À l’appui de sa conception du texte comme « écriture-lecture », Julia Kristeva souligne la dimension prédatrice de la lecture telle qu’elle était pratiquée dans l’Antiquité :
Le verbe « lire » avait, pour les Anciens, une signification qui mérite d’être rappelée et mise en valeur en vue d’une compréhension de la pratique littéraire. « Lire » était aussi « ramasser », « cueillir », « épier », « reconnaître les traces », « prendre », « voler ». « Lire » dénote, donc, une participation agressive, une active appropriation de l’autre. « Écrire » serait le « lire » devenu production, industrie1.
Ce fait d’histoire littéraire fait partie des arguments qui invitent, selon elle, à repenser la notion d’œuvre, qui évoque communément un ensemble clos et entièrement original, et fait oublier que « tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d’un autre texte2 ».
La continuité entre lecture et écriture, qui fonde la définition du texte comme une entité composite et un point de rencontre entre plusieurs textes antérieurs, est plus que jamais d’actualité à l’époque de l’humanisme, qui préconise l’imitation des « meilleurs auteurs ». Ainsi, aux yeux de Du Bellay, la richesse de la littérature latine est le fruit d’un patient travail d’hybridation, qui résulte d’une incorporation des classiques grecs :
Immitant les meilleurs Aucteurs Grecz, se transformant en eux, les devorant, et apres les avoir bien digerez, les convertissant en sang, et nourriture se proposant chacun selon son Naturel, et l’Argument, qu’il vouloit elire, le meilleur Aucteur, dont ils observoint diligemment toutes les plus rares, et exquises vertuz, et icelles comme Grephes, […] entoint, et apliquoint à leur Langue3.
La discipline consistant à prolonger par l’écriture le commerce des belles-lettres s’explique aussi par le sentiment, bien analysé par Ann Blair, d’avoir « trop de choses à savoir » : les humanistes doivent en effet assimiler les sources anciennes récemment redécouvertes, mais aussi les textes qui bénéficient, grâce à l’imprimerie, d’une diffusion élargie4. Dès lors, loin de se satisfaire d’une posture passive ou d’une accumulation désordonnée de formules et d’idées5, ils s’emploient à conserver des traces de leurs lectures, en identifiant les informations essentielles et en les réagençant de manière synthétique et efficace6. C’est ce dont témoigne le succès des recueils de lieux communs, véritables magasins de citations ordonnées par rubriques autour de concepts-clés7. Manuscrits ou imprimés, ces ouvrages permettent, dans un cadre scolaire, de gagner du temps en rassemblant en un seul et même lieu les textes qu’il faut connaître, et de nourrir l’inventio. Mais le lecteur s’y fait également co-auteur : la sélection et la réorganisation de la matière, éventuellement éclairée par des commentaires, font percevoir, à des degrés divers, la singularité d’un point de vue. Ces diverses opérations interviennent d’ailleurs dans la genèse d’œuvres profondément personnelles, comme les Essais de Montaigne8. On sait aussi que Sébastien Brant composa sa Nef des fous (Narrenschiff) à partir d’un fichier de citations classées par lieux ou sujets, certains chapitres étant le produit de son glanage dans les textes9.
Les frontières entre notes de lecture et (r)écriture semblent d’autant plus difficiles à établir que certains textes se prêtent à des usages différents. C’est le cas des Adages d’Érasme : ces derniers peuvent être lus à la fois comme un texte-outil, vaste encyclopédie de la sagesse antique, et comme l’expression, sous une forme inédite, d’une pensée personnelle. Ainsi, l’adage « Les Silènes d’Alcibiade » (adage 2201), à partir d’une expression trouvée dans Le Banquet ou encore chez Xénophon, constitue le lieu d’élaboration d’une réflexion sur la réversibilité des signes et d’une critique virulente de la puissance temporelle du Pape, et « Un scarabée qui pourchasse un aigle » (2601), un apologue pacifiste10. Cette originalité philosophique et formelle n’empêche pas les Adages d’être lus « à pièces décousues11 », et d’être perçus comme un texte « en chantier », que le lecteur pourrait augmenter, voire prolonger, en collectant ses propres adages ou en s’appropriant, par la citation ou la réécriture, certains fragments. Ce cas n’est pas isolé : comme l’a montré Michel Jeanneret, nombre d’œuvres du xvie siècle, des recueils de nouvelles aux livres d’emblèmes, en passant par les recueils poétiques ronsardiens dont l’organisation est constamment remise sur le métier, sont conçues comme « des collections de morceaux variés, plus ou moins indépendants, dont le classement paraît transitoire et arbitraire », et dont les modules peuvent être conçus « comme des pièces bonnes à servir dans plusieurs mosaïques12 ».
Dès lors, est-il pertinent de distinguer l’œuvre de l’inter-œuvre, c’est-à-dire, en l’occurrence, des productions écrites secondes (notes de lecture, gloses, recueils de lieux communs) étroitement dépendantes d’œuvres antérieures ? La question peut paraître quelque peu anachronique à propos des textes du premier humanisme français : au début du XVIe siècle, le terme d’« œuvre » est surtout réservé aux œuvres complètes d’auteurs antiques, et commence à peine à être utilisé pour désigner les recentiores13. Mais même en osant l’anachronisme qui consisterait à distinguer comme des « œuvres » les textes qui, en raison de leur cohérence formelle et parce qu’ils reflètent une identité d’auteur14, correspondraient à notre définition moderne, on se heurte rapidement à de nombreux cas-limites, qui se présentent à la fois comme des projets profondément originaux et des « copiés-collés » de lectures. Ainsi, la Navis stultifera de Josse Bade (1505) et le Medicinale bellum de Symphorien Champier (1516) illustrent de manière très littérale l’idée que l’œuvre serait constituée d’une mosaïque de citations. Elles relèvent en effet du « recyclage » littéraire, en dotant un matériau textuel préexistant d’une fonction nouvelle, qui lui offre une seconde vie.
La Navis stultifera de Bade : une cueillette du côté d’Horace
Publiée en 1505, la Navis stultifera de Bade15 n’est pas une traduction – au sens moderne du terme – du Narrenschiff de Brant, ni même de la Stultifera navis de Jakob Locher. Il s’agit d’un ouvrage qui offre une collection des travers de l’humanité conçus comme autant de folies. Ainsi les fous sont ceux qui méritent de monter à bord du navire, parce qu’ils sont avares, adultères, imprévoyants, imbus de leur savoir, si dérisoire soit-il. La gravure du frontispice de l’ouvrage peut donner une idée de cette accumulation représentant les fous entassés dans la nef ; pourtant cette Nef conserve des liens forts avec les deux livres précédents dont elle reprend gravures et titres de chapitre, ainsi que l’ordre des chapitres. Du fait de ces reprises, l’activité de Bade ne correspond pas à la définition moderne de l’auteur (celui auquel on doit un texte à l’égard duquel il entretient une relation de responsabilité unique). De plus Bade s’exprime davantage en tant que commentateur qu’en auteur, et l’on a parfois la surprise de découvrir un montage de citations dans ce qui est censé être le texte satirique lui-même. Malgré tous ces obstacles, et finalement grâce à eux, Bade est bel et bien auteur d’une satire intitulée Navis stultifera. Alors qu’il peut être perçu comme un auteur mort avant d’avoir eu le temps de naître, son activité, à partir de textes qu’il n’a pas composés mais « ramasse » (dirait J. Kristeva) et commente dans sa Nef, fait de lui un auteur en raison des rapports vivants qu’il entretient avec le sens du texte. Le geste de Bade éclaire la manière dont il lie les notions d’auteur et d’autorité(s) : le commentateur se distingue par l’aisance dans la maîtrise des autorités et le désir d’endosser la fonction d’auteur de satire, sommé de pourchasser les vices.
a/ Absence de l’auteur ? Bade un auteur mort avant d’être né
Pour Josse Bade être auteur d’une satire, la Navis stultifera, est une pratique enracinée dans la démarche du compilateur et du commentateur. L’analyse à titre d’exemple du chapitre 3 consacré aux avares, De avarorum vesania, permet de mieux comprendre le processus d’écriture. Ce chapitre est déjà présent dans le Narrenschiff de Brant16 ainsi que dans la Nef latine de Locher17. Dans la Navis stultifera, il relève principalement de la compilation, comme la disposition imprimée du texte et de l’image permettent de le saisir :
La double page comporte pour chaque chapitre son titre, la gravure reprise de Brant, un quatrain de la main de Bade, un commentaire en caractère de taille inférieure, puis sur la seconde page une strophe de douze vers et un commentaire.
