- Bruegel
- Thought
- Painting
- Hand
Résumé :
Il paraît que Jean Ortelius, un ami proche de Pierre Bruegel l’Ancien, aurait dit de ce dernier qu’il y a dans ses tableaux ‘plus de pensée que de peinture.’ On peut donc se demander comment ce passage de l’image à l’idée a pu opérer. Une transition est nécessaire pour faire basculer l’observation de la pensée visuelle de l’image vers la contemplation de l’idée. J’émets l’hypothèse que cette transition est effectuée par la main, celle-là même qui peint et qui écrit. Elle est plus qu’un signe dont le peintre userait pour guider le regard des spectateurs, bien que l’œuvre de Pierre Bruegel l’Ancien, dont Sir Kenneth Clarke a souligné la gémellité avec Shakespeare, soit un véritable laboratoire du regard, comme l’a (secrètement) démontré Les Jeux d’Enfants (1560). Dans Le Proverbe du Dénicheur (1568), le regard ricoche sur le doigt qui indique une direction à suivre. Dans Le Triomphe de la Mort (1562 ?), ce sont des mains encore, une main de soldat et une main de femme, qui permettent de renverser l’image englobante et de faire de ce tableau hallucinant un hymne paradoxal à la vie. Grâce à elles, le sens bascule, s’inverse. Dans Le Portement de Croix, la démonstration prend un tour particulièrement spectaculaire car la main sert d’intermédiaire entre le visible et l‘invisible. Mais il n’est pas ici question de l’invu qui fait de l’artiste le lieu d’une transition (J-L Marion). La transition dont il est question ici opère entre le regard ‘aveugle’ qui effleure l’image et celui, éduqué par le geste, qui perçoit ce qui n’est pas représenté. Sans elle, comme le disait Daniel Arasse, ‘on n’y voit rien’. Ce qui permet d’effectuer la transition du tableau non vu vers le tableau vu, c’est le tableau lui-même qui ouvre sur la pensée, voire la méditation.