Les historiens savent bien qu’il est dangereux de vouloir projeter sur les réalités anciennes des concepts contemporains. Croire donner de l’autorité à une notion en lui inventant des « racines » historiques ou chercher à conférer une hypothétique « modernité » à une pratique ancienne en pensant lui découvrir des échos dans l’actualité, c’est prendre le risque d’un double contresens.
Plus que toute autre, la notion d’inter-œuvre doit être maniée avec prudence si elle est appliquée aux mondes anciens, puisqu’elle fait appel aux notions d’œuvre et d’auctorialité dont la pertinence pour l’Antiquité classique est depuis longtemps sujette à discussion, qu’elle concerne l’œuvre littéraire ou l’œuvre plastique1. La présente communication s’en tiendra pour l’essentiel au domaine des arts plastiques. S’il n’est pas possible d’aborder dans toute sa complexité la question du statut de l’œuvre d’art dans les mondes classiques, il convient cependant de rappeler quelques principes liminaires.
De la copie à l’inter-œuvre
Tableaux et statues, dans l’Antiquité classique, remplissent d’abord une fonction religieuse en qualité de statues de cultes et d’offrandes, ou une fonction civique en qualité d’effigies honorifiques des souverains ou des notables. La qualité esthétique de l’œuvre n’intervient pas au premier chef, même si elle est prise en considération dans la mesure où elle contribue au prestige du don. Le nom de l’artiste qui en est l’auteur peut être indiqué, mais à titre de garantie de la qualité de l’objet. Les inscriptions qui accompagnent les statues ou les peintures mentionnent avant tout les noms des dédicants et des commanditaires, lesquels espèrent obtenir en échange de leur don la reconnaissance des dieux, celle de leurs sujets ou celle de leurs concitoyens2.
Pourtant les choses changent, peut-être déjà au cours de la période hellénistique, mais surtout à l’époque romaine. Lorsque la culture grecque devient la référence commune des mondes hellénisés, les œuvres d’art grecques sont investies d’une fonction nouvelle3. Dans l’espace public comme par la suite dans l’espace privé, elles attestent l’appartenance du propriétaire à cette culture commune et manifestent sa maîtrise des signes visibles de l’humanitas. L’afflux des œuvres d’art, ramenées à Rome au cours des conquêtes et exposées dans les sanctuaires de l’Vrbs dès la fin du IIIe s. av. J.-C., a transformé le regard porté par les Romains sur les objets du butin, car l’offrande dédiée à la divinité par le général fait également office de mémorial de sa victoire (monumentum uictoriae) et atteste aux yeux du public le processus de transfert culturel en cours4. Merveilles de la nature et œuvres d’art sont rassemblées à Rome où elles contribuent à faire de la cité le miroir des mirabilia de l’Empire5. Elles deviennent les témoins du pouvoir exercé par les Romains sur cet Empire. Le public se met alors à regarder statues et peintures pour elles-mêmes, un savoir artistique se développe, et les premières collections d’œuvres d’art se constituent dans les lieux publics ou dans les résidences privées.
À dire vrai, dès le début du IIIe s. av. J.-C., une « histoire de l’art » s’était progressivement formée en Grèce. Des listes d’œuvres sont assignées à des artistes dont l’identité et les spécificités stylistiques sont soigneusement notées6. Des biographies d’artistes (peintres et sculpteurs) sont rédigées par des auteurs spécialisés7. Leurs ouvrages ne sont plus pour nous que des titres cités par les érudits d’époque romaine, mais une partie de leurs recherches a été transmise aux encyclopédistes postérieurs, Pline l’Ancien en tout premier lieu. Les nombreuses anecdotes sur les artistes compilées par Pline remontent à ces biographies grecques. Des particularités techniques et stylistiques, permettant d’identifier leur « main » (χειρουργία), sont attribuées par Pline à des peintres ou à des sculpteurs : ainsi, la grâce (χάρις, uenustas) caractérise l’art du peintre Apelle8, l’usage d’un vernis (atramentum) dont il est l’inventeur lui permet de jouer sur l’éclat des couleurs, la minutie (ἀκρίβεια, diligentia) est propre à son rival, Protogène, ou aux sculpteurs Callimaque et Apollodore9. Les artistes sont classés et jugés en fonction de critères esthétiques et techniques vraisemblablement hérités de la culture des ateliers10. Des catalogues d’œuvres célèbres, les opera nobilia, assignables à des artistes prestigieux, sont établis par des auteurs tels que Pasitélès. Proche de Varron, il vécut au début du Ier s. av. J.-C. et fut lui-même sculpteur, maître d’autres artistes, dont nous avons conservé les signatures, formant ce que l’on a parfois qualifié d’« école11 ».
Aux opera nobilia est étroitement corrélé le phénomène des copies romaines d’œuvres d’art. À partir de la seconde moitié du IIe s. av. J.-C., des ateliers grecs ou micrasiatiques au service d’une clientèle romaine réalisent des répliques en marbre des œuvres les plus fameuses grâce à la mise au point de techniques (pointing process) permettant de reproduire avec une grande exactitude les modèles connus le plus souvent par des prototypes d’argile ou des moulages en plâtre des différentes parties de la statue12. La science allemande a depuis longtemps démontré que ces répliques entretenaient avec le modèle (Urbild) des liens de similitude plus ou moins distants. Les recherches menées par A. Furtwängler ou G. Lippold ont permis de mettre au point une méthode d’étude critique (Kopienkritik) et de distinguer trois degrés de reproduction des modèles, les copies (Kopien), les répliques (Wiederholungen), les variantes (Umbildungen), en fonction de leur fidélité à l’original13. On a parfois rapproché ces notions des termes latins usités par la rhétorique : imitatio, interpretatio, aemulatio14. En réalité, l’existence d’un véritable système fondé sur une gradation n’est pas confirmée par les usages des textes car il semble que chacun de ces termes puisse être employé comme synonyme des autres. Il n’en reste pas moins que l’on peut discerner d’infinies et subtiles variations d’une œuvre à l’autre, allant des retouches de détail à des modifications de plus grande portée qui concernent la pondération, la gestuelle ou les proportions de la statue. Il faut aussi évoquer les œuvres dites « éclectiques » réalisées à partir d’une combinatoire de références statuaires empruntées à plusieurs modèles. Ces synthèses mélangent parfois des citations d’œuvres d’époques différentes et associent des traits stylistiques archaïques ou sévères à des modèles classiques et post-classiques. L’école de Pasitélès semble s’être fait une spécialité de ces productions éclectiques. Dans les dialogues intitulés Les portraits et Défense des portraits, le philosophe Lucien offre un exemple très significatif de cette manière de concevoir le processus de création d’une image. Le protagoniste du dialogue, Lykinos, se propose de dresser pour son compagnon Polystratos le portrait d’une femme à la beauté exceptionnelle, Panthéia, qu’il vient de rencontrer et qui n’est autre que la maîtresse de l’empereur Lucius Vérus. Pour ce faire, il fait appel à différents fragments d’opera nobilia, d’abord des statues, puis des peintures, œuvres célébrées d’artistes renommés :
Eh bien, c’est le moment de te faire voir le portrait en formation. La parole, chargée d’en ajuster les traits, ne prend que la tête de l’Aphrodite qui nous vient de Cnide ; car elle n’aura pas besoin du reste du corps, puisqu’il est nu. Pour la chevelure, le front, le joli dessin des sourcils, elle les laissera comme Praxitèle les a faits ; quant aux yeux, elle en gardera aussi l’éclat humide et la grâce comme Praxitèle les a conçus. Elle prendra les joues et les parties saillantes du visage à Alcamène et à l’Aphrodite des jardins ; elle lui prendra de même les extrémités des mains, les poignets gracieux et la souplesse des doigts effilés. Le contour du visage entier, la délicatesse des joues, les justes proportions du nez seront donnés par la Lemnienne de Phidias. Le même artiste donnera aussi la commissure des lèvres et le cou, pris à son Amazone. La Sosandra de Calamis l’embellira de sa pudeur et lui prêtera son sourire grave et fin15 […].