Dans le cas du chapitre 3, la strophe placée sous la gravure a été composée à partir de la structure « Qui… il… » (qui… ille…) propre au style proverbial : « Qui, à force de sueur, acquiert des biens sans jouir de leur acquisition par un confortable repos, garde pour lui, au prix de nombreux maux, le tas de sa folie maligne18. »
Bade compilateur et commentateur
Le second poème est en fait un montage, un centon à partir des Satires d’Horace, long de douze vers. La familiarité de Bade avec Horace n’a rien d’étonnant puisqu’il a publié en 1500 une édition19 d’Horace accompagnée de commentaires qui a contribué à façonner la théorie de la satire au début du xvie siècle ; la proximité générique du Narrenschiff, présenté comme une satire par Locher, son adaptateur latin, peut expliquer que Bade se soit tourné vers Horace, initiateur de ce genre romain, pour composer la Stultifera navis. La lecture du chapitre révèle qu’il s’agit d’un véritable texte mosaïque, reprenant successivement la Satire II du livre II d’Horace, puis la Satire III du livre II, la Satire I du livre I :
Danda est ellebori multo pars maxima auaris:
nescio an Anticyram ratio illis destinet omnem. / Sat. III, ii, v. 82-83/
Nam peccans male avet, neque quicquam stultius illis
//dis inimice senex custodis ne tibi desit ? // Sat. II, iii, v. 124
//quid iuuat inmensum te argenti pondus et auri
furtim defossa timidum deponere terra ? // Sat I, i, 41
quo tibi vis auri ? //congestis undique saccis
indormis inhians et tamquam parcere sacris
cogeris aut pictis tamquam gaudere tabellis.
nescis, quo ualeat nummus, quem praebeat usum ?
panis ematur, holus, uini sextarius, adde
quis humana sibi doleat natura negatis. // Sat. I, i, v. 70-75
[Il faut donner de beaucoup la plus grande part d’ellébore aux avares. Je me demande si la raison ne réserve pas toute l’île d’Anticyre à ceux-ci. En effet le pécheur a des désirs très mauvais et personne n’est plus fou que ces derniers. Vieillard ennemi des dieux, tu thésaurises de peur de manquer ? Que te sert cet immense poids d’argent et d’or, que tu déposes craintivement et furtivement dans une fosse de terre ? Pourquoi veux-tu de l’or ? Tu dors la bouche ouverte sur des sacs rapportés de partout et tu es obligé de les épargner comme s’ils étaient sacrés, et de n'en jouir que comme de peintures. Ne sais-tu pas ce que vaut l’argent, quelle est son utilité ? On achète du pain, des légumes, un sixième de vin, ou encore ce dont le manque fait souffrir le genre humain.]
Un vers et demi de ce poème peut être considéré de la main de Bade. Le geste du compilateur n’est pas sans ambiguïté : s’il indique la source des deux premiers vers de la strophe (« Ces mots sont tirés du second discours d’Horace, par lesquels il indique que les avares sont des grands fous et ont besoin de beaucoup d’hellebore pour purger leur folie 20 »), il masque les emprunts de la suite. Il brouille même les pistes en donnant au lecteur d’autres autorités : l’Horace de l’Art poétique, Juvénal ou Sénèque (ou plutôt Publilius Syrus), citées cette fois-ci dans le commentaire lui-même et non plus dans les vers.
Bade, commentateur d’une œuvre inédite ?
À ce stade de l’analyse, Bade apparaît avant tout comme un compilateur et un commentateur, finalement bien peu comme un auteur. Or ces trois pôles entretiennent des rapports complexes qui invitent à reconsidérer ce qu’il faut entendre par « auteur » d’une œuvre. Le commentaire de la compilation horatienne n’est pas une reprise du commentaire de Bade aux Satires d’Horace dans son édition de 1500 : un nouveau commentaire est rédigé à l’occasion de la publication de la Nef, comme si la compilation des commentaires n’avait pas la même valeur que la compilation des satires elles-mêmes21. Ainsi, un poème composé de vers d’Horace autour du thème de l’avarice mérite un nouveau commentaire, il est traité comme un texte neuf et non comme l’assemblage de morceaux empruntés et réagencés en vertu d’une combinatoire dont Bade a la responsabilité. La première raison de ce nouveau commentaire tient à la mise en page dont nous avons déjà parlé : l’abondant commentaire des Satires d’Horace par Bade ne peut trouver sa place dans la Nef sans rompre le rythme de l’iconographie – une gravure tantôt une page sur deux, tantôt à chaque page – respecté au détriment du texte lui-même. « Faire œuvre » et « faire livre » sont inextricablement liés ici.
Mais une autre explication peut être envisagée : y compris lorsque le poème de Bade est un centon, le commentaire d’une Nef est autre que cette Nef inspirée par la satire lucilienne autant que par l’œuvre brantienne. Il ne faut pas minorer l’importance du parrainage de Brant dans la composition de la Nef : de son Narrenschiff on reprend l’idée d’une collection de fous réunis dans un espace clos autant que les gravures et les titres. Surtout la figure du fou inscrit la satire de Bade dans un univers carnavalesque, y compris lorsqu’il s’agit de condamner les fous. Le fou se substitue ici à la figure du Satyre que Bade a pourtant choisi de valoriser dans la reconstitution d’une filiation de la satire lucilienne22. Si le fou est l’homme des débordements, il est aussi la figure du pécheur, Bade infléchit le texte et manifeste ici son identité d’auteur en lui conférant une coloration plus chrétienne.
Un commentateur pédagogue
Les commentaires de Bade ont pour fonction initiale d’éclairer la lecture sur le plan de la forme et du contenu : ils identifient la forme du poème, la rattachent à l’exemple d’Horace et de Boèce23. Ces remarques révèlent d’emblée la familiarité de Bade avec les formes canoniques de la poésie antique. La suite du commentaire est une forme de résumé qui donne le thème général du chapitre, ce qui en fait l’inscrit dans un ensemble connu, la critique du vice de l’avarice telle qu’on peut la connaître grâce aux satiristes latins, au Narrenschiff, et le cas échéant à la tradition sermonnaire patristique et médiévale :
Ici sont blâmés les avares : parmi eux, les uns font le mal par acquisition, ce sont les avares au sens propre, les autres par goût de la possession, parce qu’ils creusent la terre à la manière des chiens, ils sont appelés ignobles et vils, tandis que ceux qui, en revanche, en usent bien [de leur argent] sont appelés « distingués » et « magnifiques » ; les autres par incapacité à dépenser ; ces derniers sont appelés parcimonieux24.
