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Recherche infructueuse

Gaudence de Lucques. La noyade (Dess. pour les Voyages imaginaires) - Marillier

Date :
1786
Nature de l'image :
Dessin (lavis)
Sujet de l'image :
Reserve 4-EF-79
Légende

Analyse

Le narrateur, à Alexandrie, a suscité la passion de la fille du Bassa. Son mentor, le Pophar (voir ci-après) lui conseille de quitter la ville au plus vite, pour sa sécurité. Ils font croire à un départ pour Chypre, mais se rendent en fait au Caire, d’où ils se préparent pour le grand voyage qu’ils projettent chez les Mezzoraniens (voir ci-après). Ils partent en remontant les rives du Nil.
Deux dames de qualité montées sur des juments d’Arabie entreprennent de traverser la rivière. La jument de la plus jeune se cabre et jette sa cavalière à l’eau, où, portée par ses habits, elle échoue sur une île. Le narrateur saute alors à bas de son dromadaire et sauve la fille du bassa de la noyade. Il ne la reconnaît cependant qu’après qu’il lui a fait rendre l’eau qu’elle avait avalée :

« Mais quelle ne fut pas ma surprise, en la regardat, de la reconnpĂ®tre pour la fille du bassa, & de la voir entre mes bras, sans sentiment, dans le tems que je la croyois Ă  Alexandrie ! Elle ouvrit enfin les yeux ; & m’ayant regardĂ© fixement pendant quelque tems : Ă´ Mahomet, s’écria-t-elle, faut-il que je doive la vie Ă  cet homme ! Elle s’évanouit en prononçant ces mots. L’autre dame, qui Ă©toit sa confidente, eut beaucoup de peine Ă  la faire revenir. Â» D’abord furieuse de devoir la vie Ă  un homme qui avait, Ă  Alexandrie, dĂ©daignĂ© ses bontĂ©s, la jeune femme reconnaĂ®t finalement la gĂ©nĂ©rositĂ© de son sauveur : “soyez esclave, ou infidèle, ou tut ce que vous voudrez, vous n’en ĂŞtes pas moins l’homme du monde le plus gĂ©nĂ©reux.” Â»

