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Recherche infructueuse

La marchande Ă  la toilette - Joseph-Marie Vien

Série de l'image :
Date :
1763
Nature de l'image :
Peinture sur toile
Dimensions (HxL cm) :
117x140 cm
Inv 8424

Analyse

Livret du Salon de 1763 :

« Par M. Vien, Professeur.
23. La Marchande Ă  la Toilette.
Tableau de 3 pieds 9 pouces, sur 2 pieds 11 pouces.
Cette composition a été faite sur le récit d’un Tableau trouvé à Herculanum, & que l’on voit dans le cabinet du Roi des Deux Siciles, à Portici. Ce Tableau antique a été gravé depuis dans le troisiéme volume des Peintures de cette ville, Planche VIII.
On est en Ă©tat de remarquer les diffĂ©rences qui se trouvent entre ces deux compositions. Â»

Mercure de France, octobre 1763 :

« M. Vien.
Les Ouvrages de M. Vien se distinguent au Sallon par une rigoureuse imitation de l’Antique. Il en avoit prĂ©cĂ©demment montrĂ© quelques essais ; il semble avoir totalement & exclusivement adoptĂ© ce genre, au moins Ă  cette exposition. Une grande simplicitĂ© dans les positions des figures presque droites & sans mouvement, très-peu de draperies, communĂ©ment assez minces, sans jeu & pour ainsi dire collĂ©es sur le nud ; une sĂ©vère sobriĂ©tĂ© dans les ornemens accessoires, voila, comme l’on sçait, ce qui caractĂ©rise particuliĂ©rement l’Antique. Si tant d’austĂ©ritĂ© peut quelquefois, mĂŞme en Sculpture, paroĂ®tre Ă  des yeux vulgaires une indigence froide & insipide, sera-t-elle en Peinture un mĂ©rite rĂ©el & un moyen nĂ©cessaire Ă  la perfection de notre Ecole ? C’est une discussion dans laquelle il ne nous appartient pas d’entrer. Des Connoisseurs plus Ă©clairĂ©s que nous, ont pensĂ© apparemment que cette mĂ©thode & ce genre de goĂ»t auroient des avantages. Il est certain au moins, & le Public le pensera comme nous, que ce n’est ni par caprice, ni assurĂ©ment par impuissance, que M. Vien ne prĂ©sente aujourd’hui que celui-ci Ă  notre curiositĂ©. Dans le cas oĂą il seroit dĂ©cidĂ© que ce genre porteroit l’Art Ă  de nouveaux progrès, il faudroit louer le courageux dĂ©sintĂ©ressement de sacrifier le nombre des suffrages au poids de leur valeur. On infèreroit injustement de lĂ , qu’aucun des Ouvrages exposĂ©s par M. Vien n’occupe agrĂ©ablement les regards du Public. […]
Mais celui qui en est le plus remarqué, est un Tableau dont le Peintre a emprunté le Sujet d’une Peinture conservée dans les ruines d’Herculanum. Il est intitulé dans le livre d’explication la Marchande à la toilette. Cette Marchande est une espéce d’esclave qui présente à une jeune Grecque, assise près d’une table antique, un petit Amour qu’elle tient par les aîlerons, à-peu-près comme les marchands de volailles vivantes présentent leurs marchandises. Un pannier dans lequel sont d’autres petits enfans aîlés de même nature, indique qu’elle en a sorti celui qu’elle offre pour montre. Indépendamment de la singularité de cette composition, les Connoisseurs trouvent dans l’ouvrage beaucoup de choses à remarquer à l’avantage du Peintre moderne.
Il y a des beautés à louer dans deux autres Tableaux du même Auteur. Prosperpine, ornant de fleurs le Buste de Cérès, & une Prêtresse qui brule de l’encens sur un trépied.
Il est certain que dans chaque production des Anciens en Sculpture ou en Peinture, on reconnoĂ®t toujours les traces d’un modĂ©le commun Ă  tous, & ce modĂ©le Ă©toit le beau idĂ©al : il en rĂ©sute pour nous, plus amateurs de la variĂ©tĂ©, une conformitĂ© que nous devons taxer de monotonie. Ce seroit donc un mĂ©rite dont on sçauroit grĂ© Ă  leurs imitateurs, que de servir notre goĂ»t pour la variĂ©tĂ©, sans nĂ©anmoins s’écarter du fond de leurs principes ; c’est ce que doit faire tout Artiste qui entreprend de suivre ces modĂ©les. Quant Ă  la prĂ©fĂ©rence que peut mĂ©riter cette imitation, tout se rĂ©duit Ă  sçavoir sur le peu qui nous reste des Peintures de l’AntiquitĂ©, abstraction faite de l’exactitude du Costume, procure Ă  l’Art des exemples dont il puisse s’enrichir & qui doivent lemporter sur ceux que nous ont laissĂ©s les plus grands MaĂ®tres de nos Ecoles modernes depuis RaphaĂ«l jusqu’à ceux de nos jours ? C’est une question que nous croyons prudent Ă  nous de rĂ©duire en problĂŞme, plus prudent encore de n’en pas hazarder la solution, & que chacun est en Ă©tat de rĂ©soudre. Il nous seroit difficile cependant de dissimuler les regrets que nous avons entendus faire de plusieurs cĂ´tĂ©s, sur ce que fait perdre aux Curieux, dans le style naturel de notre Ecole, pour lequel M. Vien a des talens si prĂ©cieux, l’attachement & l’aplication qu’il paroĂ®t vouer depuis quelque temps Ă  ce style antique, que plusieurs d’entre les Amateurs pourroient bien ne pas estimer autant les uns que les autres, & dont il est assez Ă©videmment prouvĂ© que le gĂ©nĂ©ral du Public dispenseroit volontiers nos Artistes.
La suite au Mercure prochain. Â» (p. 192-193)

