Scène du déluge (La Sainte Bible, Mame, 1866) - G. Doré
Notice précédente Notice n°7 sur 126 Notice suivante
Analyse
La scène que Doré imagine ici répète en quelque sorte en gros plan celle représentée sur la gravure précédente. Elle en reprend également la composition pyramidale, avec femmes, hommes, enfants et même animaux : le sommet est en effet occupé par un tigre gigantesque qui tient dans sa gueule un de ses petits tout en protégeant les deux autres entre ses pattes. Au centre de l'image, un homme qui a réussi à déposer sur le rocher trois de ses enfants poursuit son effort et, dans un double geste surhumain, il dépose le quatrième de la main droite, tandis que de la gauche, il soutient et hisse sa femme, ballotée par les flots.
En plaçant au sommet de la pyramide, non un homme, mais un tigre, qui lui aussi tente de sauver ses petits, Doré englobe hommes et animaux dans la même condamnation divine.
Alors périt toute chair qui se meut sur la terre : oiseaux, bestiaux, bêtes sauvages, tout ce qui grouille sur la terre, et tous les hommes. Tout ce qui avait une haleine de vie dans les narines, c'est-à-dire tout ce qui était sur la terre ferme, mourut. Ainsi disparurent tous les êtres qui étaient à la surface du sol, depuis l'homme jusqu'aux bêtes, aux bestioles et aux oiseaux du ciel : ils furent effacés de la terre et il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l'arche. (Genèse 6, 21-23)
La mise en scène doit à nouveau beaucoup à L’Hiver ou le Déluge de Poussin, où comme ici, un homme sauve sa femme et son enfant des eaux qui montent. Mais chez Doré la tension dramatique est plus intense, plus explicite. Le Déluge de Girodet repose sur une composition pyramidale similaire, mais c’est sans doute Le Radeau de la Méduse qui inspire à Doré ce promontoire rocheux auquel les personnages s’agrippent : pourtant, au lieu de susciter l’espoir, ce promontoire surmonté d'un tigre indique qu'aucun salut n'est possible.
Pourquoi cet animal ? La férocité du tigre figure-t-elle l'âme féroce des hommes que Dieu est en train de condamner ? Le tigre évoque-t-il le nom d'un des quatre fleuves du Paradis, dans une sorte de retour inversé et cataclysmique au Paradis originel où hommes et animaux étaient mêlés ? La représentation traditionnelle de la montée des eaux exclut généralement les animaux. Cette attention de Doré aux animaux dans le temps du Déluge est caractéristique d'une sensibilité nouvelle, moins humaniste, plus tournée vers la prise en compte du tout de la nature.
1. Signé en bas à gauche « G. Doré », à droite « PANNEMAKER. SC ».
Informations techniques
Notice #020644