Adoration des mages (version de San Rocco) - Tintoret
Analyse
L'histoire des rois mages est racontée dans l'Evangile de Matthieu de la façon suivante :
JĂ©sus Ă©tait nĂ© Ă BethlĂ©em en JudĂ©e, au temps du roi HĂ©rode le Grand. Or, voici que des mages venus dâOrient arrivĂšrent Ă JĂ©rusalem
et demandĂšrent : « OĂč est le roi des Juifs qui vient de naĂźtre ? Nous avons vu son Ă©toile Ă lâorient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui.
Il rĂ©unit tous les grands prĂȘtres et les scribes du peuple, pour leur demander oĂč devait naĂźtre le Christ.
Ils lui répondirent : « à Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophÚte :
Et toi, BethlĂ©em, terre de Juda, tu nâes certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple IsraĂ«l. »
Alors HĂ©rode convoqua les mages en secret pour leur faire prĂ©ciser Ă quelle date lâĂ©toile Ă©tait apparue ;
puis il les envoya Ă BethlĂ©em, en leur disant : « Allez vous renseigner avec prĂ©cision sur lâenfant. Et quand vous lâaurez trouvĂ©, venez me lâannoncer pour que jâaille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
AprĂšs avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que lâĂ©toile quâils avaient vue Ă lâorient les prĂ©cĂ©dait, jusquâĂ ce quâelle vienne sâarrĂȘter au-dessus de lâendroit oĂč se trouvait lâenfant.
Quand ils virent lâĂ©toile, ils se rĂ©jouirent dâune trĂšs grande joie.
Ils entrĂšrent dans la maison, ils virent lâenfant avec Marie sa mĂšre ; et, tombant Ă ses pieds, ils se prosternĂšrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs prĂ©sents : de lâor, de lâencens et de la myrrhe. (Matthieu 2, 1-11)
Sur l'immense toile de la Scuola Grande di San Rocco, le Tintoret reprend un peu la mise en scĂšne de la NativitĂ©, qu'il a composĂ©e pour le mĂȘme endroit. Il imagine pour la crĂšche une ferme Ă deux Ă©tages, dont le plafond ruinĂ© permet de voir lâĂ©toile du berger annonciatrice de la naissance de JĂ©sus : sous elle, juste en dessous des poutres branlantes, une demi-douzaine dâanges font la ronde et sanctifient l'Ă©vĂ©nement. Le peintre joue avec la perspective : Ă gauche Joseph debout, est Ă la hauteur de Marie et de JĂ©sus, assis dans la paille du plancher supĂ©rieur. Un escalier, qui part du fond de la scĂšne, permet de rejoindre l'estrade oĂč se tient la Vierge et les deux premiers rois. L'ouverture du fond laisse apercevoir des cavaliers, l'escorte des mages.
L'estrade accueille deux des trois rois, qui apportent leurs cadeaux Ă lâEnfant. Le premier, debout au centre et se penchant vers JĂ©sus, a gardĂ© sa couronne Ă pointes d'or sur la tĂȘte, sur laquelle est nouĂ© un foulard blanc Ă rayures noires. Il tend un vase prĂ©cieux, contenant probablement des parfums, recouvert d'un couvercle Ă pointe ouvragĂ©. Le second roi plus Ă droite est Ă genoux et a dĂ©posĂ© sa couronne ainsi que son prĂ©sent, qui consiste Ă©galement dans un vase prĂ©cieux. Le troisiĂšme roi est le vieillard agenouillĂ© en bas sur la droite, devant un banc, en priĂšres. Son prĂ©sent est peut-ĂȘtre l'objet posĂ© sur le banc, difficile Ă identifier. Entre le second et le troisiĂšme roi, Ă l'arriĂšre-plan, se tient un page noir en costume Ă rayures bariolĂ©.
Les tĂȘtes des trois rois dessinent une ligne transversale, Ă laquelle rĂ©pond celle qui relie Joseph, Marie et le premier roi, formant le triangle de la composition pyramidale d'ensemble. A ce triangle correspond un triangle renversĂ© dont la pointe basse est le vase offert par le second roi : une ligne relie ce vase Ă JĂ©sus, Marie, l'ange de gauche ; une autre ligne relie le mĂȘme vase au 2e roi et au 1er ange de droite.
Toute l'attention converge donc vers ce vase, qu'il ne faut pas comprendre simplement comme le prĂ©sent d'un des rois mages, mais comme le ciboire contenant les hosties par lesquelles se cĂ©lĂšbre le mystĂšre de l'Eucharistie. Il ne sâagit plus seulement de lâencens offert par un mage mais de lâhommage Ă la divinitĂ© de lâEnfant symbolisĂ©e par cet objet.
Par un subtil mĂ©lange de banalitĂ© et dâĂ©trangetĂ© le peintre enrichit la scĂšne. A la femme de gauche, au premier plan, qui apporte un panier dâoffrandes et peut ĂȘtre deux colombes, rĂ©pond la femme debout Ă droite, au fond, qui apporte elle aussi son panier. Au page noir qui se tient au bas de lâescalier, rĂ©pond lâhomme Ă demi nu de droite, aux cheveux coupĂ©s à « lâindienne », tirant une corde au-dessus dâune Ă©norme calebasse. A la pauvre maison ruinĂ©e de lâEnfant roi, rĂ©pond au fond, la richesse du convoi, et du cortĂšge des rois, qui sont venus lâadorer.
Informations techniques
Notice #021459