« Les clercs lettrés lisent dans leurs livres – et c’est un fait encore bien connu – qu’il n’y eut jamais sur terre de cité comparable à Troie pour la beauté, les dimensions, l’abondance des ressources et l’opulence. Puissants en furent les fondements comme l’appareil qui fut élevé au-dessus. Les Troyens avaient trouvé leur cité dévastée, mais ils la reconstruisirent cent fois mieux, refaisant une ville de toute beauté et de noble allure. Priam mit tout son cœur à la relever. Il l’entoura soigneusement d’une bonne muraille de marbre, haute, épaisse et solide. Les parapets s’élevaient très haut, au moins à une portée d’arc. Tout autour de la cité se dressaient de hautes tours, construites en un mélange de chaux et de sable. Les pierres de construction, très bien taillées au ciseau et faites de marbre fin et de calcaire, étaient de couleur jaune, verte, indigo et bleue. En plusieurs endroits étaient érigés des ouvrages fortifiés, équipés de parapets crénelés, prenant appui sur de hautes mottes et ceints de profonds fossés. On avait construit plus de mille maisons destinées aux rois, aux comtes et aux ducs. […] La population de toutes les terres alentour avait été conviée à venir vivre dans la ville et tous ces gens l’avaient si bien peuplée et couverte de maisons qu’en faire le tour complet aurait pris, sans aucun doute, trois jours et plus. Les rues étaient très belles, toutes bordées de magnifiques demeures, et il y avait de très beaux palais – jamais vous n’en verrez d’aussi somptueux. Dans toute la ville de Troie, il n’y avait maison, si modeste fût-elle, dont les pierres et le revêtement ne fussent en marbre taillé. Personne, à Troie, ne se mouillait les pieds, car les rues étaient couvertes de voûtes qui ne laissaient entre elles aucun espace. Le sol en était pavé et le plafond des voûtes était entièrement recouvert de mosaïque.
À l’écart s’élevait Ilion, la principale forteresse de Troie. Priam l’avait fait bâtir pour son usage personnel et jamais plus – on peut bien vous le certifier – il n’y eut mortel capable de construire sa pareille. Elle était érigée sur le plus haut site de Troie et c’était vraiment un maître architecte, celui qui l’avait construite ! Un roc d’un seul bloc, taillé au compas et qui allait ainsi en se rétrécissant jusqu’à son sommet – mais même alors la circonférence en atteignait cinq cents toises et plus –, tel était le site d’Ilion. De là, on embrassait du regard tout le pays et lorsqu’on regardait d’en bas ce roc, il paraissait si haut qu’on aurait cru qu’il montait jusqu’aux nues. Dieu ne fit jamais de machine de guerre mue de main d’homme assez puissante pour se dresser contre cette forteresse. Les blocs du mur d’enceinte, tous en marbre, étaient alternativement blancs, indigo, safran, jaunes, vermeils, bleu foncé et pourpres. Ils se différenciaient aussi bien par la diversité des couleurs que par celle des sculptures qui les ornaient : fleurs, oiseaux, bêtes. Le bleu, le vermillon, toutes les couleurs étaient rendues par le marbre lui-même. Les fenêtres étaient faites d’or pur et de cristal. Tous les chapiteaux et toutes les colonnes étaient sans exception travaillés au ciseau et ornés d’extraordinaires sculptures. Les pavements étaient somptueux : l’or et l’argent y abondaient. Dix étages se succédaient, d’aussi amples dimensions, aussi beaux, bien agencés et ornés du premier au dernier. Les meurtrières et les créneaux étaient entièrement sculptés eux aussi et sur les murs, s’élevaient nombre de statues tout en or fin. Une fois achevée, Ilion avait vraiment fière allure ! Elle se dressait orgueilleusement, comme une menace pour tout l’univers… » (traduction d’Emmanuèle Baumgartner et Françoise Vielliard)