Moberti vêtu en tigre supplicie Zanetti (Juliette, VI, fig. 55)
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Analyse
Juliette, qui est en Italie, fonde un bordel à Venise et voit son nom se répandre dans le milieu libertin. Elle prend de surcroît de plus en plus de plaisir à trahir ses semblables et à leur prendre leur place. Elle complote donc avec Moberti, un homme « roux comme Judas » (Sade, Œuvres III, Pléiade, p. 1168), pour perdre sa femme Zanetti. De plus, Moberti a l'habitude de se revêtir d’une peau de tigre quand il décharge. Il prend ainsi l'aspect de ce qu'il incarne à plusieurs reprises : « ce n'était pas un homme, mais un tigre, un enragé » (p. 1174), allant même jusqu'à contrefaire les rugissements d'un félin.
L'exécution du complot arrive enfin : une famille composée d'une mère enceinte, Angélique, et de ses deux filles de onze et neuf ans, Mirza et Marietta, est d'abord présentée. Moberti les mord jusqu'à tuer une des deux filles. Puis il se retire dans un cabinet pour revêtir sa peau de tigre. Ressurgissant de nouveau, il se jette sur Zanetti, ce qui provoquera sa mort. Juliette le suit et le frappe de toutes ses forces avec un bâton.
C'est ce moment que représente la gravure. Zanetti est mordu par son mari qui se pollue en même temps. Se rendant compte de sa traîtrise, elle jette sa tête en arrière dans un mouvement de révulsion. Juliette, au contraire, prend sa place de bourreau : c'est elle qui maintenant dirige les gestes de Moberti alors que cette tâche était réservée à sa femme. Avec son bâton, elle se met également à l'abri d'un possible revirement de situation. La scène illustre de nouveau l'ascension que connaît Juliette dans le roman, en trompant et trahissant ses amies les plus proches. Sur l’image, elle tient le col de Moberti, signe qu'elle le manipule et le fait agir selon ses désirs. Sur la gauche, Angélique enlace une de ses filles alors que l’autre est présentée morte au sol au premier plan.
Une porte sur la gauche est entrouverte pour suggérer que Moberti en sort à peine. Comme au théâtre, Moberti émerge de la coulisse revêtu d’un déguisement pour jouer son rôle sur scène. La porte ne permet pas, évidemment, la fuite d’Angélique et de sa fille. La scène se trouve ainsi encadrée par la porte à droite, la fenêtre en imposte en haut à droite, et le cadavre de l'enfant en bas, véritable œil anamorphique en avant du tableau. Le dispositif classique, qui encadre une scène d'intérieur entre une porte et une fenêtre, suggérant un arrêt temporaire dans un flux narratif, est donc convoqué, lais détourné : dans la dramaturgie classique on ne meurt pas sur scène, et entre cette fausse porte et cette fausse fenêtre il n'est possible ni d'entrer, ni de sortir.
1. Au-dessus de la gravure à gauche « T. X. », à droite « P. 190. »
Informations techniques
Notice #014588