Le commentaire sur le contenu donne une interprétation fortement morale de la strophe établissant des distinctions parmi les avares « in acquirendo », « in possidendo », « in non expendendo », autrement dit avare par avidité, par goût de la possession, par incapacité à dépenser. Ces nuances ne sont pas sans rappeler les finesses scolastiques.
La partie du commentaire qui occupe la seconde page apporte des indications contribuant à une meilleure compréhension du sens même du texte satirique :
nummus id est pecunia [monnaie c’est-à-dire argent],
peccans quisquis peccat [péchant : celui qui pèche] ;
gaudere tamquam tabellis pictis : solum aspectum referens [en jouir comme de peintures ; ne renvoie qu’à la vue]
Le commentaire apporte un synonyme, puis passe du concret à l’abstrait ; dans sa précision il apporte sans solution de continuité une explication qui est aussi reformulation, autrement dit écriture à partir d’un texte, au fil de micro-variations. Bade se fait pédagogue attentif, désireux de faciliter la lecture de la Nef par des explications variées.
Les pages de la Navis proposent donc au lecteur un va-et-vient constant entre le texte principal et son commentaire. Dans le cas du chapitre 3, Horace alimente le poème et Bade complète ponctuellement celui-ci. Être auteur reviendrait donc à être compilateur et commentateur à bon escient d’un texte que l’on a bien peu « inventé », à moins de revenir à l’étymologie latine du terme invenire. L’auteur est celui qui a « trouvé » un vers, une phrase ou davantage dans l’ample masse des livres déjà écrits. L’image qui se dessine ici peut sembler un peu frustrante : Bade est auteur parce qu’il augmente et ajoute à la masse des textes existants.
b/Auteur, autorité et autorités
Autorité… quelle autorité ?
Le deuxième sens du terme auteur ayant trait à la notion d’autorité25 permettra d’avancer dans la réflexion. Le terme s’accompagne alors de nuances de considération et de respect pour celui qui, auteur, peut devenir un modèle. Bade sollicite abondamment l’autorité des Anciens, pour étoffer son texte. Dans la partie de commentaire, grâce à la contribution d’Horace, l’avarice devient le vice privilégié des vieillards (Arte, v. 169 et suiv.), tandis que celle de Sénèque/Publilius Syrus permet de fustiger l’insatisfaction qui ne quitte jamais l’avare : « Il manque autant à l’avare ce qu’il a et ce qu’il n’a pas ». Enfin celle de Juvénal élargit la perspective en montrant le cynisme régnant : « D’où provient ton argent, personne ne le demande, mais il faut en avoir26 ». Ces différents passages mettent l’accent sur la noirceur du monde dans lequel évoluent les avares : ils font de leur existence une impasse puisqu’aucune situation ne leur apporte satisfaction, l’argent balaie tout sur son passage et fait disparaître tout respect du bien et du mal. Le constat de Juvénal est une déclinaison de « la fin justifie les moyens » permettant à Bade d’accentuer une vision du monde caractéristique de la satire. La convocation des autorités introduit ici un surcroît de sens : l’avarice devient un vice de vieillard, et le texte vient souligner la béance de son désir avaricieux, la manière dont il balaie tout sur son passage, notamment les scrupules. Les autorités donnent une gravité nouvelle à ce défaut si répandu qu’il en finit par ne plus éveiller la condamnation.
On peut penser que cette démarche d’enrichissement du sens par la citation et le commentaire a principalement sa place dans l’espace inférieur de la page où se développe un métadiscours à l’image de la pratique médiévale de la glose. Or, elle se trouve aussi dans le poème principal : en effet, le vers 3, ajouté par Bade lui-même à la mosaïque horatienne analysée plus haut, prend la forme d’un commentaire : « En effet, le pêcheur désire le mal et personne n’est plus sot que ce dernier27 ». Son amorce, « nam », se rapproche en effet des nombreux scilicet, id est ou quia qui jalonnent le commentaire et l’éclaircissement du propos qu’il recherche.
On assiste ici à un brouillage des frontières entre différents types d’activité que nous aurions tendance à vouloir trop cloisonner : compilation, commentaire et création forment ici un continuum. Composer un chapitre revient certes à trouver les mots pour blâmer et ridiculiser les vices des hommes, mais il est plusieurs manières de trouver ces mots, dans les écrits des autorités classiques, dans le commentaire qu’appellent ces écrits, dans les compléments apportés de soi-même à une tradition familière.
Un texte parmi d’autres textes pour être un auteur parmi d’autres auteurs
Bade glisse insensiblement de la maîtrise d’un patrimoine littéraire à la maîtrise de l’énonciation. En effet, la manière dont, au chapitre 3, il place une question parmi d’autres questions et cherche finalement à gommer les différences entre les passages de sa main et ceux des auteurs latins, mais aussi entre commentaire et poème, constitue un indice de son projet littéraire. Sa connaissance de la satire, dont il contribue à élaborer une théorie humaniste28, révèle aussi son ambition de trouver place parmi les auteurs qu’il prend pour modèles. On retrouve, ici, les aspirations de Dante au début de la Divine Comédie, introduit par Virgile au milieu de ceux dont il s’est nourri et qu’il admire : « ils me mirent dans leur compagnie/ et je fus le sixième parmi ces sages29 » (trad. J. Risset). Trouver sa place parmi la « compagnie » des auteurs passe par le partage d’une culture commune dont Bade montre la maîtrise.
Prenons d’abord le cas de l’ellébore dans les vers d’Horace au chapitre 3, « Danda est ellebori multo pars maxima auaris:/nescio an Anticyram ratio illis destinet omnem » [Il faut donner la plus grande part de l’ellébore aux avares:/ je me demande s’il leur destine toute l’Anticyre], dont le commentaire est le suivant :
Il faut donner de l’ellébore etc. Ces mots sont tirés de la 2e satire d’Horace, par ceux-ci il indique que les avares sont les plus grands fous et que c’est eux qui ont besoin de la plus grande quantité d’hellébore pour se débarrasser de leur folie. En effet, autrefois, comme la nature humaine était plus résistante, l’ellébore, principalement blanche, était administrée à ceux qui voulaient se débarrasser d’une folie provenant d’humeurs nocives. L’ellébore se partage en deux, l’une noire, l’autre blanche, on la trouve, sans danger, en toute sécurité, sur l’île d’Anticyre. C’est pourquoi il dit : « je me demande si Anticyre », etc. Car le péché naît de l’avarice (quelle qu’elle soit) autrement dit, de la cupidité mauvaise, mais ici, c’est la philargyrta, c’est-à-dire l’amour de l’or et de l’argent, que nous condamnerons30.
Mais les références à l’ellébore et Antycire ne montrent pas seulement la familiarité avec Horace : elles ont aussi les honneurs du trésor de Minerve réuni par Érasme au fil de son compagnonnage assidu des auteurs antiques. L’adage 751 « Bibe elleborum » [Bois de l’ellébore] rappelle qu’il s’agit d’une plante médicinale destinée aux fous dans l’espoir de leur rendre raison. Et « Naviget Anticyras » a valeur de proverbe selon Érasme toujours31. Il s’agit de conseiller d’une manière figurée à quelqu’un de soigner sa folie, puisqu’Anticyre est l’île où pousse l’ellébore32.
