'image :
Image web
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http://www.photo.rmn.fr (Réunion des Musées Nationaux)