Le berceau russe - Leprince
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Analyse
Livret du Salon de 1765 :
« Par M. Le Prince, Agréé.
141. […]
150. Le Berceau pour les enfants. Espèce de hamac qu’on suspend au bout d’un bâton élastique qui est attaché au plancher. Dans le beau temps les mères l’emportent et l’attachent hors de la maison, à ce qu’elles trouvent de plus commode. »
Commentaire de Diderot :
« 151. Le Berceau pour les enfants
C’est une des meilleures compositions de Leprince... Vous le trouvez, me dites-vous, mieux colorié que le Baptême ? — Oh ! non. — Il vous paraît plus intéressant que le Baptême? — Oh ! non. Mais diable, aussi c’est que ce Baptême russe, auquel vous comparez ce tableau-ci, est une belle chose. Dans le Berceau pour les enfants, on voit à droite, une portion d’une baraque en bois ; à la porte de cette baraque, sur un banc grossier, un vieux paysan en chemise, jambes singulièrement vêtues, et pieds singulièrement chaussés. Autour de ce vieillard, à terre, sur le devant, parmi de mauvaises herbes, une terrine, un auget, des bâtons, un coq qui cherche sa vie ; devant le vieillard une espèce de petit hamac, occupé par un bambin, gras, potelé, bien nourri, tout nu, étendu sur ses langes. Ce hamac est suspendu, par une corde, à une grosse branche d’arbre ; la corde fait plusieurs tours autour de la branche. Une grande servante assez jeune et assez bien vêtue pour n’être pas la femme du vieux paysan, tire la corde, comme si c’était son dessein d’élever le hamac ou berceau, ou peut-être de le descendre ; autour du hamac, deux autres enfants, l’un sur le fond, l’autre sur le devant ; l’un vu de face, l’autre par le dos ; tous les deux regardant avec joie, le petit suspendu. Sur le devant, une chèvre et un mouton ; plus vers la gauche, une vieille avec sa quenouille et son fuseau. Elle a interrompu son ouvrage, pour parler à celle qui tient la corde du hamac. Tout à fait à gauche, vers le devant et sur le fond, chaumière et hameau. Autour de la chaumière, différents outils et agrès champêtres. Le paysan est très beau, vrai caractère, vraie nature rustique ; sa chemise, tout son vêtement, larges et de bon goût. J’en dis autant de la vieille qui filait, et qui paraît être la grand-mère des enfants. C’est une vieille excellente ; belle tête, belle draperie, action simple et vraie. Les enfants, et celui qui est dans le hamac, et les deux autres, charmants. Mais il y a tout plein de choses ici qui me chiffonnent, et qui tiennent peut-être à la connaissance des mœurs. Voilà bien la chaumière du paysan ; mais il est trop grossier, trop pauvrement vêtu pour que cette vieille soit sa femme. Celle qui tient la corde du hamac et qui remonte ou descend le berceau, peut bien être la fille ou la servante de la vieille ; mais elle n’est de rien au paysan. Quel est l’état de ces deux femmes ? Où est leur habitation ? Ou je me trompe fort, ou il y a quelque amphibologie dans cette composition. Serait-ce qu’en Russie les femmes sont bien et les maris mal ? Quoi qu’il en soit, ici le coloris du peintre et sa touche sont beaucoup plus fermes. Il est moins briqueté, moins rougeâtre de ton que dans son Baptême.  » (CFL  VI  172-4)
Le berceau suspendu est la curiosité exotique de ce tableau. Autour de lui, la mère et les deux autres enfants sur la droite, la sœur cadette sur la gauche (ses cheveux libres indiquent qu’elle n’est pas encore mariée) constituent un premier cercle qui délimite la scène proprement dite. De part et d’autre de cette scène, la grand-mère à gauche, le grand-père à droite, les moutons et le pieu au premier plan constituent un second cercle, qui assure la transition entre la scène proprement dite (l’espace restreint de la toile) et l’œil du spectateur. Depuis ce cercle en effet, la scène est regardée par les grands-parents, tandis que le mouton du centre observe le spectateur.
Perrin Stein fait remarquer que Leprince a eu recours aux allusions érotiques typiques de Boucher et des conventions rococo : la bâteau pointe vers une écuelle à droite et dans l’autre sens à gauche la pompe du puits pointe vers une auge. Le fait que le même symbole sexuel soit inversé organise une rotation pour l’œil autour du berceau, l’objet focal de la représentation, et constitue l’ensemble de la toile comme un équivalent du sexe féminin.    Enfin, le couple formé par le grand-père et la mère devant le berceau, ainsi que le rideau tendu derrière eux à la manière d’un rideau de tabernacle identifient la scène à une Nativité en quelque sorte laïcisée.
2. Perrin Stein rapproche ce tableau du dessin composé par Leprince pour le Voyage en Sibérie de Chappe d’Auteroche (vers 1763-1764). Dans ce dessin, intitulé « Intérieur d’une habitation russe pendant la nuit », on trouve déjà la vieille à la quenouille, le berceau suspendu et même, au-dessus, la tête du vieillard barbu qui deviendra dans le tableau du Getty le grand-père à droite. Selon P. Stein, le dessin, qui illustre un texte polémique de Chappe d’Auteroche dénonçant la misère des campagnes russes, devient dans la peinture une allégorie heureuse de la fécondité, illustrée par un tableau de prospérité paysanne.
3. Il existe une gravure de ce tableau par Ph-L Parizeau, reproduite dans l’édition DPV du Salon de 1765. Bristish Museum, 1891,1013.150.
Informations techniques
Notice #001002