À travers sa maîtrise des autorités, Bade fait apparaître sa propre capacité à prendre lui-même une position d’autorité dont on trouve des échos dans certains moments de l’énonciation : « Cependant nous ajoutons deux derniers vers par lesquels nous renvoyons aux paysans dépravés », « selon moi », « mais poursuivons dans l’ordre33 ». La démarche de Bade contribue à faire du commentateur, compilateur, spécialiste de la satire, un auteur tel qu’il peut être défini à la Renaissance. Alors que les questions de l’aemulatio, de la littérature d’imitation, mais aussi du génie propre à chaque écrivain sont essentielles à l’époque, l’exemple de Josse Bade permet de comprendre comment l’héritage antique, la prégnance des modèles antérieurs servent la constitution d’un auteur34. La présence auctoriale dans la Navis stultifera ne repose pas sur la recherche de l’inédit, elle apparaît alors que le lecteur trouve sous ses yeux « presque la même chose que dans d’autres volumes », elle assume la responsabilité du sens exprimé dans le texte, sans se soucier de savoir qui l’a dit en premier.
De la compilation à l’épopée burlesque : le Medicinale bellum de Symphorien Champier (1516)
Autre figure clé du premier humanisme français, le médecin lyonnais Symphorien Champier (1472 ?-1539 ?) est un contemporain et un proche de Josse Bade, qui a publié plusieurs de ses ouvrages35. Cet auteur prolifique, dont la production aborde la plupart des disciplines du savoir (médecine, philosophie, histoire, théologie…), publie à Lyon, en 1516, une singulière épopée, le Medicinale bellum36, qui transpose sous la forme d’une fiction une question anatomique alors très débattue : quel est le principal organe du corps humain ? Là où les aristotéliciens accordent la prééminence au cœur, Galien et les médecins qui s’en réclament consacrent, quant à eux, le cerveau. De manière originale, le texte de Champier confie aux armes le règlement du débat, en imaginant une guerre du cœur et du cerveau, flanqués de leurs alliés respectifs. Cette Iliade anatomique constitue un texte hybride, dans lequel l’action est constamment suspendue au profit de développements médicaux, politiques (sur la monarchie) ou moraux.
Comme dans le cas de la Navis stultifera de Josse Bade, un lecteur d’aujourd’hui pourrait s’interroger sur la pertinence des termes d’« œuvre » et d’« auteur » à propos du Medicinale bellum. Le dispositif même de la guerre pédagogique, qui utilise l’épopée héroï-comique à des fins didactiques, est emprunté : Champier s’inspire en effet de l’ouvrage à succès de l’Italien Andrea Guarna, le Bellum grammaticale (1511), qui vulgarise la grammaire latine en mettant en scène le combat du Nom et du Verbe. Si, dans l’elocutio, Champier s’émancipe le plus souvent du modèle de Guarna, le récit n’en est pas moins tissé de citations, qui l’emportent quantitativement sur les passages originaux.
Trois catégories peuvent être distinguées : les citations affichées comme telles, les citations dissimulées mais dont Champier attend probablement que le lecteur les repère, et les plagiats. Les premières, tirées d’autorités philosophiques ou médicales antiques, sont identifiées par les manchettes. Elles peuvent se présenter isolées, ou sous forme de montages dont Champier n’est pas nécessairement l’artisan. Par exemple, pour dénoncer la volonté de puissance du cœur et sa volonté de supplanter le cerveau, Champier propose un florilège d’une dizaine de citations (dont les auteurs sont cités en manchette) hostiles au pouvoir partagé et favorables à la monarchie :
On met dans la bouche de Lucain ce jugement : « Ni la royauté ni Vénus ne tolèrent un égal ; tout pouvoir sera rebelle à l’alliance ». C’est pourquoi Homère dit, dans le deuxième chant de l’Iliade : « Il n’est pas bon que beaucoup commandent ; qu’un seul soit maître, qu’un seul soit roi ».
[Dion de Syracuse]
Et jadis Dion de Syracuse avait coutume de dire qu’un État ne pouvait être bien gouverné si beaucoup commandaient.
[Domitien]
Domitien, quant à lui, a dit : « Une foule de chefs n’est pas une bonne chose ».
[Platon dans son livre sur la royauté]
Platon lui aussi, dans son livre sur la royauté, approuve au plus haut point la monarchie, qui est l’exercice du pouvoir par un seul. Et comme l’écrit le divin Cyprien : « Toute la nature est d’accord pour qu’un seul soit prince. Les abeilles n’ont qu’un seul roi, les troupeaux n’ont qu’un seul maître, le bétail n’a qu’un seul chef. À plus forte raison, le monde n’a qu’un seul chef ». Et, d’après Homère, c’est Jupiter qui donne le sceptre et l’autorité au prince ; il dit en effet : « Seul est roi celui qui a reçu de Jupiter son sceptre et sa vénérable autorité ». Ainsi, lorsque surgissent l’ambition et l’envie de régner, un royaume, avec une permanente obsession, songe sans cesse à en convoiter un autre et à revendiquer pour lui-même le pouvoir absolu37.
Ce montage, déjà publié par Champier en 1508 dans les florilèges de citations du De triplici disciplina38, est emprunté à l’Italien Philippe Béroalde, auteur du De optimo statu (1497). Mais dans le cadre de l’épopée, il acquiert un sens nouveau, puisqu’il éclaire les intentions du cœur et exprime le jugement du narrateur sur sa tentative de coup d’état, présomptueuse et vouée à l’échec. Une fonction dramatique qu’il ne pouvait avoir lorsqu’il était publié dans l’ouvrage de philosophie politique de Béroalde ou parmi d’autres florilèges, au sein du De triplici disciplina.
Un deuxième cas est celui des citations dissimulées, mais aisément reconnaissables comme telles en raison de leur célébrité ou de leur style poétique, notamment dans les centons virgiliens qui composent certains passages, comme le récit du banquet du Cerveau (I, 5) :
Ubi autem militum copiae jussu atque imperio regis regiam austro insignem et auro [Énéide, IV, 134] appulere, thoris jussi discumbere pictis [Énéide, I, 708]. Dant manibus famuli lymphas Cereremque canistris expediunt tonsisque ferunt mantilia villis [Énéide, I, 702-703].
Lorsque les troupes militaires, sur l’ordre et le commandement de leur roi, atteignirent le palais resplendissant de pourpre et d’or, elles reçurent l’ordre de se coucher sur les lits de table peints. Les serviteurs leur versent de l’eau sur les mains, préparent le don de Cérès dans les corbeilles et portent des serviettes dont le tissu pelucheux avait été rasé.
Un tel passage constitue probablement un jeu savant, qui compte sur l’érudition du lecteur humaniste pour identifier les citations cachées39, mais permet aussi à Champier de faire connaître sa maîtrise des belles-lettres.
Mais l’écrasante majorité des citations correspond à un troisième cas de figure, le plagiat, souvent très étendu, de textes antérieurs. Ainsi, les passages narratifs adaptent, pour la plupart, des chroniques des guerres d’Italie, se contentant de remplacer par des noms de parties du corps ceux des belligérants. Les développements médicaux sont, quant à eux, repris à différents compilateurs, dont Pietro d’Abano, compilateur italien du début du xive siècle qui, dans la Differentia XXXVIII de son Conciliator, confronte les positions des médecins et des philosophes pour déterminer l’organe principal du corps humain. Aux yeux de Champier, ces textes de savoirs, qui constituent des « autorités secondes » car ils compilent eux-mêmes des références antiques, ne semblent pas réclamer la même déférence que les grands auteurs.