Plus qu’une méthode réaliste de fabrication du portrait – une subtile marqueterie difficilement réalisable pour un sculpteur – le texte révèle plutôt le mécanisme par lequel le regard savant du spectateur doit prendre conscience du caractère hybride de l’image, en déconstruire l’unité apparente, afin de pouvoir véritablement apprécier l’harmonie de l’ensemble et l’habileté de l’artiste à fondre les citations dans un tout cohérent. Le nom du modèle, Panthéia, a valeur programmatique puisque la jeune femme est décrite comme la synthèse de « toutes les déesses ». On peut s’étonner que des références à des statues « idéales » soient précisément convoquées pour composer le portrait d’une femme réelle. C’est là tout le sens du dialogue dont le véritable sujet est l’éloge : le portrait idéalisé est la métaphore de la pratique encomiastique. Un éloge n’est pas un portrait ressemblant mais superlatif, comme le rappelle Lykinos, porte-parole de Lucien, à Panthéia qui s’est offusquée d’avoir été comparée aux déesses. Le philosophe met ainsi en évidence l’ambiguïté de l’imagerie officielle, entre flatterie et ressemblance, tout en rappelant que chaque œuvre – l’œuvre littéraire comme les autres – procède de toutes celles qui l’ont précédée.
Quel que soit le degré d’éloignement de la réplique par rapport au modèle, le principe de la copie induit un processus de décontextualisation qui entraîne nécessairement un effet de « dé-fonctionnalisation » et de « re-fonctionnalisation » de l’œuvre. Elle est extraite de son environnement originel, lequel est déterminé par sa fonction, sanctuaire pour une offrande ou pour une statue de culte, monument public pour un portrait honorifique. La pratique romaine du butin ramène l’œuvre d’art au statut d’ornatus, même lorsque statues et tableaux sont dédiés par un général vainqueur à titre d’offrande dans un sanctuaire, à plus forte raison lorsque ces objets prennent place dans une collection privée et participent au decor16. Même lorsque l’empereur Hadrien fait reconstituer avec la plus grande fidélité dans les jardins de sa villa de Tibur le temple rond de Cnide17, bâti à l’époque hellénistique pour y placer la statue en marbre d’Aphrodite, œuvre illustre de Praxitèle, il transforme radicalement la signification première de la statue. Ce n’est plus, en effet, l’Aphrodite Protectrice de la navigation (Euploia) que les Cnidiens avaient honorée en dédiant dans son sanctuaire l’œuvre de Praxitèle, mais l’évocation emblématique d’un lieu chargé d’une puissante mémoire culturelle. En effet, la statue et son temple-écrin ont été célébrés par de multiples poèmes et de nombreuses anecdotes durant toute l’Antiquité. En outre, la reproduction du temple de Cnide s’inscrit dans un ensemble de citations topiques qui participent à l’élaboration d’un paysage métonymique. En effet, différentes parties de la Villa se présentaient comme des citations des hauts lieux de la culture et de la tradition mythique grecque18. Dans la Villa, l’empereur, entouré des œuvres d’art qui en faisaient l’ornement, se trouvait au centre symbolique d’une collection dont la fonction était d’offrir à son propriétaire et aux visiteurs une image spéculaire en réduction des merveilles de l’empire.
Aussi exacte que soit la reproduction, le modèle est susceptible d’être soumis à un certain nombre de modifications, notamment la miniaturisation, la duplication ou la transposition dans un autre matériau. Les spécialistes de l’art romain ont depuis longtemps noté la large diffusion dès la seconde moitié du 1er s. ap. J.-C. de répliques miniaturisées d’œuvres célèbres. Des statues de petite dimension ont probablement été réalisées par les sculpteurs d’époque hellénistique comme un témoignage de leur virtuosité, car la capacité d’un artiste à maîtriser toutes les échelles de la sculpture, du colossal à la miniature, est considérée comme une preuve du génie d’un artiste par certains auteurs antiques19. À l’époque romaine, la copie en réduction implique le plus souvent un changement de fonction de la statue. Les statuettes peuvent servir d’offrandes votives20, mais, plus souvent encore, elles sont destinées à un usage domestique21. La duplication en miroir d’une statue consiste à exécuter un double inversé du modèle originel afin de pouvoir placer deux exemplaires en pendant de part et d’autre d’un élément central (niche, arc ou porte) ou afin de former une paire22. Ce procédé, très répandu à l’époque romaine, résulte majoritairement de l’usage ornemental de la sculpture, tout particulièrement dans l’espace domestique23. Enfin, la transposition dans un matériau différent de celui du modèle est très fréquente dans la statuaire : beaucoup de copies en marbre reproduisent des originaux en bronze d’époque classique. C’est notamment le cas de l’une des œuvres les plus souvent imitées à l’époque romaine, le Doryphore de Polyclète. Dans ce cas, le rendu particulièrement aigu des mèches de cheveux et des poils pubiens cherche à contrefaire l’effet du métal. L’exemple du Doryphore est représentatif de ces jeux de variation des matières : à côté des copies en marbre blanc, les plus nombreuses, on trouve des exemplaires en pierre sombre (basalte) qui veulent donner à la pierre l’apparence du bronze dans un véritable effet paradoxal de trompe-l’œil24. La copie cherche moins à renvoyer au chef-d’œuvre polyclétéen pour lui-même qu’à utiliser l’immense notoriété de l’archétype pour mettre en valeur le jeu illusionniste sur les matières et le talent du copiste. Changement de matériau et miniaturisation peuvent aller de pair puisqu’il existe des statuettes en bronze reproduisant des originaux en marbre25. Ces statuettes, faciles à transporter et à copier en de multiples exemplaires, ont contribué à diffuser dans l’empire la connaissance des œuvres les plus célèbres. Du reste, la pratique consistant à fabriquer des petits bronzes imitant les opera nobilia se prolonge au-delà de l’Antiquité et se développe tout particulièrement à la Renaissance26. Plus accessibles que les copies d’Antiques grandeur nature, ces statuettes occupent une place de choix dans les cabinets de curiosité et dans les studioli des humanistes au même titre que les dessins et les gravures de motifs antiques.
À la lumière de ces réflexions, faut-il conclure que toute copie d’époque romaine peut être considérée comme une « inter-œuvre » dans la mesure où, comme nous l’avons dit, la copie implique un déplacement, un pas de côté par rapport à l’original ? Les jeux d’échelle ou d’hybridation creusent la distance entre la réplique et son modèle. Si l’inter-œuvre se définit bien comme un processus d’autonomisation, la « copie », en se séparant de l’œuvre modèle et en s’insérant dans un contexte de réception nouveau, ne peut plus être considérée comme un simple double. Du reste, les plasticiens contemporains ont maintes fois exploité les effets de décalage avec l’œuvre originelle créés par leurs interventions sur des statues antiques (ou sur leurs moulages) : colorisation, fragmentations, greffes ou duplication. On peut notamment penser aux « appropriations » de Francesco Vezzoli : en couplant ou en surlignant de couleurs des fragments de statues d’époque romaine, il rend l’œuvre authentique étrangère à elle-même et lui confère une nouvelle identité alors même que l’intervention de l’artiste paraît minimale27.
