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Recherche infructueuse

Triptyque du Martyre de saint Érasme - Thierry Bouts

Date :
Entre 1457 et 1475
Lieu de conservation :

Analyse

Le triptyque se lit de gauche Ă  droite. À gauche, saint JĂ©rĂŽme, le traducteur de la Bible en latin, ouvre la Vulgate, fait entrer le spectateur dans la lecteure du livre. La Bible est un testament : elle atteste de la Parole de de Dieu, comme le martyre atteste de la Foi. Le martyre est donc proposĂ© ici comme Ă©quivalent, ou supplĂ©ment de la lecture biblique : il est au centre ce que l’on voit aprĂšs qu’à gauche on a ouvert le Livre. La lĂ©gende tardive du martyre de saint Érasme ne se trouve Ă©videmment pas dans la Bible : mais c’ets justement la fonction du triptyque que de consruire pour ce Martyre un artefact de lĂ©gitimitĂ© biblique. Enfin, Ă  droite, saint Bernard tient le livre refermĂ© et le monstre de l’irreligion muselĂ© Ă  ses pieds: le spectacle du martyre a fait son effet et la Foi a triomphĂ©.
Le tableau auto-cĂ©lĂšbre ainsi, en quelque sorte, son efficacitĂ© performative, dans laquelle le panneau central joue le rĂŽle dĂ©cisif. Le peintre recourt au systĂšme de signes mĂ©diĂ©val qui permet d’identifier les personnages : derriĂšre la tĂȘte de saint Érasme est posĂ©e sa mitre d’évĂȘque, comme JĂ©rĂŽme est signifiĂ© par le lion qui l’accompagne et Bernard par l’hĂ©rĂ©sie muselĂ©e Ă  ses pieds. Saint Érasme est accompagnĂ© du rouge comme JĂ©rĂŽme et du noir comme Bernard : comme le premier, il a exercĂ© des fonctions temporelles dans l’Église ; comme le second, il a embrassĂ© la vise monastique. De gauche Ă  droite, on ne passe donc pas seulement du livre ouvert au livre refermĂ©, mais aussi du rouge au noir, du pouvoir temporel au pouvoir spirituel de l’Église.
Les deux bourreaux aussi s’opposent : le premier, Ă  gauche, boiteux et contrefait, porte impassible la laideur repoussante du supplice. C’est par cet aspect, matĂ©riel, trivial, du martyre qu’on entre dans la scĂšne. Le second bourreau, presque gracieux, se mord les lĂšvres et exprime sa compassion : c’est dans cet Ă©tat qu’on doit sortir de la scĂšne pour conclure avec saint Bernard.
Mais s’agit-il d’une scĂšne ? On est, au 15e siĂšcle en pleine phase de transition de la peinture allĂ©gorique et syntaxique vers la peinture scĂ©nique. Nous venons de dĂ©gager la dimension performative et certaines des articulations syntaxiques de cette peinture, qui se donne Ă  lire comme de l’écriture. C’est lĂ  l’ancienne Ă©conomie. Mais une nouvelle Ă©conomie se fait jour Ă©galement : le chevalet sur lequel est installĂ© Érasme dĂ©limite dĂ©jĂ , dans la composition gĂ©nĂ©rale, un espace restreint de la scĂšne. Au second plan, les quatre personnages qui assistent au supplice constituent les spectateurs de cette scĂšne, oĂč le modĂšle thĂ©Ăątral se fait jour. Le paysage du fond, oĂč l’on distingue les activitĂ©s ordinaires de la campagne, un berger et ses moutons, un homme sur un chemin, fonctionne bien, diffĂ©rentiellement, comme espace vague du rĂ©el, comme rĂ©alitĂ© des fidĂšles de Louvain, de laquelle se dĂ©tacher pour pĂ©nĂ©trer dans l’irrĂ©alitĂ© scĂ©nique du testament divin.
En mĂȘme temps, dans la tradition mĂ©diĂ©vale qui persiste ici, c’est un systĂšme d’équivalences qui joue plutĂŽt que le systĂšme de diffĂ©rences qui ordonne le dispositif scĂ©nique. La lecture de la Bible, qui cadre le triptyque, est la mĂȘme chose que la participation visuelle au martyre, rer»sentĂ©e au premier plan au centre, qui est la mĂȘme chose que le spectacle de la CrĂ©ation, qui se dĂ©ploie au fond.
Il y a plus : le seigneur qui ordonne le supplice, au centre, est vĂȘtu de brocard damassĂ© Ă  motifs de grenades, et le saint est encadrĂ© de deux bourreaux : le dispositif est le mĂȘme que celui des Vierges du tabernacle, flanquĂ©es de deux anges et assises devant une tenture damassĂ©e, oĂč le motif de grenade est le motif topique, qui figure la fĂ©conditĂ© de la Vierge et la rĂ©surrection du Christ.
Enfin, Érasme regarde ses tripes s’enrouler sur la barre que tournent le bourreaux. Ce dĂ©tail maccabre fait partie du supplice.

Annotations :

2. Selon la lĂ©gende nĂ©e Ă  GaĂšte au XIVe siĂšcle, saint Érasme aurait Ă©tĂ© Ă©vĂȘque de Formie, prĂšs de GaĂšte en Italie, au Ve siĂšcle. Il aurait Ă©tĂ© mis Ă  mort par les Lombards ariens et serait mort aprĂšs la plus horrible des agonies. Bouts reprĂ©sente Érasme presque nu, attachĂ© aux poignets et aux chevilles Ă  un panneau de bois. Deux hommes lui dĂ©vident les intestins aprĂšs avoir percĂ© son abdomen. L’un est vieux et chauve ; il s’est retroussĂ© les manches pour travailler avec plus d’ardeur. L’autre est jeune et semble agir Ă  contre-cƓur. DerriĂšre, un homme en manteau de brocard et de fourrure surveille l’exĂ©cution. Aucune trace de sang. A gauche, saint JĂ©rĂŽme en robe de cardinal est accompagnĂ© de son lion emblĂ©matique, Ă  droite saint Bernard tient sa crosse d’abbĂ© et porte l’habit monastique. C’est le mĂȘme paysage qui court continument d’un panneau Ă  l’autre du triptyque. On reconnaĂźtrait les environs de Louvain.
3. La collégiale Saint-Pierre de Louvain possÚde un second triptyque de Thierry Boutts, le Triptyque de la DerniÚre CÚne.

Composition de l'image :
Supplice, exécution, torture

Informations techniques

Notice #001686

Image HD

Identifiant historique :
A1005
Traitement de l'image :
Scanner
Localisation de la reproduction :
Collection particuliĂšre
Bibliographie :
M. de Grand Ry (dir.), Les Primitifs flamands, Renaissance du Livre, 2000
p. 389