Reste à savoir si, lorsqu’il compose par « copiés-collés40 », Champier se considère comme un auteur à part entière, ou comme un compilateur qui ne fait que mettre à disposition une matière préexistante. Dans certains textes publiés dans les années 1510, la Practica nova in medicina (vers 1510) et la Rosa gallica (1514)41, Champier revendique sa place parmi ces derniers en se désignant non comme un auteur, mais comme un aggregator, qui rassemble en un seul et même lieu des savoirs essentiels. Mais durant cette décennie, il théorise aussi une hiérarchie entre les compilateurs, en distinguant certains d’entre eux pour leurs compétences philologiques et leurs qualités morales, susceptibles d’éclairer sous un jour neuf les textes qu’ils réemploient. Ainsi, le Medicinale bellum consacre à la question du réemploi un épisode allégorique, durant lequel des brigands doivent être mis hors d’état de nuire car ils sèment la terreur sur les routes qui mènent aux campements des deux belligérants. Dans ce récit à clefs, les pillards portent les noms de compilateurs médicaux scolastiques, comme Barthélemy l’Anglais ou Jacques de Forli, et les biens qu’ils dérobent sont les savoirs médicaux établis par les auteurs antiques, comme Galien, Hippocrate, Avicenne ou Celse. Dans leur majorité, les pillards sont châtiés pour avoir transmis les textes sous une forme altérée, et les avoir corrompus par leur méconnaissance des langues et de la médecine. Mais deux d’entre eux s’en tirent après avoir plaidé leur cause : le premier, Nicolas Florentin, fait valoir l’utilité pédagogique de son travail de synthèse, qui permet de soigner plus efficacement :
Ce qui était dispersé et éparpillé, je le réduis en un seul corps : et il ne faut pas m’imputer à crime [...] d’avoir rassemblé dans mes livres les propos d’autrui. Car notre projet est d’enseigner la médecine. Que cet enseignement se fonde sur notre doctrine ou celle d’autrui, qu’importe pour l’homme qui veut vivre sainement42 !
Le second, Constantin l’Africain, qui fait passer pour une œuvre propre son Pantegni, composé notamment de traductions d’Ysaac le Juif, souligne qu’en tant que chrétien, il confère aux textes juifs et arabes qu’il s’approprie un prestige nouveau, et permet ainsi aux médecins d’en tirer profit :
Comme on lui demandait pour quelle raison il avait volé les œuvres d’autrui, il répondit promptement qu’Isaac était juif, Rhazès, sarrasin et arabe ; pour cette raison, ils n’étaient pas dignes d’être cités par des chrétiens. À ce propos, Aurélius Augustin a dit, dans le livre qu’il a publié au sujet de la religion chrétienne : « Si les païens ont dit quelque chose qui convienne à notre foi, il faut la leur reprendre, comme à des possesseurs illégitimes43 ».
Si son appartenance au groupe des pillards empêche de voir dans Constantin l’Africain un auteur, au sens de créateur d’une œuvre originale, le traitement particulier que lui réserve la fiction de Champier laisse penser que, contrairement à ses comparses, il représente une pratique éclairée et nécessaire de la compilation : le transfert culturel et religieux, pourvu qu’il repose sur de réelles compétences philologiques, fait regagner aux textes plagiés une autorité qu’ils avaient perdue sous l’ère chrétienne. L’adhésion de Champier à l’argument endossé par Constantin l’Africain ne fait aucun doute, puisqu’il le prend à son compte dans les textes préfaciels de plusieurs de ses ouvrages propres, comme la Rosa Gallica :
Ne croie pas qu’il faille rejeter ma parole parce que je me réfère à l’autorité d’un païen. Saint Augustin dit en effet : « Si les païens ont dit quelque chose qui convienne à notre foi, il faut la leur reprendre, comme à des possesseurs illégitimes ». Il ne faut donc pas considérer comme répréhensible le fait que j’aie, dans cette Rose gauloise, rassemblé les paroles prises à autrui44.
Ces affirmations, qui pourraient aujourd’hui être considérées comme une forme d’appropriation culturelle, ne s’appliquent qu’à une part minime des plagiats de Champier. Celui-ci emprunte abondamment à des auteurs chrétiens, médiévaux (parmi lesquels, précisément, le moine Constantin) ou humanistes (comme Marsile Ficin), sans pouvoir se targuer d’apporter la patine de l’orthodoxie religieuse.
Mais à en croire le métadiscours de Champier, le « rescripteur » peut, même lorsqu’il démarque des recentiores chrétiens, ajouter du sien. Ainsi, dans les liminaires du De Quadruplici vita, qui ne cachent pas la dette de l’auteur à l’égard de Marsile Ficin, les réécritures sont présentées comme autant d’améliorations, qui pallient les défaillances inévitables de l’intelligence humaine :
Que l’on ne vienne pas me chercher noise en m’objectant que Marsile Ficin, homme qui s’est distingué dans toutes les disciplines, expert en grec et en latin, a presque fait la même chose que moi, et a publié, dans son De triplici vita, un opuscule aux enseignements admirables, que je ferais peu de cas de son enseignement ou que j’aurais fait passer dans mon œuvre une part non négligeable de sa pensée, et que je voudrais tirer gloire du travail d’autrui. Je ne conteste pas - bien au contraire, je le reconnais, en toute franchise - que Marsile Ficin fut un homme d’une culture admirable, pour lequel j’ai toujours eu plus d’estime que pour n’importe qui d’autre parmi les gens de lettres. En effet, je reconnais que sa lecture m’a fait beaucoup progresser et que je l’ai suivi dans de nombreux lieux. Mais puisque, comme le dit le poète, « nous ne sommes pas tous capables de tout faire », j’ai procédé à bon nombre d’ajouts, et composé un livre sur les mystères égyptiens tiré des ouvrages des théologiens, notamment catholiques, et des philosophes les plus anciens45.
Champier insiste ici sur le caractère créatif du réemploi, en le présentant comme un panachage de sources, ou plutôt, pour reprendre son image, comme un pot-pourri (farrago) plus abouti que chacune de ses composantes. Dans le cas du Medicinale bellum, l’originalité de l’hybride tient à sa singularité générique : des textes historiques, médicaux et philosophiques, mais aussi des fragments d’épopées antiques constituent les parties d’un corps nouveau, qui constitue un hapax au sein d’un « sous-sous-genre » humaniste46, l’épopée héroï-comique et didactique47.
Conclusion
La Navis stultifera et le Medicinale bellum constituent donc deux œuvres mosaïques ou « interauctorielles », qui incluent sous des formes diverses (citation affichée ou masquée, plagiat, traduction…) des textes antérieurs, et mobilisent ainsi l’intertextualité sous sa forme maximale, tant quantitativement que par la littéralité de certains emprunts. De ce fait, elles illustrent la porosité de la frontière entre l’œuvre et les textes-outils (compilations, recueils de lieux communs…) qui peuplent, à la Renaissance, l’espace intermédiaire entre un texte faisant autorité et ceux qui l’imitent ou s’en inspirent. En cela, elles peuvent être considérées comme représentatives d’une époque où nombre de textes, des Adages d’Érasme aux livres rabelaisiens, développent à partir d’un matériau textuel préexistant des projets littéraires profondément originaux. Ces différents cas semblent entrer en contradiction avec la conception actuelle de l’auteur, censé donner naissance à un texte à partir de sa seule inspiration. De fait, entre la mémoire de l’écrivain et le chapitre composé par Josse Bade ou Champier, il n’y a pas de solution de continuité : cueilleur d’expressions choisies, l’auteur laisse surgir spontanément sa voix propre dans un cadre qu’il a élaboré à partir d’un existant, sans s’inquiéter réellement de l’avoir plagié, pillé ou simplement étoffé.