Toutefois, si pour la production d’un artiste contemporain, la qualification d’inter-œuvre paraît appropriée, elle s’impose de manière moins évidente s’agissant de l’Antiquité. Comme nous l’avons dit en commençant, la portée véritable de la notion d’œuvre dans les mondes anciens n’est pas facile à établir. L’emploi des termes ἔργον ou opus suivis du nom du sculpteur au génitif est attesté dans des contextes de collectionnisme, notamment comme épigraphe sur la base d’une statue28. L’œuvre est donc bien conçue comme un objet dont un artiste singulier est l’auteur. L’existence de biographies de peintres et de sculpteurs atteste, comme nous l’avons vu, la conscience d’une forme d’« auctorialité » dans le domaine des arts. Or, pour les contemporains l’assignation de l’œuvre à son auteur est étroitement liée à la notion d’authenticité : la production de l’artiste, pour être considérée comme son œuvre, doit procéder de sa main propre, résulter de son intervention directe sur la matière. Même si elle s’applique imparfaitement au mode de production en ateliers de la Renaissance et même si elle est battue en brèche par les procédés de « reproductibilité » actuels, cette conception de la création artistique continue à prévaloir et à fonder celle d’œuvre. La question est de savoir si les Romains, même les plus avertis, faisaient une différence entre une réplique et son modèle. Un amateur romain pouvait-il considérer qu’une copie du Doryphore restait malgré tout une œuvre de Polyclète ou pensait-il qu’une copie ne devait pas lui être attribuée ? Si la réplique n’est pas tenue pour telle, elle ne saurait être considérée comme une œuvre distincte. À partir de quel degré d’éloignement une copie n’est plus assimilée au modèle et peut être considérée comme une œuvre autonome, le fruit d’un processus d’aemulatio29 ? En d’autres termes, l’œuvre, pour les anciens, est-elle le produit de la main ou celui du dessein de l’artiste ?
Il est difficile de répondre à ces questions, car les témoignages transmis par les textes paraissent contradictoires. Je me limiterai à quelques remarques. De nombreux termes grecs (τύπος, προπλασμάτα), parfois repris en latin, servent à désigner des impressions en creux ou des moulages effectués à partir d’un modèle30 : ce moulage représente un degré de similitude dans l’imitation du modèle plus élevé que la copie. La pratique des moulages en plâtre est attestée par l’archéologie31. Ces moulages, strictement identiques au modèle et réalisés de manière mécanique, constituaient-ils, pour les anciens, une catégorie nettement distincte des répliques en marbre ou en bronze ? Par ailleurs, des œuvres dont on connaît plusieurs exemplaires – les copies d’un même archétype – peuvent être signées par les sculpteurs, ce qui pourrait indiquer qu’elles sont considérées comme des œuvres autonomes ou, à l’inverse, que la signature n’est pas un indice d’auctorialité, mais une simple estampille, une marque de fabrique ou de qualité. On connaît par exemple la paire de Centaures en marbre gris (dits Centaures Furietti), provenant de la Villa d’Hadrien et conservés aujourd’hui aux Musées du Capitole : leurs bases portent les signatures de deux sculpteurs d’Aphrodisias (Aristeas et Papias, actifs dans la première moitié du IIe s.). Or, il existe d’autres exemplaires identiques montrant que l’œuvre des deux sculpteurs cariens est l’une des copies d’un prototype commun, sans doute un original en bronze d’époque tardo-hellénistique32. Par ailleurs, la pratique de la signature sur des œuvres que l’on peut considérer comme des copies est fréquente chez les sculpteurs de l’école d’Aphrodisias33. Faut-il voir dans cette pratique le signe d’une évolution du goût des Romains, de plus en plus enclins à considérer les copies comme des œuvres à part entière à partir du moment où elles ont occupé une place majeure dans la production artistique et dans le commerce des œuvres d’art ?
Il est vraisemblable qu’une forme d’« attributionnisme » a existé dans le monde romain, c’est-à-dire une expertise technique permettant de reconnaître la « main » d’un artiste. À la fin du Ier s. av. J.-C., le rhéteur Denys d’Halicarnasse comparait le spécialiste de l’éloquence, capable de reconnaître le style d’un orateur, à l’amateur d’art susceptible de faire la différence entre les techniques des grands sculpteurs ou des grands peintres34. Cependant, même si Denys pose clairement les limites de ce type de compétences très spécialisées, il affirme qu’elles permettent de distinguer les artistes de leurs « suiveurs » :
Et voilà bien la règle (παράγγαλμα) qui permet non seulement aux orateurs de reconnaître les orateurs, mais aussi aux peintres de distinguer les œuvres d’Apelle de celles de ses imitateurs (τὰ τῶν ἐκεῖνον μιμησαμένων), aux sculpteurs, les œuvres de Polyclète, aux ciseleurs, les œuvres de Phidias35.
Le débat reste ouvert pour déterminer si le terme d’« imitateurs » désigne ceux qui fabriquent des copies ou ceux qui s’inspirent des caractéristiques des artistes classiques pour réaliser des œuvres nouvelles (interpretatio), mais, quoi qu’il en soit, ces préceptes qui guident l’expertise du connaisseur fondent aussi la possibilité de reconnaître une « inter-œuvre » comme telle.
Ecphrasis et inter-œuvre
Si l’on peut qualifier d’inter-œuvre le résultat d’une « migration médiale », c’est-à-dire la « conversion de l’œuvre dans un autre média », l’Antiquité offre un exemple significatif d’un tel procédé avec ce qu’il est convenu d’appeler ecphrasis. Employé tardivement par les rhéteurs grecs, ce terme désigne à l’origine une description ou un récit qui sollicitent la capacité de l’auteur à « faire voir » les choses (énargéia), mais il s’applique aujourd’hui presque exclusivement aux descriptions d’objets d’art36. Dans la littérature ancienne, ces descriptions ne constituent pas un genre à part, car elles s’insèrent généralement dans des épopées ou dans des récits de fiction. Elles illustrent parfaitement le processus d’aemulatio qui sous-tend les rapports entre littérature et image durant l’Antiquité classique (conformément au principe de l’ut pictura poesis horatien)37. Les auteurs peuvent réserver leurs descriptions, plus ou moins développées et détaillées, à des objets fictifs. C’est le cas de la première et de la plus célèbre d’entre elles, la description homérique du « Bouclier d’Achille », que l’on ne peut pas considérer comme une inter-œuvre dans la mesure où elle n’entretient aucun rapport d’interdépendance avéré avec un objet modèle. En revanche, la question pourrait se poser avec la description virgilienne du « Bouclier d’Énée », qui se rattache au modèle homérique par un jeu manifeste d’intertextualité38. Pour autant, ces objets fictionnels ont abondamment inspiré des réalisations plastiques aux époques modernes et contemporaines, lesquelles peuvent être légitimement considérées comme des inter-œuvres39. Ces créations plastiques, fondées sur la traduction visuelle d’un texte fameux, procèdent souvent d’un double objectif, à la fois esthétique et archéologique. À dire vrai, dès l’époque hellénistique, le désir de donner une forme matérielle à un objet poétique célèbre est bien attesté : au IIe s. av. J.-C., le grammairien Asclépiade de Myrléa avait fondé son exégèse allégorique et cosmologique de la « Coupe de Nestor », évoquée par Homère, sur une reconstitution de l’objet réalisée par le toreute Apelle, et son confrère Denys le Thrace avait également fait fabriquer la fameuse coupe par un artisan rhodien40. Un certain Promathidas d’Héraclée avait à son tour rédigé un commentaire en partant de la coupe dont Denys était le commanditaire. Un objet fictif avait donc donné lieu à un véritable enchaînement en cascade d’exégèses et d’artéfacts dans lesquels on pourrait reconnaître des formes d’inter-œuvres.