Présentation générale du roman (d’après E. Armand) :
Un mystérieux médecin de Bologne, Gaudentio di Lucca, prisonnier de l’Inquisition, raconte au cours de son interrogatoire le voyage qu’il a fait dans une contrée inconnue située au cœur de l’Afrique, et à peu près inaccessible au reste des hommes. Là, depuis trois millénaires, vit un peuple pratiquant la religion naturelle, régi par des lois sages et vraiment remarquables.
Ses aventures comportent sa capture par des pirates barbaresques, des combats, des intrigues amoureuses, jusqu’à sa mise en vente sur le marchĂ© d’esclaves du Caire. LĂ  le hasard le fait acheter par un homme qui semble ĂŞtre un riche marchand, et lui rend sa libertĂ©. Cet homme est le plus grand dignitaire, ou Pophar, d’un peuple appelĂ© « Mezzoraniens Â», adorateurs du soleil. Il est accompagnĂ© de ses deux fils qui traitent Gaudence comme un frère. (On apprendra plus tard qu’il leur est apparentĂ©.)
Après avoir hĂ©sitĂ© — et après de nouvelles aventures dont il parvient Ă  se
dĂ©gager — Gaudence se dĂ©cide Ă  accompagner son gĂ©nĂ©reux libĂ©rateur dans le pays enchanteur qu’on va nous dĂ©crire par la suite. Ce n’est d’ailleurs pas sans peine qu’ils l’atteignent : il faut traverser d’immenses dĂ©serts, affronter une chaleur horrible, faire face à
de terribles tempĂŞtes. Durant le trajet (Ă  dos de dromadaire), Gaudence apprend que le peuple dont il va faire la connaissance comprend les descendants d’une poignĂ©e d’Égyptiens qui, trois mille ans auparavant, ont, devant l’invasion des Hyscos, fui la mère patrie. Ce peuple adore le soleil, tout en croyant Ă  un ĂŠtre SuprĂŞme, et pratique le culte des AncĂŞtres. Ils donnent Ă  leurs principales villes une forme circulaire. Au centre, le temple du soleil, puis des rues circulaires coupĂ©es par des artères rectilignes conduisant Ă  l’extĂ©rieur, les façades des maisons affectant la forme d’une courbe. Ă€ chaque coin des rues, des arbres, des fontaines, des places. Tout le pays est d’une fertilitĂ© prodigieuse : jardins, terre arable, forĂŞts, lacs, cours d’eau. Il y a deux printemps et deux Ă©tĂ©s. Quant Ă  la population, c’est la plus belle race d’hommes et de femmes qu’il soit possible d’imaginer.
Le gouvernement est patriarcal. Tout père de famille gouverne tous ses descendants, mariĂ©s ou non, jusqu’à sa mort, mĂŞme ceux d’entre eux qui sont eux-mĂŞmes pères de famille, lesquels, d’ailleurs, exercent le mĂŞme pouvoir sur leurs enfants. Si le père de famille meurt de bonne heure, c’est le fils aĂ®nĂ© ou l’oncle qui le remplace. Le pays est divisĂ© en cinq « nomes Â» ayant chacun Ă  leur tĂŞte un Pophar, descendant de l’un des cinq fils aĂ®nĂ©s du fondateur de la contrĂ©e, auquel on doit cette division en cinq parties. Au-dessus de ces cinq chefs de nome se trouve le Grand Pophar, qui est toujours le fils aĂ®nĂ© de son prĂ©dĂ©cesseur, etc. Le Grand Pophar et les Pophars infĂ©rieurs sont aidĂ©s dans leurs tâches par les plus sages et les plus prudents de la nation. Ce sont eux qui nomment les fonctionnaires. On ne devient pas l’un des grands dignitaires avant l’âge de cinquante ans.
Ils ne connaissent qu’une seule loi : « Tu ne feras de tort Ă  qui que ce soit Â» sans addition ni commentaire. Les rares conflits qui s’élèvent. entre les habitants se règlent d’après cette loi unique. C’est elle qui leur interdit, par exemple, de verser volontairement le sang de leurs semblables, aussi y compte-t-on très peu de meurtres, un au cours de plusieurs siècles. Dans ce cas, on enferme le meurtrier, on le retranche de la sociĂ©tĂ© jusqu’à sa mort, et ce n’est qu’après son trĂ©pas que son crime est publiĂ© et qu’on expose son cadavre auquel on inflige des blessures semblables Ă  celles qu’il infligea Ă  sa victime.
C’est cette mĂŞme loi qui leur fait punir l’adultère et la prostitution. En ce qui concerne l’adultère, les coupables sont enfermĂ©s jusqu’à leur dĂ©cès ; celui-ci advenu, on les expose nus dans la situation oĂą on les a surpris en flagrant, dĂ©lit, ensuite on les brĂ»le et on disperse leurs cendres. L’enfant adultĂ©rin, si le cas se prĂ©sente, est emmenĂ© en Égypte oĂą on le
confie Ă  un Ă©tranger avec une forte somme d’argent destinĂ©e Ă  son entretien et on n’entend plus parler de lui. Quant aux prostituĂ©s, on se contente pour l’homme, de l’enchaĂ®ner Ă  un bouc, pour la femme Ă  une chienne, et de les promener Ă  travers le nome auxquels ils
