Les trois GrĂąces (esquisse de Los Angeles) - Carle Vanloo
Notice n°1 sur 75 Notice suivante
Analyse
Livret du Salon de 1763
« Par M. Carle Vanloo, Chevalier de lâOrdre du Roi, Premier Peintre de Sa MajestĂ©, Directeur de lâAcadĂ©mie Royale de Peinture & de Sculpture.
[âŠ] 2. Les Graces enchaĂźnĂ©es par lâAmour.
Tableau de 7 pieds 6 pouces de haut, sur 6 pieds 3 pouces de large. Ce Tableau est pour la Pologne. »
Commentaire du tableau dont celui-ci est lâesquisse par Diderot :
« Il y a deux tableaux de ce maĂźtre : on voit, dans lâun, les GrĂąces enchaĂźnĂ©es par lâAmour ; dans lâautre, lâAĂźnĂ© des Amours qui fait faire lâexercice Ă ses cadets. Eheu, quantum mutatus ab illo !
Le premier est une grande composition, sept pieds six pouces de haut sur six pieds trois pouces de large.
Les trois GrĂąces lâoccupent presque tout entier. Celle qui est Ă droite du spectateur se voit par le dos ; celle du milieu, de face ; la troisiĂšme de profil. Un Amour Ă©levĂ© sur la pointe du pied, placĂ© entre ces deux derniĂšres et tournant le dos au spectateur, conduit de la main une guirlande qui passe sur les fesses de celle quâon voit par le dos, et va cacher, en remontant, les parties naturelles de celle qui se prĂ©sente de face.
Ah ! mon ami, quelle guirlande ! quel Amour ! quelles GrĂąces ! Il me semble que la jeunesse, lâinnocence, la gaietĂ©, la lĂ©gĂšretĂ©, la mollesse, un peu de tendre voluptĂ©, devaient former leur caractĂšre ; câest ainsi que le bon HomĂšre les imagina et que la tradition poĂ©tique nous les a transmises. Celles de Vanloo sont si lourdes, mais si lourdes !
Lâune est dâun noir jaunĂątre ; câest le gros embonpoint dâune servante dâhĂŽtellerie et le teint dâune fille qui a les pĂąles couleurs. Les brunes piquantes comme nous en connaissons ont les chairs fermes et blanches, mais dâune blancheur sans transparence et sans Ă©clat ; câest lĂ ce qui les distingue des blondes dont la peau fine, laissant quelquefois apercevoir les veines Ă©parses en filets dĂ©liĂ©s et se teignant du fluide qui y circule, en reçoit en quelques endroits une nuance bleuĂątre. OĂč est le temps oĂč mes lĂšvres suivaient sur la gorge de celle que jâaimais ces traces lĂ©gĂšres qui partaient des cĂŽtĂ©s dâune touffe de lis et qui allaient se perdre vers un bouton de rose ? Le peintre nâa pas connu ces beautĂ©s. Celle des GrĂąces qui occupe le milieu de sa composition et quâon voit de face, a les cheveux chĂątains : ses chairs, son teint, devraient donc participer de la brune et de la blonde ; voilĂ les Ă©lĂ©ments de lâart. Câest une longue figure soutenue sur deux longues jambes fluettes. La blonde et la plus jeune, qui est Ă gauche, est vraiment informe. On sait bien que les contours sont doux dans les femmes, quâon y discerne Ă peine les muscles et que toutes leurs formes sâarrondissent ; mais elles ne sont pas rondes et sans inĂ©galitĂ©. Un Ćil expĂ©rimentĂ© reconnaĂźtra dans la femme du plus bel embonpoint les traces des muscles du corps de lâhomme ; ces parties sont seulement plus coulantes dans la femme, et leurs limites plus fondues. Au lieu de cette taille Ă©lĂ©gante et lĂ©gĂšre qui convenait Ă son Ăąge, cette GrĂące est tout dâune venue. Sans sâentendre beaucoup en proportions, on est choquĂ© du peu de distance de la hanche au-dessous du bras ; mais je ne sais pourquoi je dis de la hanche, car elle nâa point de hanche. La posture de lâAmour est dĂ©sagrĂ©able. Et cette guirlande, pourquoi va-t-elle chercher si bĂȘtement les parties que la pudeur ordonne de voiler ? Pourquoi les cache-t-elle si scrupuleusement ? Avec un peu de dĂ©licatesse, le peintre eĂ»t senti quâelle manquait son but, si je le devine. Une figure toute nue nâest point indĂ©cente. Placez un linge entre la main de la VĂ©nus de MĂ©dicis et la partie de son corps que cette main veut me dĂ©rober, et vous aurez fait dâune VĂ©nus pudique une VĂ©nus lascive, Ă moins que ce linge ne descende jusquâaux pieds de la figure.
Que vous dirai-je de la couleur gĂ©nĂ©rale de ce morceau ? On lâa voulue forte, sans doute, et on lâa faite insupportable. Le ciel est dur ; les terrasses sont dâun vert comme il nây en a que lĂ . Lâartiste peut se vanter de possĂ©der le secret de faire dâune couleur qui est dâelle-mĂȘme si douce, que la nature qui a rĂ©servĂ© le bleu pour les cieux en a tissu le manteau de la terre au printemps, dâen faire, dis-je, une couleur Ă aveugler, si elle Ă©tait dans nos campagnes aussi forte que dans son tableau. Vous savez que je nâexagĂšre point, et je dĂ©fie la meilleure vue de soutenir ce coloris un demi-quart dâheure. Je vous dirai des GrĂąces de Vanloo ce que je vous disais il y a quatre ans de sa MĂ©dĂ©e : câest un chef-dâĆuvre de teinture, et je ne pense pas que lâĂ©loge dâun bon teinturier serait celui dâun bon coloriste.
Avec tous ces dĂ©fauts, je ne serais point Ă©tonnĂ© quâun peintre me dĂźt : « Le bel Ă©loge que je ferais de toutes les beautĂ©s qui sont dans ce tableau et que vous nây voyez pas !... » Câest quâil y a tant de choses qui tiennent au technique et dont il est impossible de juger, sans avoir eu quelque temps le pouce passĂ© dans la palette ! » (Salon de 1763, CFL V 395-7)
2. Collection Ciechanowiecki. Don de la Fondation Ahmanson.
Esquisse pour le grand tableau exposé au Salon de 1763, et détruit par le peintre.
Informations techniques
Notice #005196