L'éveil de l'Intelligence grâce au monde silencieux des livres - Anonyme d'après Christophe Tassin
Analyse
Ce tableau allégorique commandé par Inguimbert pour sa bibliothèque est destiné à expliquer quelle est la fonction d’une bibliothèque, et plus généralement la fonction des livres : les livres éveillent l’intelligence et permettent de comprendre le monde. Avant les livres, l'intelligence, représentée ici au premier plan à gauche, dort. Après la lecture, elle ouvre à la contemplation de la nature. Le dispositif du tableau image ce qu’est toute expérience de lecture : la lecture, comme les putto sur la toile, lève le voile qui recouvre la nature et permet d'accéder à sa vérité.
Le drap est tendu entre deux branches à droite et le putto d’en haut à gauche. Il déroule le texte d'un frontispice, qui pourrait être le frontispice de tout livre. Il faut se garder d'en surtraduire le texte latin, qui développe un paradoxe courant : les livres sont muets, et pourtant ils parlent. Il ne s'agit pas ici de célébrer l'immortalité que les écrivains s'acquièrent pas leurs livres (un seul possessif dans le texte latin, et aucune référence à la mort), mais de célébrer la lecture : une bibliothèque est un lieu silencieux, et pourtant il bruit de multiples paroles.
Le spectateur est invité à lever le voile du frontispice et à pénétrer dans ce monde paradoxal de la bibliothèque, conçue comme une porte d'entrée dans le monde en général. Ce passage se fait par étapes, il est guidé par les putti.
En haut à gauche, le putto du sommeil montre le mot superstites : « Par les livres, les hommes sont superstites, ils survivent. » L'éternité des livres représente encore l'état de l'intelligence en sommeil. Le second putto, en dessous, montre le mot loquuntur : « Loquuntur et tacent : ils parlent même s’ils ont l’air de se taire. » C’est ce que le putto de l’éveil rappelle à l’intelligence endormie, dont il tapote l’épaule pour l’éveiller. L'intelligence est dotée d'un certain nombre d'attributs : le globe pour la connaissance du monde, le compas et la boussole pour la circulation tout autour du monde, l’équerre pour les sciences. Enfin à droite, le troisème putto esquisse le mouvement de lever le drap. Il accompagne le lecteur dans le franchissement de ce passage : le voile qui recouvre la nature va se soulever grâce à la lecture et le lecteur accèdera à sa vision. Ce troisième putto montre respondent : il annonce la réponse muette du livre aux questions du lecteur sur la nature.
La nature déborde du drap-frontispice : elle est représentée en haut par les branches des arbres, en bas par la rive et les oiseaux, à droite par une ville fortifiée sur une île du fleuve.
- Sur le drap tendu par les putti, on lit :
Vivvnt in libris homines
svperstites sibi
impresservnt se operibvs svis
loqvvntur et tacent
avdivntur et silent
loqvvuntvr dvm legvntvr
et mvti respondent
Les hommes vivent dans les livres :
se survivant à eux-mêmes,
ils se sont imprimés dans leurs œuvres.
Ils parlent et ils se taisent,
ils sont entendus et ils gardent le silence.
Ils parlent à mesure qu'ils sont lus
Et, bien que muets, ils répondent.
Informations techniques
Notice #025366