Résumé :
La parution aux Ăditions GalilĂ©e en 2008 du sĂ©minaire La BĂȘte et le souverain a permis de porter Ă lâattention de la communautĂ© des spĂ©cialistes de Jacques Derrida la cĂ©lĂšbre sĂ©ance du 20 mars 2002, dans laquelle le philosophe propose une lecture serrĂ©e des thĂšses dĂ©veloppĂ©es par Agamben dans Homo sacer (1995) au sujet dâun avĂšnement contemporain de la biopolitique. Il en va dâun certain hĂ©ritage de Michel Foucault, et des travaux dĂ©veloppĂ©s Ă partir de 1977 dans son cours au collĂšge de France. Le dialogue biaisĂ© et diffĂ©rĂ© qui sâinstaure entre Derrida et Agamben propose une critique de cet hĂ©ritage : lĂ oĂč Foucault dĂ©crivait une transformation progressive des techniques de gouvernement depuis le XVIIIe siĂšcle, Agamben Ă©tablit une rupture contemporaine, marquĂ©e par les camps et lâexpĂ©rience totalitaire. Derrida diffĂšre dâAgamben dans la lecture de la Politique dâAristote : la distinction Ă©tablie entre bios, la vie dans la citĂ©, et zoĂš, la vie nue, nâexisterait pas en tant que telle, Ă la lettre, dans le texte original dâAristote. DĂšs lors, lâindiffĂ©renciation contemporaine des deux notions ne constituerait nullement un Ă©vĂ©nement, un seuil Ă©pistĂ©mologique Ă partir duquel penser une mutation contemporaine du politique. Si le bio-pouvoir connaĂźt un dĂ©veloppement et des transformations inouĂŻes aujourdâhui, ce bio-pouvoir, pour Derrida, aura toujours dĂ©jĂ Ă©tĂ© lĂ . Derrida propose une lecture-Ă©criture dâAgamben lisant Foucault. La machine textuelle du sĂ©minaire est ici complexifiĂ©e par ce double mouvement de lecture-commentaire qui nous fait lire Foucault avec les interprĂ©tations que son Ćuvre aura permises. Dâune part la rĂ©flexion sur la biopolitique comme marque distinctive de lâexercice et des systĂšmes politiques contemporains ne fait jamais, chez Foucault, rĂ©fĂ©rence Ă Heidegger, dâoĂč elle provient pourtant. Dâautre part et surtout, lâannonce apocalyptique de lâavĂšnement du biopolitique nâest pas partagĂ©e par Derrida, comme si elle faisait pendant Ă lâĂ©vangile de la fin de lâhistoire par Fukuyama, quâil avait dĂ©noncĂ© Ă juste titre dans Spectres de Marx. Vingt ans plus tard, alors quâune pandĂ©mie frappe aujourdâhui mondialement les corps, que lâurgence climatique menace la survie des espĂšces, que les frontiĂšres sâouvrent et se ferment au grĂ© de conjonctures de plus en plus fluctuantes, le moment est venu de rouvrir le dĂ©bat biopolitique. Les communications rassemblĂ©es dans ce numĂ©ro 13 de la revue Malice ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es lors du colloque de dĂ©cembre 2021, qui s'est tenu en ligne en raison de la crise sanitaire.