Commentaire de Diderot :

« Les tableaux que Vien a exposĂ©s cette annĂ©e sont tous du mĂŞme genre, et comme ils ont presque tous le mĂŞme mĂ©rite, il n’y a qu’un seul Ă©loge Ă  en faire : c’est l’élĂ©gance des formes, la grâce, l’ingĂ©nuitĂ©, l’innocence, la dĂ©licatesse, la simplicitĂ©, et tout cela joint Ă  la puretĂ© du dessin, Ă  la belle couleur, Ă  la mollesse et Ă  la vĂ©ritĂ© des chairs. On serait bien embarrassĂ© de choisir entre sa Marchande Ă  la toilette, sa Bouquetière, sa Femme qui sort du bain, sa PrĂŞtresse qui brĂ»le de l’encens sur un trĂ©pied, la Femme qui arrose ses fleurs, la Proserpine qui en orne le buste de CĂ©rès sa mère et l’Offrande au temple de VĂ©nus. Comme tout cela sent la manière antique ! Ces morceaux sont petits, le plus grand n’a pas plus de trois pieds de haut sur deux de large  ; mais l’artiste a bien fait voir dans sa Sainte Geneviève du dernier Salon, son Icare qui est Ă  l’AcadĂ©mie, et d’autres morceaux, qu’il pouvait tenter de grandes compositions et s’en tirer avec succès. Celui qu’il a appelĂ© la Marchande Ă  la toilette reprĂ©sente une esclave qu’on voit Ă  gauche agenouillĂ©e. Elle a Ă  cĂ´tĂ© d’elle un petit panier d’osier rempli d’Amours qui ne font qu’éclore. Elle en tient un par ses deux ailes bleues qu’elle prĂ©sente Ă  une femme assise dans un fauteuil, sur la droite. Derrière cette femme est sa suivante debout. Entre l’esclave et la femme assise, l’artiste a placĂ© une table sur laquelle on voit des fleurs dans un vase, quelques autres Ă©parses sur le tapis avec un collier de perles. L’esclave, un peu basanĂ©e, avec son nez large et un peu aplati, ses grandes lèvres vermeilles, sa bouche entrouverte, ses grands yeux noirs, est une coquine qui a bien la physionomie de son mĂ©tier et l’art de faire valoir sa denrĂ©e. La suivante, qui est debout, dĂ©vore des yeux toute la jolie couvĂ©e. La maĂ®tresse a de la rĂ©serve dans le maintien. L’intĂ©rĂŞt de ces trois visages est mesurĂ© avec une intelligence infinie  ; il n’est pas possible de donner un grain d’action ou de passion Ă  l’une sans les dĂ©saccorder toutes en ce point. Et puis c’est une Ă©lĂ©gance dans les attitudes, dans les corps, dans les physionomies, dans les vĂŞtements  ; une tranquillitĂ© dans la composition  ; une finesse  !... tant de charme partout, qu’il est impossible de les dĂ©crire. Les accessoires sont d’ailleurs d’un goĂ»t exquis et du fini le plus prĂ©cieux. Ce morceau en tout est d’une très belle exĂ©cution  : la figure assise est drapĂ©e comme l’antique ; la tĂŞte est noble, on la croit faible d’expression, mais ce n’est pas mon avis. Les pieds et les mains sont faits avec le plus grand soin. Le fauteuil est d’un goĂ»t qui frappe  ; ce gland qui pend du coussin est d’or Ă  s’y tromper. Rien n’est comparable aux fleurs pour la vĂ©ritĂ© des couleurs et des formes, et pour la lĂ©gèretĂ© de la touche. Le fond caractĂ©rise bien le lieu de la scène. Ce vase avec son piĂ©destal est d’une belle forme. Oh  ! le joli morceau  ! On prĂ©tend que la femme assise a l’oreille un peu haute. Je m’en rapporte aux maĂ®tres. VoilĂ  une allĂ©gorie qui a du sens, et non pas cet insipide Exercice des Amours de Vanloo. C’est une petite ode tout Ă  fait anacrĂ©ontique. C’est dommage que cette composition soit un peu dĂ©parĂ©e par