Parfois également les ecphraseis produites par les auteurs anciens concernent des œuvres bien réelles. On peut certainement qualifier ces descriptions d’inter-œuvres. C’est par exemple le cas des très longues descriptions des peintures de Polygnote dans le Portique Pœcile d’Athènes et dans la Lesché des Cnidiens à Delphes que l’on trouve chez Pausanias, ou de celles que Lucien a laissées de plusieurs tableaux célèbres aujourd’hui perdus, La famille de Centaures de Zeuxis ou La calomnie d’Apelle41. Ces textes ne doivent pas être considérés comme un simple reflet documentaire de l’œuvre qu’ils décrivent. Même si l’intention de Pausanias est bien de restaurer le prestige ancien de la Grèce et de conserver une trace des chefs-d’œuvre du passé, les descriptions de Lucien, quant à elles, inscrivent l’œuvre picturale dans un processus d’appropriation rhétorique qui dépasse la pure finalité mémorielle et qui confère aux tableaux une signification renouvelée. Les peintures décrites, en effet, sont évoquées pour soutenir les jugements, souvent polémiques, de l’auteur. La mention de l’œuvre de Zeuxis s’insère dans une prolalie qui développe une réflexion sur la séduction trompeuse de la nouveauté en art et le tableau d’Apelle vient à l’appui d’une mise en garde à l’égard des dangers de la vie de cour42. L’extrême acribie de ces descriptions a stimulé l’imagination des peintres et des graveurs depuis la Renaissance et nombreux sont ceux qui ont tenté de recréer La calomnie (Botticelli, Raphaël, Federico Zuccaro, Rubens, etc.) ou La famille de Centaures (Louis de Silvestre, Eugène Fromentin, Dali, etc.)43. Là encore, une chaîne interprétative s’est mise en place, allant du texte à l’image, et la présence / absence dans les textes des tableaux perdus a suscité la création d’œuvres nouvelles qui ont réinventé leur modèle en cherchant à restituer la forme qu’inspirait aux artistes la lecture des descriptions antiques.
L’absence ou le manque nourrissent, semble-t-il, la production des inter-œuvres. Le texte, en effet, peut être suscité par la disparition du tableau. Dans ce cas la description s’efforce de se substituer à la peinture. Lucien, dans Zeuxis ou Antiochos, décrit une œuvre qu’il déclare perdue et qu’il ne connaît que par une copie, comme si son texte se donnait pour but de saisir, à travers « l’image de l’image », la valeur artistique de l’œuvre originelle, de mettre en évidence (δηλῶσαι) les qualités techniques exceptionnelles de Zeuxis (τέχνη) :
On trouve de nos jours à Athènes une copie (ἀντίγραφος) de cette peinture, reproduite avec une précision parfaite. L’original (ἀρχέτυπον) a été envoyé en Italie, dit-on, par Sylla, le général romain, avec le reste de son butin, mais le bateau ayant ensuite sombré au large du cap Malée, je crois, tout fut perdu, y compris le tableau. Cependant j’ai vu la copie de la peinture (την γε εἰκόνα τῆς εἰκόνος) et je vais vous la décrire avec des mots, le mieux que je pourrai – non par Zeus, que je sois un connaisseur en peinture, mais parce que je m’en souviens parfaitement, l’ayant vue il y a peu chez un peintre à Athènes. L’extrême admiration que j’éprouvai alors pour l’ouvrage (τὴν τέχνην) m’aidera peut-être encore maintenant à la décrire avec plus de clarté (πρὸς τὸ σαφέστερον δηλῶσαι) 44.
De son côté, l’artéfact – qu’il s’agisse de la coupe de Denys le Thrace ou de la Calomnie de Botticelli – paraît sanctionner l’échec de l’ecphrasis, en souligner l’insuffisance ou le caractère déceptif, puisque certains lecteurs des textes ont éprouvé le besoin de transposer l’objet décrit dans la réalité matérielle, de lui donner ou de lui re-donner une présence visuelle.
Je voudrais finir en évoquant un exemple d’interaction complexe entre images et textes, où œuvres et inter-œuvres paraissent mutuellement s’engendrer. Dans le Conte d’Amour et de Psyché, Apulée raconte comme Vénus, furieuse contre la jeune Psyché qu’elle recherche partout sur la terre, monte au ciel pour demander l’aide de Jupiter :
Cependant, Vénus, renonçant à poursuivre ses recherches par des moyens terrestres, se dispose à monter au ciel. Elle fait équiper le char que Vulcain, subtil orfèvre, avait mis tout son art (subtili fabrica) à façonner pour elle et qu’il lui avait offert en cadeau de noces avant les prémices de l’hymen : ouvrage embelli de tout ce dont l’avait diminué, en l’affinant, le travail de la lime, et auquel la perte même de l’or avait ajouté du prix. Des nombreuses colombes qui nichent aux abords de l’appartement de leur maîtresse, quatre s’avancent, toutes blanches, qui, d’une démarche joyeuse et tournant leurs cous nuancés, se placent sous le joug orné de pierreries, reçoivent leur maîtresse et prennent gaiement leur vol. Des passereaux accompagnent le char de la déesse de leurs ébats et de leurs pépiements bruyants, tandis que les autres oiseaux au chant harmonieux font retentir doucement leurs suaves mélodies et annoncent l’arrivée de la déesse. Les nuages s’écartent, le ciel s’ouvre pour sa fille, l’éther, tout là-haut accueille avec joie l’immortelle ; ni la rencontre des aigles ni les éperviers rapaces ne viennent causer d’effroi à la suite chantante de la grande Vénus. Celle-ci se rend droit à la forteresse royale, demeure de Jupiter. Hautaine, elle présente sa requête et demande qu’on lui prête les services de Mercure, le dieu à la voix sonore, pour une affaire urgente. Jupiter, de son noir sourcil, signifie son acquiescement45.
Faut-il voir, dans ce texte, une forme d’ecphrasis, même si l’on ne connait aucune représentation en peinture ou en mosaïque qui puisse être précisément comparée à ce cortège ailé de la déesse46 ? Peut-être la description, en raison des nombreuses notations sonores, cherche-t-elle à rappeler les spectacles de pantomime dans lesquels les apparitions de Vénus étaient très prisées du public47. En réalité, le texte multiplie les références métalittéraires et métapoétiques : l’intervention de Vulcain fait écho aux épisodes précédemment cités des « boucliers » dans l’Iliade et dans l’Énéide, puisqu’ils mettent précisément en scène le dieu-artisan œuvrant dans son atelier au service de Vénus. Le joug serti de pierreries des colombes rappelle le funeste collier d’Harmonie fabriqué, lui aussi, par le dieu48. La métaphore du « travail de la lime », qui caractérise ici l’art de l’orfèvre, qui, en enlevant de la matière, rend paradoxalement plus précieux l’objet qu’il façonne, appartient, au moins depuis Horace, aux images métapoétiques les plus fréquentes pour évoquer le labeur du poète49. L’art de Vulcain renvoie donc implicitement à celui du rhéteur qui polit et affine son texte pour lui donner davantage d’éclat et de raffinement suivant les normes esthétiques de la subtilitas héritées de la poétique alexandrine.
Il convient surtout de revenir sur la fin du texte. Après son ascension, Vénus atteint le palais céleste avant d’être mise en présence de Jupiter. Le lecteur pourrait s’attendre à un morceau de bravoure, à une description du dieu. Or, seuls quelques mots le caractérisent : « Jupiter, de son noir sourcil, signifie son acquiescement ». Pour autant, cette brève mention fait grandement sens. Elle renvoie à un passage fameux d’Homère : « Il dit, et de ses sombres sourcils, le fils de Chronos fit un signe d’acquiescement50 ». La tradition voulait que ces vers de l’auteur de l’Iliade eussent inspiré à Phidias le modèle de la statue chryséléphantine du Zeus d’Olympie51. Cette fugace allusion suscite par conséquent une image mentale chez le lecteur : celle de la statue colossale d’Olympie. Cette œuvre est bien connue durant toute l’Antiquité, elle est reproduite sur les monnaies, son iconographie influence presque toutes les représentations postérieures des dieux en majesté52. Elle est également réputée avoir fasciné les visiteurs, notamment romains, qui firent le voyage pour pouvoir la contempler53. La vision de l’œuvre de Phidias est parfois décrite comme une révélation mystique et la divinité apparaît dans des songes prophétiques sous l’apparence de sa statue connue de tous54.
