La guerre de Troie (Virgile, Énéide, I, Escurial RBME S-II-19, f53r)
Notice précédente Notice n°7 sur 19 Notice suivante
Analyse
Cette première miniature de l'Énéide est inhabituelle et déconcertante : ce n'est ni la destruction de Troie, ni la tempête.
Essayons plusieurs hypothèses de lecture.
Une première hypothèse, savante, consisterait à imaginer une contamination du Roman de Troie, qui contrairement à l'Énéide part des origines de la guerre. Au premier plan, la troupe de cavaliers sortant d'une ville en grande pompe pour se diriger au fond à droite vers une autre ville, guidée par une déesse, désignerait les Grecs, poussés par Junon à la guerre de Troie.
Au second plan à droite, dans le creux d'un vallon près de la mer, un camp est dressé en face d'une ville : ce seraient encore les Grecs, assiégeant Troie.
Au fond à gauche, une ville est en flammes, et presque détruite. A nouveau Troie ? Une flotte traverse l'horizon marin de gauche à droite : il s'agirait de la flotte d'Énée et de ses compagnons, partant pour Carthage.
Cette hypothèse n'est pas très convaincante : les Grecs ne viennent pas d'une ville, ils franchissent la mer pour parvenir à Troie, et surtout ce n'est pas du tout le début de l'Énéide.
Une seconde hypothèse, triviale, consisterait à supposer que l'enlumineur a illustré littéralement les premiers vers : au premier plan, arma virumque cano, je chante, est figuré par les cavaliers de tête sonnant de la trompette, tandis que les armes et le héros prenennt la consistance d'une troupe de cavaliers en armes ; cette troupe sort de Troie : Troiae qui primus ab oris est représenté par Énée sortant glorieusement de sa ville. Narrativement, c'est un contresens, mais littéralement cela mime en quelque sorte le texte.
Au second plan est figuré le vers 2 : le chemin qu'empruntent Énée et sa troupe mène à une ville au bord de la mer, Laviniaque venit litora, face à laquelle l'enlumineur a dessiné ce qui serait un camp d'assiégeants troyens. Ce n'est pas le récit que fera Virgile aux livres VII à XII, mais c'est la lecture myope du vers. Au dessus de la ville flotte une déesse vêtue de rouge qu'on retrouvera à la miniature suivante : c'est Junon. Le vers 4, ui superum saeuae memorem Iunonis ob iram, nous dit en effet que tout ceci a lieu par la volonté des dieux, à cause de la colère rancunière de Junon. Junon flottant au-dessus de Lavinium bras écartés en barre en quelque sorte l'accès.
Mais qu'est-ce au juste qui a lieu ? Non l'arrivée directe d'Énée, mais ses tribulations pour y arriver : c'est le vers 3 et le 3e plan de la miniature. Multum ille et terris iactatus et alto, Énée a été beaucoup malmené et sur terre et sur mer : sur terre d'abord à gauche, c'est l'incendie de Troie ; sur mer ensuite, et c'est la file des bateaux partant pour l'exil.
Le A historié figure Virgile écrivant sous l'inspiration de sa Muse.
2. Folio 53 recto.
Informations techniques
Notice #025097