Combat de Gauvain contre Segurade (Lancelot du lac, Ms Fr 114)
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Analyse
« Un moment aprĂšs, la dame de Roestoc sâĂ©loigne et va attendre Ă quelque distance avec les autres dames. Gauvain attache ses gantelets et relĂšve sa ventaille. Hector lui lace le heaume, et le sĂ©nĂ©chal lui prĂ©sente le cheval de combat. Quand il est montĂ©, Hector lui tend lâĂ©cu, le sĂ©nĂ©chal la lance. Il passe dans lâenceinte fermĂ©e ; Segurade y entre de lâautre cĂŽtĂ©. Alors, ils se mesurent des yeux, prennent du champ et se rapprochent; lâĂ©cu serrĂ© sur la poitrine, et lance sur feutre. Les chevaux sont lancĂ©s; les glaives Ă©clatent dĂšs le premier choc. Gauvain et Segurade reviennent lâun sur lâautre, sâĂ©treignent et tombent ensemble si lourdement, quâen les voyant immobiles on les eĂ»t crus mortellement atteints. Segurade se dĂ©gage, se redresse, met la main Ă lâĂ©pĂ©e, passe son bras dans les enarmes de son Ă©cu, et revient sur Gauvain au moment oĂč il se relevait. Ce fut alors un Ă©change de coups dâestoc et de taille. Ils fendent, Ă©cartĂšlent et dĂ©coupent leurs Ă©cus; ils faussent les heaumes, et font pĂ©nĂ©trer la pointe de lâacier dans les hauberts. Telle est la sĂ»retĂ© de lâattaque, la vigueur de la dĂ©fense, quâon ne sait Ă qui des deux donner lâavantage. Enfin, cĂ©dant Ă la mĂȘme fatigue, ils laissent tomber leurs bras, et semblent garder Ă peine la force de retenir leurs Ă©cus. Ce temps dâarrĂȘt fut court; tels que deux lions furieux, ils reviennent lâun sur lâautre, et rassemblent dans un dernier effort, tout ce qui leur reste de vigueur. Aux approches de midi, messire Gauvain se contente de la dĂ©fensive ; lâardeur de Segurade sâen accroĂźt. Il Ă©tait, on le sait, dans la destinĂ©e de Gauvain de nâavoir plus aux approches de midi que la valeur dâun guerrier ordinaire: mais une fois le soleil au milieu de sa course, il se ranimait et dĂ©ployait la vigueur de deux hommes. Segurade sâen aperçut bientĂŽt: comme il pensait lâavoir outrĂ©, le voilĂ qui reçoit des coups terribles, et se voit, Ă son tour, rudement menĂ©. Ce nâest plus un homme, câest un dĂ©mon auquel il croit avoir affaire: il se garde, il se dĂ©robe; câen est fait, lâinvincible sera vaincu; adieu sa renommĂ©e, adieu la conquĂȘte de la dame quâil aime. Le sang perdu, les blessures ouvertes, le soleil ardent tombant Ă plomb sur son heaume dĂ©cerclĂ©, tout rend sa dĂ©faite inĂ©vitable. Il recule, il se roule, il se dĂ©robe; efforts inutiles, un coup suprĂȘme le fait tomber sur les mains, et quand il essaye de se relever, Gauvain lui pose un genou sur la poitrine, dĂ©lace son heaume et du pommeau de son Ă©pĂ©e le frappe au front, au visage. âMerci ! crie-t-il. â Avouez donc que vous ĂȘtes conquis et outrĂ©. â Merci, gentil chevalier ! mais ne mâobligez pas Ă dire le mot honteux. â Câest Ă votre dame Ă dĂ©cider.» On va dire Ă la dame de Roestoc que son chevalier a vaincu; elle arrive transportĂ©e de joie, tombe aux pieds de Gauvain, baise les mailles de ses chausses, lâor de ses Ă©perons. «Madame, que voulez-vous de ce chevalier ? â Sire, il nâest pas Ă moi, mais Ă vous; faites-en votre plaisir. â Non, dame, je suis votre champion, jâai dĂ©fendu votre droit; vous seule ĂȘtes la maĂźtresse. Je vous dirai seulement que Segurade, un des meilleurs chevaliers du monde, vous crie merci. â Cher sire, dit la dame, ce que vous ferez sera bien fait.â Gauvain alors le releva et Segurade se reconnut vassal de la dame de Roestoc. »
  Â
1. Rubrique sous lâimage : « C. messire gauuain se combat contre Segurades et loultra darmes et ct. g[auuain] sen ala et la da[m]e de rastor ne sen prit g[ar]de. »
Informations techniques
Notice #016216