Si le texte d’Homère est réputé avoir suggéré à Phidias la forme de sa statue, la statue elle-même a aussi servi d’argument à un célèbre discours du rhéteur Dion de Pruse au tournant du Ie et du IIe s. ap. J.-C. Dion, après s’être adressé à son auditoire, donne fictivement la parole au sculpteur. En justifiant ses choix, Phidias propose au lecteur une réflexion philosophique et théologique sur la nature des dieux, réflexion qui confère pour la première fois à l’image la capacité d’exposer « les réalités divines ». Pour le rhéteur, les vers d’Homère ont pu servir de modèle à l’artiste précisément parce qu’ils possédaient déjà l’ἐνάργεια, le pouvoir de « mettre sous les yeux » ce qui est décrit :
Cette statue, vos ancêtres ont réussi à conjuguer une immense prodigalité et l’art à son plus haut niveau pour la fabriquer et la consacrer, la plus belle et la plus chère aux dieux, de toutes les statues qui sont sur terre, et c’est avec la poésie homérique en tête, à ce qu’on dit, que Phidias a conçu l’image de celui qui fait tourbillonner l’Olympe tout entier par un petit froncement de sourcils, exactement comme le décrit le poète de manière parfaitement vive et saisissante (ἐγαργῶς καὶ πεποιθότως) dans ces vers55 […].
Pourtant, si la poésie est bien à l’origine de l’œuvre plastique, l’artiste, pour Dion de Pruse, y ajoute quelque chose. La statue n’est pas un simple prolongement du poème, elle en transpose les potentialités et surtout en élargit l’audience car elle s’adresse à un public plus vaste et moins éduqué :
C’est qu’ils (les artistes) ne voulaient pas apparaître totalement dénués de crédibilité à leur public, ni perdre de leur charme par trop d’innovation. Ils réalisaient donc la plupart de leurs œuvres en suivant les mythes et en allant dans leur sens, mais ils introduisaient aussi en partie des éléments tirés d’eux-mêmes, pour se faire, en un sens, rivaux et confrères (ἀντίτεχνοι καὶ ὁμότεχνοι) des poètes en leur art : tout comme ces derniers se servaient de l’ouïe pour montrer les choses, eux avaient tout simplement recours à la vue pour exposer les réalités divines à des spectateurs plus nombreux et bien plus ignorants56.
Les artistes sont à la fois proches des poètes dont ils s’inspirent, ils en « partagent l’art » (ὁμότεχνοι), et, en même temps, ils s’en « distinguent par leur art » (ἀντίτεχνοι) ; ils produisent du même et du dissemblable. Ce pourrait être la définition de l’inter-œuvre.
Le discours de Dion, consacré à l’histoire du sentiment du divin chez les hommes, fait du Zeus de Phidias la forme d’expression la plus éclatante de ce sentiment, après le sentiment naturel, la poésie et la législation, mais avant la philosophie qui en constitue la forme suprême. C’est aussi celle qui touche le plus grand nombre. L’interlocuteur fictif du sculpteur insiste sur l’universalité de l’œuvre d’art puisque sa vue (ὄψις) procure à tous à la fois plaisir (τέρψις) et saisissement (ἔκπληξις) :
Imaginons donc que quelqu’un lui dise : « Ô toi le plus grand, le meilleur des artistes, tu as réalisé une œuvre que l’on se plaît à contempler, source d’un plaisir invincible pour les yeux, et tu l’as destinée à l’ensemble des Hellènes et des barbares, tous autant qu’ils sont à être déjà venus ici, tant de fois, en si grand nombre – et cela personne ne le niera ! Car c’est la réalité : à coup sûr elle frappera de stupeur même les animaux, pourtant privés de raison par nature, s’ils pouvaient seulement la voir57 ».
Le fait que la statue produise son effet sur les animaux eux-mêmes prouve que c’est bien au sentiment naturel du divin que le sculpteur a su s’adresser. C’est également, de la part du rhéteur, un clin d’œil à l’un des topoi les plus fréquents du discours esthétique antique, celui du « jugement des animaux » comme critère de l’efficacité mimétique de l’image58. On a déjà montré comment le texte de Dion reportait sur l’œuvre de Phidias les qualités habituellement attribuées par les auteurs anciens (Hésiode, Pindare ou Gorgias) à la poésie et à la parole en général59. Il va sans dire que les références à ces auteurs, que l’auditeur doit percevoir en « sous-texte », suggèrent que la défense de l’art du sculpteur à laquelle Dion se livre ici s’applique aussi à son propre art, celui de l’éloquence.
Au-delà même de la portée du sentiment religieux que la statue de Zeus a su rendre universel, elle revêt aussi, aux yeux de Dion de Pruse, une signification que l’on pourrait qualifier de « civilisationnelle » :
Mais toi, par la force de ton art, tu as remporté la victoire et unifié la Grèce, tout d’abord, puis les autres peuples grâce à cette effigie que voilà, en lui prodiguant un caractère divin et un éclat tels qu’aucun de ceux qui l’ont vue ne peut ensuite se faire facilement une autre idée du dieu60 !
L’unité qui se constitue autour de l’œuvre célèbre est moins politique que culturelle. On peut comprendre, dès lors, l’importance de l’allusion à l’œuvre de Phidias dans le passage d’Apulée cité précédemment. Assurément, il y a une part d’humour chez le rhéteur de Madaure, car il joue avec l’attente du lecteur en omettant sciemment une ecphrasis attendue par le lecteur. La renommée de la statue, sa valeur emblématique, lui permet de faire une ellipse. La simple allusion suffira à convoquer une image dans l’esprit du lecteur. L’ellipse est possible précisément en raison de cette portée universelle du chef-d’œuvre de Phidias qu’exaltait Dion de Pruse. L’ellipse, en elle-même, est un signe de reconnaissance, la revendication par Apulée de son appartenance à la communauté des hommes de culture (grecque) et une invitation pour son lecteur à s’y rattacher à son tour.
La littérature ancienne repose sur un jeu complexe et parfois subtil d’interdépendance entre les textes et, également, entre les textes et les images. Ces échanges entre des œuvres d’époques différentes61, entre des médias différents, ont favorisé la création d’œuvres qui paraissent s’engendrer parfois les unes les autres, faire déboucher le texte sur l’image et inversement. C’est dans ce mécanisme inhérent au mode de production littéraire et artistique antique, fondé sur une gradation qui va de l’imitatio à l’aemulatio, que peut se placer un mécanisme proche de ce que nous nommons aujourd’hui inter-œuvre. L’œuvre se prolonge toujours dans un ailleurs et, en se prolongeant, elle se renouvelle. L’inter-œuvre résulte d’un point de vue : celui du spectateur qui regarde le tableau ou la statue comme un palimpseste ; une œuvre peut en cacher / révéler une autre. Or le spécialiste de l’Antiquité touche là aux limites de sa discipline. Le regard des anciens nous échappe en grande partie ou n’est accessible qu’à travers des témoignages indirects, littéraires en particulier, témoignages qui sont peut-être eux-mêmes autant d’inter-œuvres.
Notes
Sur les usages du mot auctor et sur son emploi pour désigner l’auctorialité littéraire, voir en dernier lieu Qu’est-ce qu’un « auctor » ? Auteur et autorité, du latin au français, Bordeaux, dir. Élisabeth Gavoille, Éditions Ausonius, 2019 ; sur la question du « style » comme marque d’auctorialité dans le domaine des arts plastiques, Personal Styles in Greek Sculpture, dir. Olga Palagia, Jerome J. Pollitt, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 1-16.
