Amants au beau milieu de la nuit - Shin Yun-bok
Analyse
A gauche, la lune qui Ă©merge du bosquet, Ă cĂŽtĂ© du toit de tuiles, indique le moment de la rencontre. La lune est nimbĂ©e dâun voile nuageux noir qui signifie lâobscuritĂ© de la scĂšne, comme le suggĂšre le poĂšme (« quand la lune est sombre »). Lâhomme est imberbe, et coiffĂ© dâun « gat », un chapeau en crin de cheval : il est jeune et de famille noble. De la main droite, il tient une lanterne, tandis que de la gauche il cherche quelque chose dans son vĂȘtement, Ă sa ceinture. Ses pieds sont dĂ©jĂ sur le dĂ©part, mais sa tĂȘte est encore tournĂ©e vers la dame, dont un chĂąle bleu et un voile blanc sont censĂ©s dissimuler le visage. Sa robe vert pĂąle, sa veste bordĂ©e de rouge et ses chaussures rouges (noires sur la photo) attestent Ă©galement une condition noble.
La pliure de la page est Ă©galement lâangle du mur : on peut penser que les amants viennent de quitter la maison Ă gauche. Ils ont tournĂ© Ă lâangle de la rue pour ne pas ĂȘtre vus devant la maison. Ils se disent adieu ainsi Ă lâabri des regards, et le jeune homme sâĂ©loignera bientĂŽt.
Ă cette Ă©poque, le couvre-feu Ă©tait en usage Ă cette heure dans les rues de la capitale dynastique de Hanseong. De toutes façons, lâusage interdisait Ă un homme et Ă une femme de la noblesse de se retrouver seuls sâils nâĂ©taient pas de la mĂȘme famille. Les dames ne sortaient dâailleurs quâen palanquin, afin de se soustraire aux regards indiscrets.
La jeune femme nâa donc pas seulement enfreint tous les usages en recevant le jeune homme chez elle ; en le raccompagnant pour un petit bout de chemin dehors, elle aggrave encore la transgression des biensĂ©ances.
Ă la nettetĂ© et Ă la finesse de trait des personnages sâoppose le flou du lieu, rĂ©alisĂ© grĂące Ă une encre claire, un tracĂ© et un coloriage trĂšs partiels. Le caractĂšre Ă©phĂ©mĂšre de la scĂšne en sort dâautant plus renforcĂ© que lâouverture du livre, dont la pliure correspond avec lâangle du mur, rĂ©alise la sortie des personnages de la maison et lâĂ©loignement du jeune homme : regarder la scĂšne suppose dâouvrir le livre et donc de consommer la sĂ©paration.
(Voir, pour lâanalyse de cette peinture, lâarticle de Cho Insoo, universitĂ© nationale des arts de CorĂ©e, Koreana, vol. 9, n°3, aut. 2008. Mon analyse complĂšte la sienne, je lâespĂšre sans contresens. StĂ©phane Lojkine.)
1. Sur le mur, on peut lire le poĂšme suivant, de trois vers :
« Au beau milieu de la nuit,
quand la lune est sombre,
les deux cĆurs ne font quâun. »
Lâartiste signe au bas du poĂšme, de son surnom « Heywon ».
2. « Amants au beau milieu de la nuit » constitue lâune des scĂšnes du « Heywonjeonsincheop », recueil de trente pages oĂč lâartiste peignit des peintures de mĆurs.
3. Le titre « Amants au clair de lune » me paraĂźt impropre Ă cause du vers « quand la lune est sombre ». Le peintre ne reprĂ©sente pas un clair de lune, mais au contraire le moment oĂč, la lune disparaissant dans un nuage, les amants peuvent se quitter sans ĂȘtre vus. Il faut opposer cette composition Ă celle du mĂȘme peintre qui reprĂ©sente lâĂ©treinte de deux amants adultĂšres dans la rue, surprise par la jeune Ă©pouse Ă la faveur du clair de lune : la lune est alors reprĂ©sentĂ©e pleine et sans nuages. (Voir lien.)
Informations techniques
Notice #006947