Bradamante dans la caverne de Merlin (Roland furieux, Valgrisi, 1560, ch3)
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Analyse
Au chant II, Bradamante a rencontré Pinabel et lui a proposé de faire route avec lui. Mais Pinabel est de la maison de Mayence, et Bradamante, de celle de Clermont : « Tra casa di Maganza e di Chiarmonte / era odio antico e inimicizia intensa » (II, 67). Le Mayençais dévie du chemin et tente d’abord d’égarer Bradamante dans la forêt. N’y parvenant pas, il la prie de voler au secours d’une demoiselle imaginaire, qu’il aurait vue prisonnière au fond d’un ravin. Bradamante descend au moyen d’une branche que retient, puis, exprès, lâche Pinabel (II, 74-76).
Trahie par Pinabel qui s’enfuit en haut à droite en emportant son cheval (str. 5), Bradamante a été retenue dans sa chute par la branche qui, tombant sous elle, a amorti sa chute. Le dessinateur l’a représentée encore suspendue à la branche pour descendre, au moment où Pinabel, qui devait la tenir d’en haut, la lâche. Elle atterrit dans la caverne de Merlin, où il est enterré vivant depuis la trahison de Morgane.
Bradamante tombe d’abord à genoux et prie (str. 8) : on la distingue au second plan, agenouillée devant l’autel sur le côté droit, identifiable au BRA. inscrit en dessous d’elle.
Le tombeau de Merlin (str. 10) est représenté à gauche, entouré d’un halo qui dans le texte est censé éclairer toute la caverne (str. 14-15) : le graveur a cependant suspendu un lustre au plafond central de la chapelle. La fée Mélisse, en bas au centre (MEL) trace un cercle magique (pentacle) autour d’elle et de Bradamante et, à l’aide d’un livre, elle évoque les démons, à gauche, puis sa postérité (str. 21). Sur la droite, les deux premiers personnages sont nommés : Ruggierino, le fils de Roger et son vengeur, et Albert.
En haut à gauche, Mélisse conduit Bradamante hors de la caverne, vers Brunel, dont l’anneau d’invisibilité peut seul lui permettre de délivrer Roger du château d’acier où l’a enfermé son protecteur, le magicien Atlant (str. 64-74). Les deux femmes sont identifiables aux inscriptions, BRA et MEL. Elles arrivent à proximité de Bordeaux (BOR.) sur les bords de la Garonne (GAR.; str. 75).
Mélisse ayant quitté Bradamante, celle-ci rejoint Brunel (BRA. et SRV pour BRV), devant une auberge. La grotte de Merlin est traitée à la manière d’un palais de la Renaissance, mais sans façade, non pas comme si le « quatrième mur » avait été ôté, mais comme si le palais était une loggia ouverte. Il est représenté frontalement, ce qui élimine les effets de profondeur et de perspective. En revanche, c’est la bipartition de l’espace, tombeau à gauche, intime, fermé, grande salle à droite face à laquelle Bradamante est spectatrice, qui est signifiante. On retrouve la même bipartition dans la gravure du chant XXXIII, où l’espace du songe de Bradamante, espace privé, est opposé à l’espace spectaculaire de la salle de banquet, avec ses peintures. Mais cette bipartition n’obéit plus vraiment à une logique de la performance : il s’agit plutôt déjà d’opposer l’antichambre à la chambre (cf. R. Barthes, Sur Racine), le devant de la scène, la représentation de la lignée de Bradamante, à l’en-deçà de la scène, le tombeau de Merlin où, dans le texte, les spectres sont censés rentrer (str. 22).
Le graveur a organisé dans l’image un parcours narratif, qui suit grosso modo le sens des aiguilles d’une montre : à droite, Pinabel trahit Bradamante; en bas, Mélisse évoque sa postérité ; en haut à gauche, Mélisse conduit Bradamante vers Pinabel. Ce parcours va dans le sens d’une unification, d’une homogénéisation de l’espace de la représentation. Le recours à la perspective favorise cette unification : on remarque cependant qu’ici subsistent trois points de fuite, en haut au centre du rivage atlantique, sous le lustre de la grotte pour les plafonds, en bas au niveau du genou gauche de Bradamante.
1. Gravure sur page de gauche, en verso. En haut à gauche, numéro de la page, 22. En-tête centré : CANTO [TERZO, p. 23].
Informations techniques
Notice #001311