Aucune théorie globale de la création littéraire ne semble pouvoir être tirée de cas si particuliers, inscrits dans une période très spécifique de l’histoire littéraire : même si le plagiat est alors couramment pratiqué, l’énergie déployée par Champier pour justifier ses réemplois montre que cette pratique commence à être vue d’un mauvais œil, et compromise par la large circulation des textes.
Mais ces œuvres mosaïques, qui produisent du neuf en réagençant des textes passés, permettent de réévaluer la place, parmi les auteurs, de ceux que Gérard Genette et Jacques Derrida appellent les « bricoleurs » parce que, « faisant l’économie d’une fabrication expresse », ils utilisent « les moyens du bord48 », c’est-à-dire les instruments qu’il[s] trouve[nt] à [leur] disposition autour [d’eux], qui sont déjà là, qui n’étaient pas spécialement conçus en vue de l’opération à laquelle on les fait servir et à laquelle on essaie par tâtonnements de les adapter, n’hésitant pas à en changer à chaque fois que cela paraît nécessaire, à en essayer plusieurs à la fois, même si leur origine et leur forme sont hétérogènes49 ». Époque du retour aux sources antiques et aux textes fondateurs, l’humanisme ne rompt pas pour autant avec les productions secondes et « bricolées ». Bien au contraire, c’est en se plaçant visiblement dans le prolongement d’un « héritage50 » revalorisé que les auteurs peuvent alors être pleinement reconnus comme tels et accéder au champ des belles lettres.
Notes
« Le texte comme écriture-lecture », dans « Pour une sémiologie des paragrammes », dans Sèméiotikè. Recherches pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969, p. 181.
« Le mot, le dialogue et le roman », dans Sèméiotikè, op. cit., p. 146.
Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue françoyse, I, 7, éd. Francis Goyet et Olivier Millet, dans Œuvres complètes, vol. I, Paris, Champion, 2003, p. 30. Olivia Rosenthal s’appuie notamment sur cette conception de la création par imitation pour expliquer pourquoi la notion d’œuvre, au sens actuel du terme, tarde à s’imposer à la Renaissance. Voir « L’œuvre et ses éditeurs au début du xviesiècle », dans L’Autre de l’œuvre, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2007, p. 23-37
Voir Ann Blair, Too much to know, Managing Scholarly Information before the Modern Age, New Haven, Yale University Press, 2010, p. 6.
Voir Francis Goyet, « Aux origines du sens actuel de “lieu commun” », Cahiers de l’AIEF, n° 49, 1997, p. 70.
Voir Du Bellay, La Deffence, et illustration de la langue françoyse, I, 7.
Voir Ann Moss, Les recueils des lieux communs : méthode pour apprendre à penser à la Renaissance, trad. de l'anglais par Patricia Eichel-Lojkine et al., Genève, Droz, 2002, et Francis Goyet, « Aux origines du sens actuel de « lieu commun », art. cit., p. 69.
Voir Francis Goyet, « À propos de “ces pastissages de lieux communs” : le rôle des notes de lecture dans la genèse des Essais », dans Bulletin de la société des Amis de Montaigne, n° 5-6, 1986, p. 11-26.
9 Nicolaus Henkel, Sebastian Brant. Studien und Materialien zu einer Archäologie des Wissens um 1500, Berlin, Schwabe Verlag, 2021, p. 93-95, p. 605, n. 1722, Joachim Knape, « Zu Brants Dichterischer Arbeitsweise. Am Beispiel seiner Epigramm-Sammlung », Sébastien Brant, son époque et la Nef des fols / Sébastien Brant, seine Zeit und das « Narrenschiff », éd. Gonthier-Louis Fink, Strasbourg, Université des Sciences humaines, 1995, p. 149-172, notamment : p. 153-156.
Sur cet adage, voir Béatrice Périgot, « L’usage de l’apologue dans les Adages d’Érasme », in Les fables d'Érasme à La Fontaine, Le Fablier. Revue des Amis de Jean de La Fontaine, n°19, 2008, p. 27-35 ; et plus largement Claudie Balavoine, « L’essence de la marjolaine, ou ce qui, de l’adage, retint Érasme », La Licorne, 1979 (3), p. 159-183, id., « Les principes de la parémiologie érasmienne », Richesse du proverbe, dir. François Suard et Claude Buridant, Lille, Presses universitaires de Lille, 1984, p. 9-23.
Montaigne, Essais, III, 3, éd. Jean Céard (dir.), Paris, Le Livre de Poche, p. 1294.
Voir Perpetuum mobile, Paris, Macula, 1997, chap. IX, p. 232.
Olivia Rosenthal (art. cit., p. 26) rappelle ainsi quelques jalons importants, comme la publication des Œuvres d’Alain Chartier (1529) et de celles de Marot (1538). Elle note également, avec Cynthia Brown, que l’apparition du mot « œuvre » dans les titres est contemporaine de l’instauration des privilèges d’auteur.
Sur ce point consulter : L’Auteur à la Renaissance. L’altro que è in noi, éd. R. Gorris Camos et A. Vanautgarden, Turnout, Brepols, 2009.
Seconde Nef composée par le libraire éditeur parisien, après une Nef féminine, les Stultiferae naves (Paris, Frères de Marnef, 1500 [1501], elle paraît le 26 septembre 1505, à Paris à la fois chez les frères de Marnef et Bade. Elle fera ensuite l’objet d’une réédition à Paris en 1507, 1513 et 1515. Sur Josse Bade, voir Paul White, Jodocus Badius Ascensius. Commentary, commerce and Print in the Renaissance, Oxford, Oxford University Press, 2013, et Jonas Kurscheidt, La Nef des fous de Sebastian Brant dans les officines parisiennes (1498-1538), thèse de doctorat de l’Université Paris Sciences et Lettres, sous la direction de Chr. Bénévent, soutenue le 25 novembre 2023, notamment p. 63-97, 279-288.
Sebastian Brant, Das Narrenschiff, Bâle, Bergmann von Olpe, 1494.
Jakob Locher, Stultifera navis, Bâle, Bergmann von Olpe, 1497.
« Qui sudore parit bona / Nec partis nitido gaudet in ocyo [otio] / Multis ille malis sibi / Conservat cumulum stultitiae malae. », (Navis stultifera, f. 4v).
Les Œuvres d’Horace éditées par Bade ont fait l’objet d’une édition numérique, l’IRHIM héberge désormais le site « Renaissance d’Horace » dans le cadre duquel ce travail a été réalisé par Nathalie Dauvois et son équipe.
« Verba sunt horatii secundo sermonum quibus innuit avaros maxime insanos et opus habere plurimo hellebori ad purgandam insaniam » (Navis stultifera, f. 5r).
