Livre IV, chapitre 11. Quel homme c’était que le vieil ermite et comment Gil Blas s’aperçut qu’il était en pays de connaissance.
Nous marchâmes toute la nuit, et nous commencions à nous sentir fort fatigués, lorsqu’à la pointe du jour nous aperçûmes le bois où tendaient nos pas. La vue du port donne une vigueur nouvelle aux matelots lassés d’une longue navigation. Nous prîmes courage, et nous arrivâmes enfin au bout de notre carrière avant le lever du soleil. Nous nous enfonçâmes dans le plus épais du bois, et nous nous arrêtâmes dans un endroit fort agréable, sur un gazon entouré de plusieurs gros chênes, dont les branches entrelacées formaient une voûte que la chaleur du jour ne pouvait percer. Nous débridâmes le cheval pour le laisser paître, après l’avoir déchargé. Nous nous assîmes ; nous tirâmes de la besace du frère Antoine quelques grosses pièces de pain avec plusieurs morceaux de viandes rôties, et nous nous mîmes à nous en escrimer comme à l’envi l’un de l’autre. Néanmoins, quelque appétit que nous eussions, nous cessions souvent de manger pour donner des accolades à l’outre, qui ne faisait que passer des bras de l’un entre les bras de l’autre. (Folio, p. 396)