appartiennent. C’est cette loi qui oblige tout auteur d’une injustice Ă  la rĂ©parer en versant Ă  sa victime neuf fois la valeur du tort qui lui a Ă©tĂ© causĂ©, et qui fait bannir le faux tĂ©moin hors du pays et ce pour un temps proportionnĂ© Ă  sa faute. Et ainsi de suite.
Les Mezzoraniens se croient, d’ailleurs, le peuple le plus policĂ© de la terre et considèrent comme infĂ©rieurs les autres habitants de la planète. Tout en adorant le soleil, ils croient Ă  la mĂ©tempsychose ou transmigration des âmes. L’étude de la physiognomonie leur permet de discerner par quelles âmes de brutes sont possĂ©dĂ©s certains humains. Ainsi un luxurieux affichera un visage de porc ; un libidineux celui d’un bouc ; un traĂ®tre celui d’un renard ; un tyran, celui d’un loup, etc. Aussi s’efforcent-ils d’observer minutieusement les traits de ceux qui les entourent, et se tiennent-ils sur leurs gardes afin d’écarter les âmes des brutes qui, par ruse ou Ă  cause de leur inattention, essaieraient de s’introduire dans leurs
corps. Ils prennent grand soin de l’éducation de leurs jeunes hommes. Ils marient heureusement l’étude aux rĂ©crĂ©ations physiques mais on ne rencontre jamais de troupes ou rĂ©unions de jeunes gens sans la prĂ©sence de personnes d’âge. Il en est de mĂŞme pour les jeunes filles. On ne dĂ©couvre pas plus d’hommes oisifs que de femmes inoccupĂ©es. C’est la femme qui choisit elle-mĂŞme celui qui deviendra son Ă©poux, car ils attachent une importance extrĂŞme au mariage et Ă  la fidĂ©litĂ© conjugale. Plus les Ă©poux vivent ensemble et plus croĂ®t leur attachement mutuel. Bien que le Grand Pophar soit le propriĂ©taire du pays entier comme chef du gouvernement et patriarche, le paradoxe des institutions mezzoraniennes consiste
en ce qu’à part les attentions accordĂ©es Ă  l’âge et le respect tĂ©moignĂ© aux dignitaires, ils n’acceptent aucune inĂ©galitĂ© de fait. Toute la nation n’est qu’une grande famille, gouvernĂ©e de facto par la loi naturelle et chacun des « nationaux Â» se considère comme un membre de cette famille. Le grand Pophar est le père de tous, il les regarde comme ses enfants et entre eux ils s’appellent frères. C’est fraternellement qu’ils Ă©changent leurs produits, qu’ils contribuent Ă  la construction des villes, des Ă©coles. des temples, qu’ils dĂ©posent l’excĂ©dent de leur production en des lieux appropriĂ©s, et ce pour l’usage de la communautĂ© tout entière.
Des surveillants, des inspecteurs, élus par tous, veillent à ce qu’aucun abus, aucun désordre n’ait lieu. Chaque Mezzoranien, quand il se déplace, entre dans toute maison à sa convenance et s’y considère comme chez lui. Ils voyagent beaucoup, échangeant les produits précieux de leur région contre ceux de la région qu’ils visitent, de sorte que leurs routes, tant la circulation y est intense, ressemblent à des rues de grandes villes. Ils sont tout à
la fois maîtres et serviteurs. Leurs enfants sont éduqués aux frais du Trésor public, sans distinction autre que celle du mérite personnel. Ceux qui sont préposés à l’éducation orientent, ceux qui leur sont confiés vers les professions ou métiers pour lesquels ils semblent le mieux préparés. Après les professions libérales, c’est l’agriculture qui est le plus en honneur, ensuite viennent les métiers selon leur degré d’utilité.
Telle est l’histoire que Gaudence dĂ©vida devant les Inquisiteurs qui l’interrogeaient. Il s’était mariĂ© avec la fille du Grand Pophar ; elle lui avait donnĂ© trois enfants. Femme et progĂ©niture Ă©taient morts au cours de son sĂ©jour chez les Mezzoraniens, non sans qu’il les eĂ»t baptisĂ©s in extremis. Gaudence avait mĂŞme fait embrasser la foi catholique au Grand Pophar qui l’avait accompagnĂ© en Europe, et cela Ă  la veille de sa mort. Le roman s’achève par la mise en libertĂ© de notre hĂ©ros, mise en libertĂ© conditionnĂ©e par sa promesse de guider des missionnaires chez les Mezzoraniens.

Annotations :

1. Au-dessus du dessin Ă  gauche « mĂ©moires de gaudence Â», Ă  droite « n° 5 Â».
LĂ©gende dans le cartouche sous le dessin : « O Mahomet, faut-il que je doive la vie a cet homme ? Â»
2. La gravure se trouve au tome 6 des Voyages imaginaires, face Ă  la page 61.

Sources textuelles :
Berington, The Adventures of Sigr. Gaudentio di Lucca (1737)

Informations techniques

Notice #012351

Image HD

Identifiant historique :
B1670
Traitement de l'image :
Photo numérique
Localisation de la reproduction :
Collection particulière (Cachan)