Dans l’édition des Satires d’Horace par Bade, le commentaire est le suivant : « Danda est hellebori. Primum damnat auariciam tanquam perniciosissimam pestem : ostendens auaros quam maxime insanos : & quodammodo solos insanire : quia omnes peccamus auaricia i.e. mala quadam cupiditate : aut faciendi prohibiti : aut omittendi mandati. Dicit ergo ad eos purgandos opus est fere tota anticyra. i.e. omni helleboro in anticyra nascenti. Est autem herba ad purgandum a noxiis humoribus aptissima : praecipue alba : eaque tutissime in anticyra sumebatur : ad quam ob id magni uiri perrexisse leguntur. Potest esse & alia causa cur totam anticyram auaris destinet : quia uidelicet pessima est pestis & difficillimum purgabilis : cum ne senectutem quidem deserat : sed uel maxime uexet.», (Horatii Odae. Carmen Epodon et Saeculare cum exactissima Antonii Mancinelli : et cum familiari Jodoci Badii Ascensii explanatione Sermones et epistolae Quinti Flacci Horatii cum familiari et dilucida explanatione Iodoci Badii Ascensii, Paris, Josse Bade, 1503, f. 49v, voir édition en ligne. [Il faut donner de l’ellébore. En premier lieu, il condamne l’avarice, peste très pernicieuse, montrant que les avares sont de très grands fous et les seuls à être fous en quelque sorte, parce que nous péchons tous par avarice, c’est-à-dire par quelque désir coupable, soit désir de faire ce qui est interdit, soit de se dérober à ce qui est prescrit. Il dit donc qu’il faut presque toute celle d’Anticyre pour les purger, c’est-à-dire toute l’ellébore qui pousse à Anticyre. De fait, cette plante est très appropriée pour purger les humeurs nocives, surtout la blanche laquelle et celle-ci est cueillie à Anticyre en toute sûreté. On lit que, pour cette raison, de grands hommes se sont lancés à sa recherche. Il pourrait y avoir une autre raison pour laquelle il destine tout l’anticyre aux avares, parce que cette peste est bien entendu la pire et la plus difficile à purger, puisqu’elle ne délaisse pas même la vieillesse, mais au contraire, la tourmente particulièrement.]
« At Latini scriptores complures personas in fabulas introduxere ut spetiosiores frequentia fierent ; Satyrica est ludendi causa iocandique simul ut spectator inter res tragicas seriasque satyrorum quoque iocis & lusibus delectaretur & ut Horatius sentit his uerbis. Carmine qui tragico &c. » f. 14r [Mais les auteurs latins introduisirent plusieurs personnages dans les fables pour les embellir par cet apport, par l’abondance de protagonistes ; les œuvres satiriques sont source de plaisanterie et d’amusement, pour que le spectateur au milieu de matières tragiques et sérieuses, soit aussi diverti par des plaisanteries et les jeux des satyres, comme l’indique Horace dans ces vers....]. Les vers d’Horace sont tirés de l’Art poétique : « Carmine qui tragico vilem certavit ob hircum, / mox etima agrestis Satyros nudavit et asper / incolumi gravitate jocum temptavit », Ars, v. 220-222 [Celui qui, pour un vil bouc, disputa le prix du poème tragique, montra ensuite les Satyres dans leur rustique nudité, et fit l'essai, sans nuire à la gravité de la tragédie, d'un jeu plus rude (trad. Fr. Richard, Paris, Garnier, 1944)].
La première ligne du commentaire est la suivante : Carmen est dicolon distophon qualem tertium genus apud Horatium. Primus enim versus est choriambicus gliconius trimetrum constans spondeo choriambo et perichio. » [Le poème est un distophon en deux parties correspondant à la forme n° 3 chez Horace. En effet, le premier vers est un trimètre glyconique choriambique composé d’un spondée, d’un choriambe et d’un perichion].
« Taxantur hoc loco avari quorum alii peccant acquirendo qui proprie avari sunt : alii in possidendo : quia more canum in terram defodiunt : et dicuntur sordidi et immundi : ut contra qui decenter utuntur lauti et splendidi : alii in non expendendo : qui tenaces dicuntur. » (f. 4v)
25 Sur cette question, voir Image, autorité, auctorialité : du Moyen Âge au xxe siècle, éd. C. Pascal, M.-E. Thérenty, T. Tran, Paris, Classiques Garnier, 2021 ; L’Auteur à la Renaissance, éd. R. Gorris et A. Vanautgarden, Bruxelles, Maison d’Érasme / Brepols, 2009.
« Unde habeas quaerit nemo sed oportet habere » (Satire XIV, v. 207).
« Nam peccans male avet, neque quicquam stultius illis » (loc.cit.)
Bade expose sa théorie à la faveur des éditions qu’il procure des œuvres d’Horace. Voir P. Debailly, La Muse indignée, Paris, Classiques Garnier, p. 198-205.
« Da ch’ebber ragionato insieme alquanto,
volsersi a me con salutevol cenno,
e ’l mio maestro sorrise di tanto;
e più d’onore ancora assai mi fenno,
ch’e’ sì mi fecer de la loro schiera,
sì ch’io fui sesto tra cotanto senno.
Così andammo infino a la lumera,
parlando cose che ’l tacere è bello,
sì com’ era ’l parlar colà dov’ era. » (Inferno IV, 97-105)
« Danda est hellebori etc. Verba sunt horatii secundo sermonum quibus innuit avaros maxime insanos et opus habere plurimo hellebori ad purgandam insaniam. Nam olim cum fortior esset complexio humana sumebatur helleborum praecipue candidum ab his qui furorem ex noxiis humoribus provenientes purgare vellent : estque duplex candidum et nigrum : tutissime autem sumebatur in anticyra insula. unde dicit Nescio an anticyram etc. Quia peccatum ex quadam avaricia id est mala cupiditate nascitur sed hic philargyrtam ie est amorem argenti et auri taxabimus. » Pour un lecteur français familier de La Fontaine cela peut rappeler le conseil ironique du lièvre à la tortue : « Ma commère il vous faut purger avec quatre grains d’ellébore ! » (Fables, VI, 10).
« Horatius eleganter novavit adagii quasi faciem, cum ait in Sermonibus Naviget Anticyras. » [Horace a élégamment rénové en quelque sorte la façon dont se présente l’adage quand il dit dans ses Satires « Qu’il navigue vers Anticyre], Adage 752, Les Adages, dir. J.-Chr. Saladin, Paris, Belles Lettres, 2011, p. 576.
Anticyre et l’ellébore sont déjà utilisés par Bade dans les premières pages de sa Nef, dans des pièces où il s’adresse directement au lecteur en assumant la responsabilité du texte publié : « Navis stultifera ad lectorem » : « Bien que je me consacre à la Nef des fous, la saine intelligence lira cependant mes nefs sans danger. En effet, je n’apprends à personne à être fou, mais j’exhorte et avertis l’insensé : il naviguera jusqu’à Anticyre. » [Quamquam stultiferae mihi vox indita navi : / Sana tamen tute mens mea vela leget. /Non etenim doceo quemquam insanire : sed hortor /Et moneo insanum : naviget anticyram] (f. 2 r°) Dans cette adresse au lecteur, il reprend à son compte la défense de la satire au nom des intentions louables qui sont celles du poète, malgré les soupçons de médisance qui pèsent sur lui. Il se défend d’enseigner la folie et insiste sur sa volonté d’exhorter et avertir le fou, reprenant alors la formule horacienne : « naviget Anticyram » (Satires II, 3, v. 166).
Stultifera navis, op. cit., f. 75v° et f. 33r. La manière dont le commentaire procède à une organisation du texte commenté s’inscrit aussi dans ce cadre : « principium alludit ad » [tout d’abord il fait allusion à] (ibid.).
Bade n’est pas très éloigné d’un Érasme, au sujet duquel M. Jeanneret note : « La pédagogie érasmienne stimule l’initiative, incline au bricolage, elle amène l’élève à exercer sa liberté par le travail sur la langue », Perpetuum mobile, op. cit., p. 273.
Les Epistole sanctissimorum (1516), la Cribratio, lima et annotamenta in Galeni, Avicennae et Consiliatoris opera (1516), la Symphonia Platonis cum Aristotele et Galeni cum Hippocrate (1516) et la Rosa gallica (1518).