De là diverses traditions sur les signatures cryptées des artistes ; pour Pline, Histoire naturelle, XXXVI, 42-43, les architectes du nom de Batrachus (grenouille) et Saura (lézard) auraient fait représenter ces deux animaux sur des bases de colonnes, car l’inscription de leurs noms sur les temples dont ils étaient les constructeurs leur aurait été refusée ; Phidias aurait inséré son portrait sur le bouclier de l’Athéna Parthénos et si le portrait était ôté, la structure de l’œuvre tout entière se défaisait ; Riccardo Di Cesare, « Il rittratto du Fidia nello scudo dell’Atena Parthenos », in Parisi Presicce Claudio, Agnoli Nadia, Avagliano Alessandra, De Tomasi Francesca, Fidia, catalogue de l’exposition de Rome, Musei Capitolini, Rome, L’« Erma » di Bretschneider, 2024, p. 13-22 ; Renaud Robert, « De la reproduction à la production : valorisation ou dépassement de la tekhnê chez les artistes grecs », in Le travail et la pensée technique dans l’Antiquité classique. Lecture et relecture d’une analyse de psychologie historique de Jean-Pierre Vernant, TIP XV, dir. Anne Balansard, n°1, 2003, p. 82-103.
Renaud Robert, « Immensa potentia artis. Prestige et statut des œuvres d'art à Rome à la fin de la République et au début de l'Empire », RA, 2, 1995, p. 291-305.
4 En dernier lieu, Margaret M. Miles, Art as Plunder. The Ancient Origins of Debate about Cultural Property, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 14-104.
Steven H. Rutledge, Ancient Rome as a Museum. Power, Identity, and the Culture of Collecting, Oxford, Oxford University Press, 2012, en particulier p. 31-78 ; Alessandra Bravi, Ornamenta urbis. Opere d’arte greche negli spazi romani, Bari, Edipuglia, 2012 ; Maia Wellington Gahtan, Donatella Pegazzano, « Museum Archetypes and Collecting : An Overview of the Public, Private, and Virtual Collections of the Ancient World », in Maia Wellington Gahtan, Donatella Pegazzano, Museum Archetypes and Collecting in the Ancient World, Monumenta Graeca et Romana, 21, Leyde, Boston, Brill, 2014, p. 1-18 ; Paolo Liverani, « The Culture of Collecting in Roma: Between Politics and Administration », ibid, p. 72-77.
Sur la notion critique de « style » et de « canon » dans l’Antiquité : Jeffrey Walker, « The Canons of Style », in Pierre Destrée, Pénélope Murray, A Companion to Ancient Aesthetics, Malden, Oxford, Chichester, Wiley Blackwell, 2015, p. 175-187.
Jeremy Tanner, The Invention of Greek History in Ancient Greece. Religion, Society and Artistic Rationalisation, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, en particulier, p. 205-276.
Pline, Histoire naturelle, XXXV, 79 et 97.
Pline, Histoire naturelle, XXXV, 80 ; XXXIV, 92 et 81.
Sur le vocabulaire technique des arts plastiques : Jerome J. Pollitt, The Ancient view of Greek Art, Criticism, History, and Terminology, New Haven, Londres, Yale University Press, 1974.
Pline, Histoire naturelle, XXXVI, 39 ; Évelyne Prioux, Eleonora Santin, « Des écrits sur l’art aux signatures d’artistes : l’école de Pasitélès un cas d’école sur la notion de filiation artistique », Topoi, 19, 2, 2014, p. 515-546.
Françoise Duthoy, Sculpteurs et commanditaires au IIe siècle après J.-C. Rome et Tivoli, CEFR, 465, Rome, 2012, p. 115-128.
Adolf Furtwängler, Meisterwerke der griechischen Plastik. Kunstgeschistliche Untersuchungen, Leipzig, Berlin, Giesecke und Devrient, 1893 ; Karl Schefold, Meisterwerke griechischer Kunst, Bâle, Stuttgart, Benno Schwabe & co, 1960; voir aussi Ellen Perry, The Aesthetics of Emulation in the Visual Arts of Ancient Rome, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 78-108.
Arno Reiff, Interpretatio, imitatio, aemulatio. Begriff und Vostellung literarischer Abhängigkeit bei den Römern, Bonn, Habelt, 1959 ; il ne semble pas que ces trois termes constituent un véritable système organique fondé sur une évaluation graduelle des formes d’imitation littéraires.
Lucien, Les portraits, 6 (trad. É. Chambry).
Sur la notion de decor et de decorum : Ellen Perry, The Aesthetics of Emulation, op. cit., p. 28-49.
Giorgio Ortolani, Il padiglione di Afrodite Cnidia a Villa Adriana : progetto e significato, Rome, Dedalo, 1998, p. 19-22.
Histoire Auguste, Vie d’Hadrien, 26, 5 : « Il construisit à Tibur une villa extraordinaire : sur les différentes parties du domaine étaient inscrits les noms des provinces et des sites les plus célèbres ; y figuraient entre autres le Lycée, l’Académie, le Prytanée, le Canope, le Poecile et Tempé ; et, pour ne rien oublier, il y représenta même les Enfers » (trad. A. Chastagnol).
C’est le cas du poète Posidippe de Pella qui célèbre dans ses épigrammes consacrées aux sculpteurs (Andriantopoiika) aussi bien le style solennel que le style raffiné des artistes anciens et modernes ; Évelyne Prioux, Regards alexandrins. Histoire et théorie des arts dans l’épigramme hellénistique, Louvain-Paris-Dudley, Peeters, 2007, p. 108-113.
On peut penser à la statuette en bronze d’Hercule découverte à Sulmone : elle reprend le type de l’Hercule au repos de Lysippe (Hercule Farnèse) ; Lisippo, l’arte et la fortuna, catalogue de l’exposition de Rome, dir. Paolo Moreno, Milan, Fabbri editori, 1995, p. 104-109 ; elle a été dédiée dans le sanctuaire d’Hercule Curinus par un notable Marse, Marcus Attius Peticius, comme l’indique l’inscription gravée sur la base. De la même manière, Pline le Jeune (Lettres, III, 6) déclare vouloir offrir au temple de Jupiter à Côme une statue de petite taille (modicum) en bronze de Corinthe représentant un vieux pêcheur, type généralement réservé au décor domestique à l’époque romaine ; Hans Laubscher, Fischer und Landleute. Studien zur hellenistischen Genreplastik, Mayence, Ph. Von Zabern, 1982.
Elizabeth Bartman, Ancient Sculptural Copies in Miniature, Leyde-New York-Cologne, E.J. Brill, 1992, p. 31-50 ; Giandomenico Spinola, « Miniaturizing Greek Masterpieces. Small Size Copies and their Purpose », in Serial / portable Classic, dir. Salvatore Settis, Anna Anguissola, op. cit., p. 145-151.
Plusieurs plaques Campana représentant le portique d’une palestre orné de statues offrent un exemple intéressant de duplicatio : au centre, dans un entrecolonnement plus haut que le reste du portique, se dresse une statue d’Hercule sur son piédestal ; deux statues de pugilistes identiques occupent les entrecolonnements à la gauche de la figure centrale ; les deux statues dupliquées cherchent à évoquer la paire de pugilistes qui s’affrontaient habituellement dans la palestre ; plaque du Musée Pouchkine à Moscou (Inv. N° AT 3700) et de la Ny Carlsberg Glyptotek de Copenhague (Inv. N° 1929) : Vagn Poulsen, Catalogue des terres cuites grecques et romaines, Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague, Publications de la Glyptothèque Ny Carlsberg, 1949, n° 104.
Elizabeth Bartman, « Decor et duplication : Pendants in Roman Sculptural Display », AJA, 92, 1988, p. 211-225 ; ead., « Sculptural Collecting and Display in the Private Realm », in Roman Art in the Private Sphere. New Perspectives on the Architecture and Decor of the Domus, Villa, and Insula, dir. Elaine K. Gazda, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1991, p. 71-88.
Rolf Michael Schneider, « Nuove immagini del potere romano. Sculture in marmo colorato nell’impero romano », in I marmi colorati della Roma imperiale, Catalogue de l’exposition de Rome 2002, dir. Marilda De Nuccio, Lucrezia Ungaro, Venise, Marsilio, 2002, p. 88-89 ; Anna Anguissola, « The Doryphorus », in Serial / portable Classic, dir. Salvatore Settis, Anna Anguissola, op. cit, p. 219.
