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Livre XXXI, chapitre 1, « Changements dans les offices et les fiefs »
(éd. Derathé, Garnier, t. 2, p. 353)

D’abord les comtes n’étaient envoyés dans leurs districts que pour un an ; bientôt ils achetèrent la continuation de leurs offices. On en trouve un exemple dès le règne des petits-enfants de Clovis. Un certain Peonius était comte dans la ville d’Auxerre  ; il envoya son fils Mummolus porter de l’argent à Gontran pour être continué dans son emploi ; le fils donna de l’argent pour lui-même, et obtint la place du père. Les rois avaient déjà commencé à corrompre leurs propres grâces.

Quoique, par la loi du royaume, les fiefs fussent amovibles, ils ne se donnaient pourtant, ni ne s’ôtaient d’une manière capricieuse et arbitraire ; et c’était ordinairement une des principales choses qui se traitaient dans les assemblées de la nation. On peut bien penser que la corruption se glissa dans ce point, comme elle s’était glissée dans l’autre ; et que l’on continua la possession des fiefs pour de l’argent, comme on continuait la possession des comtés.

Je ferai voir, dans la suite de ce livre, qu’indépendamment des dons que les princes firent pour un temps, il y en eut d’autres qu’ils firent pour toujours. Il arriva que la cour voulut révoquer les dons qui avaient été faits : cela mit un mécontentement général dans la nation, et l’on en vit bientôt naître cette révolution fameuse dans l’histoire de France, dont la première époque fut le spectacle étonnant du supplice de Brunehault.

Il paraît d’abord extraordinaire que cette reine, fille, sœur, mère de tant de rois, fameuse encore aujourd’hui par des ouvrages dignes d’un édile ou d’un proconsul romain, née avec un génie admirable pour les affaires, douée de qualités qui avaient été si longtemps respectées, se soit vue tout à coup exposée à des supplices si longs, si honteux, si cruels, par un roi dont l’autorité était assez mal affermie dans sa nation, si elle n’était tombée, par quelque cause particulière, dans la disgrâce de cette nation. Clotaire lui reprocha la mort de dix rois  ; mais il y en avait deux qu’il fit lui-même mourir ; la mort de quelques autres fut le crime du sort ou de la méchanceté d’une autre reine ; et une nation qui avait laissé mourir Frédégonde dans son lit, qui s’était même opposée à la punition de ses épouvantables crimes, devait être bien froide sur ceux de Brunehault.

Elle fut mise sur un chameau, et on la promena dans toute l’armée ; marque certaine qu’elle était tombée dans la disgrâce de cette armée. Frédégaire dit que Protaire, favori de Brunehault, prenait le bien des seigneurs, et en gorgeait le fisc, qu’il humiliait la noblesse, et que personne ne pouvait être sûr de garder le poste qu’il avait. L’armée conjura contre lui, on le poignarda dans sa tente ; et Brunehault, soit par les vengeances qu’elle tira de cette mort, soit par la poursuite du même plan, devint tous les jours plus odieuse à la nation.

Clotaire, ambitieux de régner seul, et plein de la plus affreuse vengeance, sûr de périr si les enfants de Brunehault avaient le dessus, entra dans une conjuration contre lui-même ; et, soit qu’il fût malhabile, ou qu’il fût forcé par les circonstances, il se rendit accusateur de Brunehault, et fit faire de cette reine un exemple terrible.

Warnachaire avait été l’âme de la conjuration contre Brunehault ; il fut fait maire de Bourgogne ; il exigea de Clotaire qu’il ne serait jamais déplacé pendant sa vie. Par là le maire ne put plus être dans le cas où avaient été les seigneurs français ; et cette autorité commença à se rendre indépendante de l’autorité royale.

C’était la funeste régence de Brunehault qui avait surtout effarouché la nation. Tandis que les lois subsistèrent dans leur force, personne ne put se plaindre de ce qu’on lui ôtait un fief, puisque la loi ne le lui donnait pas pour toujours ; mais quand l’avarice, les mauvaises pratiques, la corruption firent donner des fiefs, on se plaignit de ce qu’on était privé par de mauvaises voies des choses que souvent on avait acquises de même. Peut-être que si le bien publie avait été le motif de la révocation des dons, on n’aurait rien dit ; mais on montrait l’ordre, sans cacher la corruption ; on réclamait le droit du fisc, pour prodiguer les biens du fisc à sa fantaisie ; les dons ne furent plus la récompense ou l’espérance des services. Brunehault, par un esprit corrompu, voulut corriger les abus de la corruption ancienne. Ses caprices n’étaient point ceux d’un esprit faible : les leudes et les grands officiers se crurent perdus ; ils la perdirent.

Il s’en faut bien que nous ayons tous les actes qui furent passés dans ces temps-là ; et les faiseurs de chroniques, qui savaient à peu près de l’histoire de leur temps, ce que les villageois savent aujourd’hui de celle du nôtre, sont très stériles. Cependant nous avons une constitution de Clotaire, donnée dans le concile de Paris pour la réformation des abus, qui fait voir que ce prince fit cesser les plaintes qui avaient donné lieu à la révolution. D’un côté, il y confirme tous les dons qui avaient été faits ou confirmés par les rois ses prédécesseurs  ; et il ordonne, de l’autre, que tout ce qui a été ôté à ses leudes ou fidèles leur soit rendu.

Ce ne fut pas la seule concession que le roi fit dans ce concile. Il voulut que ce qui avait été fait contre les privilèges des ecclésiastiques fût corrigé  : il modéra l’influence de la cour dans les élections aux évêchés. Le roi réforma de même les affaires fiscales : il voulut que tous les nouveaux cens fussent ôtés  ; qu’on ne levât aucun droit de passage établi depuis la mort de Gontran, Sigebert et Chilpéric  ; c’est-à-dire, qu’il supprimait tout ce qui avait été fait pendant les régences de Frédégonde et de Brunehault : il défendit que ses troupeaux fussent menés dans les forêts des particuliers  : et nous allons voir tout à l’heure que la réforme fut encore plus générale, et s’étendit aux affaires civiles.

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