Livre III, chapitre 5. Gil Blas devient homme à bonnes fortunes. Il fait connaissance avec une jolie personne.
En achevant ces paroles, je me jetai avec transport aux genoux de ma nymphe ; et, pour mieux imiter les petits-maîtres, je la pressai d’une manière pétulante de faire mon bonheur. Elle me parut un peu émue de mes instances, mais elle ne crut pas devoir s’y rendre encore, et me repoussant : Arrêtez-vous, me dit-elle, vous êtes trop vif ; vous avez l’air libertin. J’ai bien peur que vous ne soyez un petit débauché. Fi donc ! madame, m’écriai-je ; pouvez-vous haïr ce qu’aiment les femmes hors du commun ? Il n’y a plus que quelques bourgeoises qui se révoltent contre la débauche. C’en est trop, reprit-elle, je me rends à une raison si forte. Je vois bien qu’avec vous autres seigneurs les grimaces sont inutiles : il faut qu’une femme fasse la moitié du chemin. Apprenez donc votre victoire, ajouta-t-elle avec une apparence de confusion, comme si sa pudeur eût souffert de cet aveu ; vous m’avez inspiré des sentiments que je n’ai jamais eus pour personne, et je n’ai plus besoin que de savoir qui vous êtes pour me déterminer à vous choisir pour mon amant. Je vous crois un jeune seigneur, et même un honnête homme : cependant je n’en suis point assurée ; et, quelque prévenue que je sois en votre faveur, je ne veux pas donner ma tendresse à un inconnu. (Folio p. 242)