Le loup et le renard (Fables de La Fontaine, 1694) - atelier de Chauveau
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Analyse
DâoĂč vient que personne en la vie
Nâest satisfait de son Ă©tat ?
Tel voudrait bien ĂȘtre Soldat
A qui le Soldat porte envie.
Certain Renard voulut, dit-on,
Se faire Loup. Hé ! qui peut dire
Que pour le métier de Mouton
Jamais aucun Loup ne soupire ?
Ce qui mâĂ©tonne est quâĂ huit ans
Un Prince en Fable ait mis la chose,
Pendant que sous mes cheveux blancs
Je fabrique Ă force de temps
Des vers moins sensés que sa prose.
Les traits dans sa fable semés
Ne sont en lâouvrage du poĂšte
Ni tous, ni si bien exprimés.
Sa louange en est plus complĂšte.
De la chanter sur la musette,
Câest mon talent ; mais je mâattends
Que mon Héros, dans peu de temps
Me fera prendre la trompette.
Je ne suis pas un grand prophÚte ;
Cependant je lis dans les cieux
Que bientĂŽt ses faits glorieux
Demanderont plusieurs HomÚres ;
Et ce temps-ci nâen produit guĂšres.
Laissant Ă part tous ces mystĂšres,
Essayons de conter la fable avec succĂšs.
Le Renard dit au Loup : Notre cher, pour tous mets
Jâai souvent un vieux Coq, ou de maigres Poulets ;
Câest une viande qui me lasse.
Tu fais meilleure chĂšre avec moins de hasard.
Jâapproche des maisons, tu te tiens Ă lâĂ©cart.
Apprends-moi ton métier, Camarade, de grùce :
Rends-moi le premier de ma race
Qui fournisse son croc de quelque Mouton gras,
Tu ne me mettras point au nombre des ingrats.
Je le veux, dit le Loup ; il mâest mort un mien frĂšre ;
Allons prendre sa peau, tu tâen revĂȘtiras.
Il vint, et le Loup dit : Voici comme il faut faire
Si tu veux écarter les Mùtins du Troupeau.
Le Renard, ayant mis la peau,
Répétait les leçons que lui donnait son maßtre.
Dâabord il sây prit mal, puis un peu mieux, puis bien,
Puis enfin il nây manqua rien.
A peine il fut instruit autant quâil pouvait lâĂȘtre,
Quâun Troupeau sâapprocha. Le nouveau Loup y court
Et rĂ©pand la terreur dans les lieux dâalentour.
Tel vĂȘtu des armes dâAchille,
Patrocle mit lâalarme au camp et dans la ville :
MĂšres, brus et vieillards au temple couraient tous.
Lâost au Peuple bĂȘlant crut voir cinquante Loups.
Chien, Berger, et Troupeau, tout fuit vers le village,
Et laisse seulement une Brebis pour gage.
Le larron sâen saisit. A quelque pas de lĂ
Il entendit chanter un Coq du voisinage.
Le Disciple aussitĂŽt droit au Coq sâen alla,
Jetant bas sa robe de classe,
Oubliant les Brebis, les leçons, le Régent,
Et courant dâun pas diligent.
Que sert-il quâon se contrefasse ?
Prétendre ainsi changer est une illusion :
Lâon reprend sa premiĂšre trace
A la premiĂšre occasion.
De votre esprit, que nul autre nâĂ©gale,
Prince, ma Muse tient tout entier ce projet :
Vous mâavez donnĂ© le sujet,
Le dialogue, et la morale.
1. Gravure non signée.
2. Edition de 1694, Livre VII, Fable 9.
Informations techniques
Notice #009022