On pense notamment aux petits bronzes dérivés de l’Aphrodite de Cnide de Praxitèle, comme la statuette du Louvre (n°MND 2335 – Br 4419) : Alain Pasquier, Jean-Luc Martinez, Praxitèle, catalogue de l’exposition de Paris 2007, Paris, Musée du Louvre éditions, Somogy, 2007, p. 191-192.
Davide Gasparotto, « The pleasure of Littleness. The Allure of Antiquity in the Italian Renaissance », in Serial / portable Classic, dir. Salvatore Settis, Anna Anguissola, op. cit, p. 81-88 ; Pauline Chougnet, Caroline Vrand, « Rome noviter repertum. Graver et dessiner les antiques à la Renaissance », in Jean-Marc Chatelain, Gennaro Toscano, L’invention de la Renaissance. L’humaniste, le prince et l’artiste, catalogue de l’exposition de la BNF 2024, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2024, p. 112-120.
François-René Martin, « Produire l’art du passé. Au sujet de quelques appropriations de Francesco Vezzoli », in Francesco Vezzoli. Le Lacrime dei poeti, catalogue de l’exposition d’Avignon, collection Lambert, Arles, Actes Sud, 2019, p. 129-149.
Voir les remarques de Paolo Moreno, Lisippo, Bari, Dedalo, 1974, p. 140-143 sur l’usage des mots ἔργον ou opus ; deux épigrammes de Martial évoquent une statuette d’Hercule attribuée à Lysippe, propriété d’un collectionneur, Nonius Vindex, commanditaire des poèmes : dans la première épigramme le poète rappelle l’histoire (sans doute fictive) de la statue qui est réputée avoir appartenu à Alexandre, Hannibal et Cornélius Sylla avant d’orner la table de Nonius Vindex ; dans la seconde le poète est invité par Hercule à lire l’inscription sur sa base :
Alciden modo Vindicis rogabam
esset cuius opus laborque felix.
Risit, nam solet hoc, leuique nutu
« Graece numquid » ait « poeta nescis ?
inscripta est basis indicatque nomen. »
Λυσίππου lego, Phidiae putavi.
Naguère je demandai à l’Alcide de Vindex de qui il était l’œuvre et l’heureux ouvrage. Il se mit à rire (c’est son habitude), et dit en hochant la tête : « Poète, tu ne sais donc pas le grec ? La base porte une inscription et indique le nom ». Je lis (œuvre) de Lysippe, j’avais cru de Phidias. Même association du mot opus avec le génitif du nom de l’artiste chez Ausone, Épigrammes, 12 (avec une erreur sur l’attribution de la statue de Kairos à Phidias).
Voir les réflexions de Rachel Meredith Kousser, Hellenistic and Roman Ideal Sculpture. The Allure of the Classical, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 4-16.
Sur les emplois du mot τύπος (du verbe τύπόω, « marquer d’une empreinte »), Jerome J. Pollitt, The Ancient View of Greek Art, op. cit., p. 272-293 ; le mot a des sens divers (il a couramment celui de « relief ») ; il implique qu’une forme s’imprime ou s’exprime dans une matière ; par exemple chez Platon (Timée, 50C) où les formes de la nature sont présentées comme une imitation ou une empreinte des idées : « Telle une cire molle, sa nature est prête pour toute impression ; elle est mise en mouvement et découpée en figures par ce qui y entre, et elle apparaît de ce fait tantôt sous un aspect, tantôt sous un autre ; quant à ce qui y entre et en sort, ce sont des imitations (μιμήματα) des êtres éternels, des empreintes (τυπωθέντα) provenant d’eux d’une matière dure à exprimer et merveilleuse, dont nous remettons l’examen » (trad. L. Robin) : les deux participes ne sont pas synonymes, mais forment une gradation, l’empreinte étant plus proche de la forme originelle que la simple imitation ; le moulage en plâtre des visages est aussi attesté : Pline, Histoire Naturelle, 35, 153 ; pour exalter la capacité des artistes à imiter les formes, les poètes comparent parfois leur art à celui du moulage, Anthologie grecque, XVI, 216 (Parménion) : « Polyclète d’Argos, le seul à avoir contemplé de ses yeux Héra et à en avoir pris le moulage (τυπωσάμενος) telle qu’il l’a vue, n’a révélé aux mortels de sa beauté que ce qui est autorisé. Les formes qui sous les voiles demeurent inconnues, nous les garderons pour Zeus ». Les mots τύπος ou ἔκτυπον et προπλασμάτα ont parfois aussi le sens d’« ébauche » ou d’« esquisse ». L’étude du vocabulaire de la « copie » a récemment été reprise avec une grande précision par Anna Anguissola, Difficillima imitatio. Immagine e lessico delle copie tra Grecia e Roma, Rome, L’« Erma » di Bretschneider, 2012 avec notamment un glossaire, p. 179-183 ; l’auteur montre que les nombreux mots qui font référence à un processus de reproduction désignent un aspect de ce processus (par exemple les composés tels que ἀπόφραφον ou ἀντίγραφος insistent sur le mécanisme de dérivation à partir du modèle, quand les termes tels que τύπος ou le verbe exprimere recourent à l’image de l’empreinte ou du moulage) : aucun terme ne correspond exactement à la valeur générique du mot copie en français.
Notamment ceux découverts sur le site antique de Baïes : Christa Landwehr, Griechische Meisterwerke in römischen Abgüssen. Der Fund von Baiae : zur Teknik antiker Kopisten, Francfort, Liebieghaus, 1982.
Les deux statues, destinées à être rapprochées, représentent un jeune et un vieux centaure ; une autre paire en marbre blanc a été découverte à Rome (le vieux centaure, dit Centaure Borghèse, est conservé au Louvre, l’autre au Musée Pio Clementino au Vatican) ; ils portent un amour ailé sur le dos ; les centaures Furietti eux-aussi étaient sans doute à l’origine chevauchés par un amour aujourd’hui disparu ; Pascale Linants De Bellefonds, « Entre Champêtre et Héroïque : couples de Centaures dans la sculpture d’Aphrodisias de Carie », in L’Héroïque et le Champêtre. Appropriation et destruction des théories stylistiques dans la pratique des artistes et dans les modalités d’exposition des œuvres, dir. Marianne Cojannot-Le Blanc, Claude Pouzadoux, Évelyne Prioux, Paris, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2014, volume 2, p. 141-164.
Marianne Bergmann, Chiragan, Aphrodisias, Konstantinopel : zur mythologischen Skulptur der Spätantike, Palilia 7, Wiesbaden, Dr. Ludwig Reichert Verlag, 2000.
Denys d’Halicarnasse, Opuscules rhétoriques (Démosthène), V, 50, 4 : « C’est la même chose en peinture ou en sculpture ; à moins d’avoir acquis une grande expérience, à moins d’avoir pendant longtemps usé ses yeux à examiner les techniques des artistes de jadis, on ne peut les distinguer du premier coup ni affirmer avec certitude que telle œuvre est de Polyclète, telle autre de Phidias, telle autre d’Alcamène ; ou bien, s’il s’agit de peintures, que celle-ci est de Polygnote, telle autre de Timanthe, telle autre de Parrhasios » (trad. G. Aujac modifiée).
Denys d’Halicarnasse, Opuscules rhétoriques (Dinarque), XII, 7, 7 (trad. G. Aujac). On notera toutefois que dans un passage de l’Histoire naturelle (35, 145) dans lequel Pline note l’intérêt que les amateurs portent aux esquisses, il est précisé que ces dernières permettent de jauger non pas la technique de l’artiste, mais bien son dessein : « Mais ce qui est vraiment rare et digne d’être retenu, c’est de voir les œuvres ultimes de certains artistes et leurs tableaux inachevés (…) être l’objet d’une admiration plus grande que des ouvrages terminés, car en eux l’on peut observer les traces de l’esquisse (liniamenta reliqua) et la conception même (ipsaeque cogitationes) de l’artiste, et le regret que la main de celui-ci ait été arrêtée en plein travail contribue à lui attirer la faveur du public » (trad. J.-M. Croisille).
