Livre VII, chapitre 2. Ce que devint Gil Blas après sa sortie du château de Leyva, et des heureuses suites qu’eut le mauvais succès de ses amours.
Je demeurai, je l’avoue, tout déconcerté de me voir traiter ainsi par des valets. Je n’étais pas encore bien remis de ma confusion, quand la porte du salon s’ouvrit. L’archevêque parut. Il se fit aussitôt un profond silence parmi ses officiers, qui quittèrent tout à coup leur maintien insolent pour en prendre un respectueux devant leur maître. Ce prélat était dans sa soixante-neuvième année, fait à peu près comme mon oncle le chanoine Gil Perez, c’est-à-dire gros et court. Il avait par-dessus le marché les jambes fort tournées en dedans, et il était si chauve, qu’il ne lui restait qu’un toupet de cheveux par derrière ; ce qui l’obligeait d’emboîter sa tête dans un bonnet de laine fine à longues oreilles. Malgré tout cela, je lui trouvais l’air d’un homme de qualité, sans doute parce que je savais qu’il en était un. Nous autres personnes du commun, nous regardons les grands seigneurs avec une prévention qui leur prête souvent un air de grandeur que la nature leur a refusé.
L’archevêque s’avança vers moi d’abord, et me demanda d’un ton de voix plein de douceur ce que je souhaitais. Je lui dis que j’étais le jeune homme dont le seigneur don Fernand de Leyva lui avait parlé. Il ne me donna pas le temps de lui en dire davantage. Ah ! c’est vous, s’écria-t-il, c’est vous dont il m’a fait un si bel éloge ? Je vous retiens à mon service… (Folio p. 517-518)