Nativité (version de San Rocco) - Tintoret
Analyse
La Nativité est rapportée ainsi dans l'Evangile de Luc :
Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée, parce qu’il était de la famille et de la descendance de David, pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là , le jour où elle devait accoucher arriva ; elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes. (Luc 2, 4-8)
La toile immense de 5 m ½ sur 4 m ½ exécutée par le Tintoret vers 1580, est coupée en deux : en bas les bergers et les animaux, en haut la sainte famille et les anges. La bipartition prend ici un sens spirituel : en bas, les activités terrestres, en haut l'événement divin.
Tout se passe dans une étable, bien délabrée mais ouverte sur le ciel, ses anges et la lumière divine. Ses deux étages permettent une composition tout aussi théâtrale qu’à l’ordinaire, mais où la disposition verticale des participants, permet de créer de nouvelles situations.
La composition du haut est organisée comme un dévoilement : Marie à droite soulève un linge pour révéler l'Enfant à deux femmes, placées à gauche en position de spectatrices. L'une l’adore à genoux, tandis que l’autre tient une cuiller et un petit récipient rond, avec un effet de clair-obscur qui met en valeur son sein découvert : elle vient de tirer son lait. Cette femme est le symbole de la Charité, comme l’autre l’est de la Foi.
Ce qui se passe dans la scène du bas correspond à la suite du récit de Luc, à l'Adoration des Bergers :
Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau. […] Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux : Allons donc jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire. Après avoir vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant. (Luc 2,14-17)
A l’ordre du haut s’oppose le tumulte du bas, et d'abord celui des animaux : un âne peu visible au fond à gauche et un bœuf tournant la tête, mais aussi un coq et un paon. L'état lamentable du toit de la grange permet de bien éclairer les animaux : à la fois par derrière et d'en haut à l'avant, car le plancher intermédiaire ne couvre que la moitié arrière de la grange. Le Tintoret exploite avec virtuosité les effets de clair-obscur que cette disposition complexe permet.
Sur le devant à gauche deux bergers, dans un beau mouvement vertical, font le lien entre le bas et le haut. L’un tire son offrande d’un panier d’œufs, il la tend vers le haut. Son voisin fait de même et atteint vraiment le niveau supérieur. A droite deux autres bergers sont à genoux et adorent l’Enfant, tandis qu’une jeune femme leur désigne les animaux. Elle tient dans ses mains un plat qui fait pendant avec le récipient de la nourrice en haut à gauche.
Ses vêtements et ses bijoux sont, non ceux d’une bergère, mais plutôt ceux d’une femme du XVIe s. Et ces animaux sont très symboliques : le paon sur son perchoir, qui n’a rien à faire dans une humble ferme, est l’image de la résurrection à venir ; le coq évoque la trahison de Pierre (« Le coq ne chantera pas avant que tu m’aies renié trois fois », Jean 13, 38) mais aussi le pardon et la vigilance. La femme qui le désigne, est le symbole de l’Espérance, et avec la Foi et la Charité du haut, le peintre appelle ses contemporains à pratiquer les trois vertus chrétiennes.
Informations techniques
Notice #021466