un geste indĂ©cent de ce petit Amour papillon que l’esclave tient par les ailes ; il a la main droite appuyĂ©e au pli de son bras gauche qui, en se relevant, indique d’une manière très significative la mesure du plaisir qu’il promet. En gĂ©nĂ©ral, il y a dans tous ces morceaux peu d’invention et de poĂ©sie, nul enthousiasme, mais une dĂ©licatesse et un goĂ»t infinis. Ce sont des physionomies Ă  tourner la tĂŞte ; des pieds, des mains et des bras Ă  baiser mille fois. L’harmonie des couleurs, si importante dans toute composition, Ă©tait essentielle dans celle-ci  ; aussi est-elle portĂ©e au plus haut degrĂ©. Ce sont comme autant de madrigaux de l’Anthologie mis en couleurs. L’artiste est comme Apelle ressuscitĂ© au milieu d’une troupe d’AthĂ©niennes. Celui que j’aime entre tous est la jeune innocente qui arrose son pot de fleurs. On ne la regarde pas longtemps sans devenir sensible. Ce n’est pas son amant, c’est son père ou sa mère qu’on voudrait ĂŞtre. Sa tĂŞte est si noble  ! Elle est si simple et si ingĂ©nue  ! Ah  ! qui est-ce qui oserait lui tendre un piège  ? C’est la couleur de chair la plus vraie ; peut-ĂŞtre y dĂ©sirerait-on un peu plus de couleur. La draperie est large  ; peut-ĂŞtre la voudrait-on un peu plus lĂ©gère. MalgrĂ© le bas-relief dont on a dĂ©corĂ© le pot de fleurs, on dit qu’il ressemble un peu trop, pour la forme, Ă  ceux du quai de la Ferraille. Mais encore un mot sur la Marchande Ă  la toilette. On prĂ©tend que les Anciens n’en auraient jamais fait le sujet d’un tableau isolĂ© ; qu’ils auraient rĂ©servĂ© cette composition et celles du mĂŞme genre pour un cabinet de bains, un plafond, ou pour les murs de quelque grotte souterraine. Et puis cette suivante qui, d’un bras qui pend nonchalamment, va de distraction ou d’instinct relever avec l’extrĂ©mitĂ© de ses jolis doigts le bord de sa tunique Ă  l’endroit... En vĂ©ritĂ©, les critiques sont de sottes gens ! Pardon ! monsieur Vien, pardon ! Vous avez fait dix tableaux charmants  ; tous mĂ©ritent les plus grands Ă©loges par leur prĂ©cieux dessin et le style dĂ©licat dans lequel vous les avez traitĂ©s. Que ne suis-je possesseur du plus faible de tous ! Je le regarderais souvent, et il serait couvert d’or lorsque vous ne seriez plus.  » (Salon de 1763, CFL  V  413-5)

Annotations :

2. D’après la description du livret, Vien n’a vu ni la fresque (qui vient de Stabies et non d’Herculanum), ni la gravure qui en a été faite. Il aurait peint d’après une description, autrement dit d’après un texte !
Sur les conseils de son ami le comte de Caylus, amateur d’art et antiquomane, Vien a utilisé pour ce tableau la technique de la peintre à l’encaustique (au sujet de laquelle Diderot et Caylus se disputèrent violemment. Voir l’artice Encaustique de l’Encyclopédie)
3. Le tableau a été gravé en 1778 par Jacques Firmin Beauvarlet (gravure inversée).

Composition de l'image :
Scène (espace vague/espace restreint)
Objets :
Table
Scène à trois
Putto, putti, Amour
Pilastres
La scène a un public

Informations techniques

Notice #000764

Image HD

Identifiant historique :
A0083
Traitement de l'image :
Image web
Bibliographie :
Dominique Jarassé, La peinture fçse au 18e s, Terrail, 1998
p. 163
G. Faroult, G. Scherf, Ch. Leribault &alii, L’Antiquité rêvée, Gallimard, 2010
n° 47, p. 201