Réveil du narrateur à Paris en 2440 (L’an 2440, éd. 1786)
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Analyse
« Chapitre II. J’ai sept cents ans
Il étoit minuit quand mon vieil Anglois se retira. J’étois un peu las : je fermai ma porte & me couchai. Dès que le sommeil se fut étendu sur mes paupières, je rêvai qu’il y avoit des siécles que j’étois endormi, & que je m’éveillois. Je me levai, & je me trouvai d’une pesanteur à laquelle je n’étois pas accoutumé. Mes mains étoient tremblantes, mes pieds chancellans. En me regardant dans mon miroir, j’eus peine à reconnoître mon visage. Je m’étois couché avec des cheveux blonds ; un teint blanc & des joues colorées. Quand je me levai, mon front étoit sillonné de rides, mes cheveux étoient blanchis, j’avois deux os saillans au dessous des yeux, un long nez, & une couleur pâle & blême étoit répandue sur toute ma figure. Dès que je voulus marcher, j’appuyai machinalement mon corps sur une canne ; mais du moins je n’avois point hérité de la mauvaise humeur trop ordinaire aux vieillards.
En sortant de chez moi je vis une place publique qui m’étoit inconnue. On venoit d’y dresser une colonne pyramidale qui attiroit les regards des curieux. J’avance, & je lis très-distinctement : L’an de grace MM.IVC.XL. Ces caractères étoient gravés sur le marbre en lettres d’or.
D’abord je m’imaginai que c’étoit une erreur de mes yeux, ou plutôt une faute de l’artiste, & je m’apprêtois à en faire la remarque, lorsque ma surprise devint plus grande en jettant la vue sur deux ou trois édits du Souverain attachés aux murailles. J’ai toujours été curieux lecteur des affiches de Paris. Je vis la même date MM. IVC. XL fidélement empreinte sur tous les papiers publics. Eh, quoi ! dis-je en moi-même, je suis donc devenu bien vieux sans m’en appercevoir : quoi, j’ai dormi six cent soixante-douze années ! »
1. Légende sous l’image : « J’ai sept cent ans. »
2. Frontisipice du tome I.
Informations techniques
Notice #012963