Notre étude portera sur le premier livre, qui met en scène la guerre proprement dite. Cet épisode est suivi, dans le livre II, d’une guerre du cerveau contre Vénus. Le troisième livre est, quant à lui, consacré aux Singularités de Lorraine. Il n’entretient qu’un rapport ténu avec ce qui précède. Une traduction et édition critique de ce texte est actuellement en préparation sous la dir. d’Alice Vintenon, avec la collaboration d’Anne Bouscharain, Sylvie Laigneau-Fontaine, Judith Rohman et Jacqueline Vons. Toutes les traductions qui figurent dans cet article sont tirées de cette édition.
Medicinale bellum inter Galenum et Aristotelem gestum, quorum hic Cordi, ille autem Cerebro favebat, Lyon, Simon Vincent, 1516, f. a 2 v° : « Et pro Lucani censura habetur : Nec regna parem nec ferre Venus potest ; omnisque potestas impatiens consortis erit. Quare Homerus in secundo Iliados rhapsodia inquit : Non bonus est multorum principatus ; unus sit dominus, unus Rex.
[Dyon Siracusanus]
Et Dion Siracusanus olim dictitavit non posse bene regi rempublicam multorum imperiis.
[Domitianus]
Et a Domitiano dictum est. Non est bona imperatorum multitudo.
[Plato in libro de regno]
Plato etiam in libro de regno maxime probat monarchiam id est unius principatum. Et ut divus Cyprianus scribit : Ut unus sit princeps omnis natura consentit. Rex unus est apibus, et dux unus in gregibus, et in armentis rector unus. Multo magis mundi rector unus. Et Homerus a Iove autumat dari sceptrum et ius principi, cum ait : Rex unus cui sceptra dedit venerandaque iura Iuppiter. Ambitione igitur correpta et aviditate regnandi, alterum alterius regnum affectare sibique totum imperium vendicare assiduo mentis scrutinio volutare non desistit ».
Flosculorum liber quartus, dans Flosculorum Libri de optimis rectoribus et conservatoribus rerumpublicarum, dans De Triplici disciplina, « Pars moralis », Lyon, Simon Vincent, 1508, f. bbb iii r°. Champier reprendra le même florilège, dans un ordre un peu différent, dans son De monarchia (Lyon, Trechsel, 1537), I, 2.
De tels « jeux de pistes » entre lettrés étaient déjà pratiqués au Moyen Âge, comme le rappelle Claire Crignon-De Oliveira à propos de Jean de Salisbury, qui dans le prologue de son Policraticus justifie son refus d’attribuer ses citations par la volonté de donner au lecteur l’occasion de mettre à l’épreuve sa culture, ou de l’inciter à faire des lectures pour reconnaître la source cachée. Voir Policraticus, « Prologue », éd. Cary J. Nederman, Cambridge University Press, 1990, p. 6, cité par Claire Crignon-De Oliveira dans « “Tout est à moi et rien n’est à moi” : la digestion des sources dans l’Anatomie de la mélancolie de Robert Burton », dans Marie Couton, Isabelle Fernandes, Christian Jérémie et Monique Vénuat, Emprunt, plagiat, réécriture aux xve, xvie, xviie siècles, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2006. p. 242. Voir aussi « Prologue du livre de Policraticon », dans Le Policratique de Jean de Salisbury (1372), éd. Charles Brucker, Genève, Droz, 1994, p. 96, § 35 : « Et les paroles qui appartenoient au propos dont je parloie, que je trouvoie de pluseurs docteurs qui me valoient ou aidoient a m’entente, je ay estudié a entrelacier, senz nommer les noms des aucteurs, tant pour ce que je ay tous jours sceu que tu, qui es exercité en lectres, sces pluseurs choses tout clerement, tant pour ce aussi que le cuer de l’ignorant feust plus enflambé a estude continuele ».
Voir Jean Dupèbe, « Introduction », dans Apologie contre Leonhart Fuchs, Genève, Droz, 2017, p. XXXVII.
Ibid., p. XXXIII.
Medicinale bellum, op. cit., I, 8, f. b 1 v°: « Que dispersa et confusa erant in unum corpus redigo : nec vitio dandum est […] quod libris meis aliena congesserim. Nam medicinam docere nostrum est institutum : id seu nostris seu alienis fiat consiliis : quid ad hominem sane vivere volentem ».
Medicinale bellum, op. cit., I, 8, f. b i r°.
« Prologus », in Rosa gallica aggregatoris Lugdunensis domini Symphoriani Champerii, Paris, Josse Bade, 1518, f. a 2 v° : « Sed nec putes me vir sacratissime quod confugiam ad gentilis hominis auctoritatem, ideo redarguendum. Ait enim Augustinus : “Philosophi si quae fidei nostrae consentanea dixerunt, non solum formidanda non sunt, verum etiam ab eis tanquam ab injustis possessoribus in usum nostrum convertenda”. Sed neque vitio detur quod in hanc gallicam Rosam aliena congesserimus ». L’argument intervient aussi dans l’Officina apothecariorum seu seplasiariorum, le De Triplici disciplina et la Symphonia Galeni.
Liber de quadruplici vita, Lyon, expensis Stephanis Gueynardi et Jacobi Huguetanni, industria Jannot de Campis, 1507, « Epistola prohemialis in sequens opus », f. b 1 r°-v° : « Sed ne quis importunus cavillator nobis objiciat Marsilium Ficinum virum tum omni disciplinarum genere insignitum, tum et greci et latini sermonis gnarum fere idem factitasse, atque de triplici vita edidisse admirande doctrine opusculum, et nos aut illius doctrinam floccifacere, aut eius lucubrationis non exiguam partem in opus nostrum convertisse, atque ex alieno labore nobis gloriam aucupari velle, non eo inficias, immo ingenue fateor Marsilium Ficinum virum admirande fuisse eruditionis, quem semper tanti feci, quanti ex studiosorum collegio neminem, etenim in eius lectione me profecisse plurimum libera voce fateor. Eum nanque hoc in negotio mihi preposui ducem, atque insecutus sum. Sed quum ut inquit poeta « Non omnia possumus omnes », et Horatio teste « quandoque bonus dormitat Homerus », non nulla superaddidi, atque de vita celesti ex theologorum tum catholicorum, tum antiquissimorum philosophorum voluminibus collegimus libellum ». Champier utilise le même argument et les mêmes formules dans le De Triplici disciplina (1508) à propos de ses reprises d’Hermès Trismégiste et de Jacques Lefèvre d’Étaples.
Sur le sous-genre de l’épopée parodique, voir notamment Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982, chap. 23.
Mais l’hybridation et la transgénéricité, qui permettent dans ces deux cas d’envisager le plagiat comme un recyclage, ne caractérisent pas tous les plagiats de Champier : dans la plupart de ses compilations médicales, les textes empruntés (notamment démarqués de médecins humanistes contemporains) sont transplantés dans un contexte proche de celui d’origine, et conservent généralement la même fonction et la même signification.
Cette formule, empruntée à La Pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss (Paris, Plon, 1962, p. 27), est citée par Gérard Genette dans « Structuralisme et critique littéraire », Figures I, Paris, Seuil, 1966, p. 145.
Jacques Derrida, L’écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 418.
Ibid.
L'inter-œuvre
Expérimentations contemporaines
Pratiques de la performance littéraire
Éclatement et hybridation
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Internes de Grégory Chatonsky
Palimpseste, mosaïque, connexion
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