Triptyque du Martyre de saint Érasme - Thierry Bouts
Analyse
Le triptyque se lit de gauche à droite. À gauche, saint Jérôme, le traducteur de la Bible en latin, ouvre la Vulgate, fait entrer le spectateur dans la lecteure du livre. La Bible est un testament : elle atteste de la Parole de de Dieu, comme le martyre atteste de la Foi. Le martyre est donc proposé ici comme équivalent, ou supplément de la lecture biblique : il est au centre ce que l’on voit après qu’à gauche on a ouvert le Livre. La légende tardive du martyre de saint Érasme ne se trouve évidemment pas dans la Bible : mais c’ets justement la fonction du triptyque que de consruire pour ce Martyre un artefact de légitimité biblique. Enfin, à droite, saint Bernard tient le livre refermé et le monstre de l’irreligion muselé à ses pieds: le spectacle du martyre a fait son effet et la Foi a triomphé.
Le tableau auto-célèbre ainsi, en quelque sorte, son efficacité performative, dans laquelle le panneau central joue le rôle décisif. Le peintre recourt au système de signes médiéval qui permet d’identifier les personnages : derrière la tête de saint Érasme est posée sa mitre d’évêque, comme Jérôme est signifié par le lion qui l’accompagne et Bernard par l’hérésie muselée à ses pieds. Saint Érasme est accompagné du rouge comme Jérôme et du noir comme Bernard : comme le premier, il a exercé des fonctions temporelles dans l’Église ; comme le second, il a embrassé la vise monastique. De gauche à droite, on ne passe donc pas seulement du livre ouvert au livre refermé, mais aussi du rouge au noir, du pouvoir temporel au pouvoir spirituel de l’Église.
Les deux bourreaux aussi s’opposent : le premier, à gauche, boiteux et contrefait, porte impassible la laideur repoussante du supplice. C’est par cet aspect, matériel, trivial, du martyre qu’on entre dans la scène. Le second bourreau, presque gracieux, se mord les lèvres et exprime sa compassion : c’est dans cet état qu’on doit sortir de la scène pour conclure avec saint Bernard.
Mais s’agit-il d’une scène ? On est, au 15e siècle en pleine phase de transition de la peinture allégorique et syntaxique vers la peinture scénique. Nous venons de dégager la dimension performative et certaines des articulations syntaxiques de cette peinture, qui se donne à lire comme de l’écriture. C’est là l’ancienne économie. Mais une nouvelle économie se fait jour également : le chevalet sur lequel est installé Érasme délimite déjà , dans la composition générale, un espace restreint de la scène. Au second plan, les quatre personnages qui assistent au supplice constituent les spectateurs de cette scène, où le modèle théâtral se fait jour. Le paysage du fond, où l’on distingue les activités ordinaires de la campagne, un berger et ses moutons, un homme sur un chemin, fonctionne bien, différentiellement, comme espace vague du réel, comme réalité des fidèles de Louvain, de laquelle se détacher pour pénétrer dans l’irréalité scénique du testament divin.
En même temps, dans la tradition médiévale qui persiste ici, c’est un système d’équivalences qui joue plutôt que le système de différences qui ordonne le dispositif scénique. La lecture de la Bible, qui cadre le triptyque, est la même chose que la participation visuelle au martyre, rer»sentée au premier plan au centre, qui est la même chose que le spectacle de la Création, qui se déploie au fond.
Il y a plus : le seigneur qui ordonne le supplice, au centre, est vêtu de brocard damassé à motifs de grenades, et le saint est encadré de deux bourreaux : le dispositif est le même que celui des Vierges du tabernacle, flanquées de deux anges et assises devant une tenture damassée, où le motif de grenade est le motif topique, qui figure la fécondité de la Vierge et la résurrection du Christ.
Enfin, Érasme regarde ses tripes s’enrouler sur la barre que tournent le bourreaux. Ce détail maccabre fait partie du supplice.
2. Selon la légende née à Gaète au XIVe siècle, saint Érasme aurait été évêque de Formie, près de Gaète en Italie, au Ve siècle. Il aurait été mis à mort par les Lombards ariens et serait mort après la plus horrible des agonies. Bouts représente Érasme presque nu, attaché aux poignets et aux chevilles à un panneau de bois. Deux hommes lui dévident les intestins après avoir percé son abdomen. L’un est vieux et chauve ; il s’est retroussé les manches pour travailler avec plus d’ardeur. L’autre est jeune et semble agir à contre-cœur. Derrière, un homme en manteau de brocard et de fourrure surveille l’exécution. Aucune trace de sang. A gauche, saint Jérôme en robe de cardinal est accompagné de son lion emblématique, à droite saint Bernard tient sa crosse d’abbé et porte l’habit monastique. C’est le même paysage qui court continument d’un panneau à l’autre du triptyque. On reconnaîtrait les environs de Louvain.
3. La collégiale Saint-Pierre de Louvain possède un second triptyque de Thierry Boutts, le Triptyque de la Dernière Cène.
Informations techniques
Notice #001686