Ruth Webb, Ekphrasis, Imagination and Persuasion in Ancient Rhetorical Theory and Practice, Farnham, Ashgate, 2012, p. 87-106 ; Faire Voir. Études sur l’enargéia de l’Antiquité à l’époque moderne, dir. Florence Klein, Ruth Webb, Lille, Presses du Septentrion, 2021, p. 9-19.
Horace, Art poétique, 361. Michael Squire, Image and Text in Graeco-Roman Antiquity, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, en particulier p. 189-196.
Homère, Iliade, XVIII, 462-617 ; Virgile, Énéide, VIII, 608-731 ; Michael C. Putnam, Virgil’s Epic Designs. Ekphrasis in the Aeneid, New Haven, Londres, Yale University Press, 1998, p. 119-188.
Les multiples interprétations plastiques du « Bouclier d’Achille » ont été récemment étudiées par Anne-Marie Lecoq, Le bouclier d’Achille, un tableau qui bouge, Paris, Gallimard, 2010 ; également : Andrew Sprague Becker, The Shield of Achilles and the Poetics of Ekphrasis, Lanham-Londres, Rowman & Littlefield, 1995.
Homère, Iliade, XI, 628-641 ; Athénée, Deipnosophistes, XI, 487f – 493f (trad. de l’auteur) : « On raconte que Denys le Thrace fit fabriquer à Rhodes la coupe de Nestor avec l’argent fourni par deux de ses élèves ; Promathidas d’Héraclée, expliquant comment Denys avait conçu la coupe, dit qu’il s’agissait d’un skyphos avec deux anses placées côte à côte, exactement comme un navire à deux proues, et qu’autour des anses se tenaient les colombes ».
Pausanias, Description de la Grèce, I, 15, 1-4 (Athènes) ; X, 25-31 (Delphes) ; Lucien, Zeuxis ou Antiochos, 3-8 ; Qu’il ne faut pas croire à la légère à la calomnie, 2-5.
Sonia Maffei, Luciano di Samosata. Descrizioni di opere d’arte, Turin, Einaudi, 1994, p. 18-31 et p. 32-55 ; Sandrine Dubel, Portrait du sophiste en amateur d’art, Paris, Presses de l’ENS, 2014, p. 65-67 et p. 87-88.
Sur les innombrables réinventions du tableau d’Apelle : Jean-Michel Massing, Du texte à l’image. La calomnie d’Apelle et son iconographie, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1990 ; voir aussi François Lissarrague, François Pouillon, « Les Centaures d’Eugène Fromentin », in Centaures et centauresses, dir. Alexandre Blaineau, Le Méjan, Actes Sud, 2023, p. 165-185.
Lucien, Zeuxis ou Antiochos, 3 (trad. A.-M. Ozanam).
Apulée, Les métamorphoses, VI, 67. D’autres textes du roman cherchent peut-être à rivaliser avec les œuvres plastiques ; c’est par exemple le cas de la description du cortège marin de Vénus (IV, 31).
Sur l’ecphrasis chez Apulée, voir notamment : Michael Paschalis, « Reading Space : a Re-examination of Apuleian Ekphrasis », in Space in the Ancient World, dir. Michael Paschalis, Stavros Frangoulidis, Groningue, Barkhuis Publishing & Groningen University Library, 2002, p. 132-142 ; Nial W. Slater, « Apuleian Ecphraseis : Depiction at Play », in Paideia at Play : Learning and Wit in Apuleius, dir. Werner Riess, Groningue, Barkhuis Publishing & Groningen University Library, 2008, p. 235-250 ; Basil Dufallo, The Captor’s Image. Greek Culture and Roman Ecphrasis, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 244-251.
Sur les rapports entre arts plastiques et pantomime, voir Marie-Hélène Garelli, Danser le mythe. La pantomime et sa réception dans la culture antique, Louvain, Paris, Dudley, Peeters, 2007, p. 351-355 ; Anne Berlan-Bajard, Images, spectacles et pouvoir à Rome, les scènes historiques et mythologiques dans les munera, Bordeaux, éditions Ausonius, 2019.
Pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 4, 2, 25.
Horace, Art poétique, 290-291 ; Ovide, Tristes, I, 7, 31 ; l’allusion au col chatoyant (picta) des colombes peut aussi faire écho à une fameuse description de cet oiseau chez Lucrèce, De la nature, 801-805.
Homère, Iliade, I, 528-531 (trad. de l’auteur) ; sur les références à Homère dans les Métamorphoses d’Apulée, Stephen John HARRISON, Framing the Ass. Literary Texture in Apuleius’ Metamorphoses, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 257-270.
Polybe, Histoires, XXX, 15, 3 ; Strabon, Géographie, VIII, 353 ; Valère Maxime, Faits et dits mémorables, III, 7, ext. 4 ; Plutarque, Vie de Paul-Émile, 28, 5.
Sur ce sujet, voir en dernier lieu : Kenneth Lapatin, « Representing Zeus », in Janette Mc William, Sonia Puttock, Tom Stevenson, Rashna Taraporewalla, The Statue of Zeus at Olympia. New Approaches, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2011, p. 79-107. Une réplique à l’échelle aurait été conservée dans le temple de Daphné, près d’Antioche : Ammien Marcellin, Histoires, 22, 13, 1.
Ce fut le cas de Paul-Émile après la victoire de Pydna en 168 av. J.-C. : Tite-Live, Histoire romaine, XLV, 28 (et ci-dessus note 33) ; Dion de Pruse, Discours olympique, XII, 50, 5-9 évoque les visiteurs nombreux, grecs et barbares, qui sont venus contempler la statue ; Caligula avait vainement tenté de transporter la statue à Rome, Suétone, Vie de Gaius (Caligula), 57, 1 ; Flavius Josèphe, Antiquités juives, 19, 1 ; Dion Cassius, Histoire romaine, LIX, 28, 3.
Lucien, Sur les sacrifices, 11 ; Philostrate, Vie d’Apollonios de Tyane, IV, 28 ; sur les visions prophétiques, Plutarque, Vie de Sylla, 17, 4 : les personnages qui rapportent à Sylla leur songe sont modestes, un marchand et un légionnaire ; c’est l’indice que l’image du Zeus d’Olympie était dans toutes les mémoires.
Dion de Pruse, Discours olympique, XII, 25-26 (trad. Th. Grandjean, L. Thévenet).
Dion de Pruse, Discours olympique, XII, 46.
Dion de Pruse, Discours olympique, XII, 50-51, 5-10 (trad. Th. Grandjean, L. Thévenet modifiée).
La plus célèbre anecdote est celle du jugement des oiseaux qui prennent pour réels les fruits peints par Zeuxis ; Pline, Histoire naturelle, XXXV, 65-66 ; l’anecdote est indéfiniment remployée jusqu’à l’époque moderne ; Valérie Naas, Anecdotes artistiques chez Pline l’Ancien. La constitution d’un discours romain sur l’art, Paris, Sorbonne Université Presses, 2023, p. 163-164.
Patrick O’sullivan, « Dio Chrysostom and the Poetics of Phidias’ Zeus », in Kenneth LAPATIN, « Representing Zeus », in Mc William Janette, Puttock Sonia, Stevenson Tom, Taraporewalla Rashna, The Statue of Zeus, op. cit., p. 137-154.
Dion de Pruse, Discours olympique, XII, 53, 1-5.
Alain Deremetz, Le miroir des Muses. Poétiques de la réflexivité à Rome, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1995 ; Christophe Cusset, La Muse dans la bibliothèque, réécriture et intertextualité dans la poésie alexandrine, Paris, CNRS Éditions, 2020.
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Personnages-théories et théories-mondes dans les fictions scientifiques