Livre X, chapitre 2. Gil Blas continue son voyage, et arrive heureusement à Oviedo. Dans quel état il retrouve ses parents. Mort de son père ; suites de cette mort.
Sur ce rapport, qui me fit sentir que j’étais fils, je laissai Bertrand avec mon équipage à l’hôtellerie ; et, suivi de mon secrétaire, qui ne voulut point m’abandonner, je me rendis chez mon oncle. D’abord que je parus devant mère, une émotion que je lui causai lui annonça ma présence, avant que ses yeux eussent démêlé mes traits. Mon fils, me dit-elle tristement après m’avoir embrassé, venez voir mourir votre père ; vous venez assez à temps pour être frappé de ce cruel spectacle. En achevant ces paroles, elle me mena dans une chambre où le malheureux Blas de Santillane, couché dans un lit qui marquait bien la pauvreté d’un écuyer, touchait à son dernier moment. Quoique environné des ombres de la mort, il avait encore quelque connaissance. Mon cher ami, lui dit ma mère, voici Gil Blas votre fils, qui vous prie de lui pardonner les chagrins qu’il vous a causés, et qui vous demande votre bénédiction. À ce discours, mon père ouvrit des yeux qui commençaient à se fermer pour jamais ; il les attacha sur moi ; et remarquant, malgré l’accablement où il se trouvait, que j’étais touché de sa perte, il fut attendri de ma douleur. Il voulut parler, mais il n’en eut pas la force. Je pris une de ses mains, et, tandis que je la baignais de larmes, sans pouvoir prononcer un mot, il expira, comme s’il n’eût attendu que mon arrivée pour rendre le dernier soupir. (Folio, p. 758-760)