Scène de luxure avec des animaux chez Mme de Borghèse (Juliette, IV, fig. 37)
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Analyse
Juliette, qui voyage en Italie, célèbre des orgies avec son amie Olympe, le chef de la police intérieure de Rome Ghighi, et le premier physicien d’Europe, le Comte Bracciani. Ensemble, ils ont incendié les hôpitaux de Rome avant de poursuivre leurs orgies criminelles. Ils se réunissent chez Olympe et font cette fois intervenir une série de personnages ou de créatures fascinantes : sont ainsi présents « un eunuque, un hermaphrodite, un nain, une femme de quatre-vingts ans, un dindon, un singe, un très-gros dogue, une chèvre, et un petit garçon de quatre ans, arrière-petit-fils de la vieille femme » (Sade, Œuvres III, Pléiade, p. 849). La composition complexe représentée sur la gravure se met ensuite en place.
Juliette, au centre, est prête à égorger l'enfant de quatre ans qui est sous elle. L'expérience de l’égorgement de la victime au moment de la pénétration assurerait selon les libertins les meilleures sensations. Juste avant la mise en place de cette scène, Bracciani l’a d'ailleurs testée sur un dindon, en lui coupant le col au moment de sa décharge. Sur la gravure, c'est au tour de Ghighi de l'expérimenter : c'est donc lui qui prend l'enfant. Il est lui-même pris par un singe, et il pollue une chèvre. Pour compléter ce tableau zoophile, Olympe se fait prendre par un dogue, à l'arrière-plan à gauche. Ces trois animaux ont été élevés par les libertins eux-mêmes pour participer aux orgies. Juliette, au-dessus de qui se tient le nain, est positionnée entre les cuisses de l'hermaphrodite, et doit polluer « tour à tour, et les preuves de sa virilité et celles de sa féminine existence » (p. 850). L'hermaphrodite est pris par Bracciani, lui-même paradoxalement pris par un eunuque. Enfin, au sommet de cette pyramide humaine et animale se tient la vieille, sur une sorte de balançoire, dans laquelle une ouverture a été ménagée pour qu’elle défèque sur Bracciani et que celui-ci lui baise les fesses.
La pyramide de jouissance typiquement sadienne, qui assure la jouissance du groupe plutôt que celle d'un seul invidivu, fait ici intervenir de nombreux individus avec des particularités peu communes. Le fantasme sadien franchit un cap en mettant en avant plusieurs penchants sexuels bizarres et pervers, symboles de la « dépravation » des libertins (ibid.). De surcroît, le fait que tous les êtres s'imbriquent à la perfection dans cette pyramide illustre leur discours. En effet, alors que Bracciani démontre l'enchaînement des causes et des effets pour expliquer les penchants sexuels de chacun, Ghighi s'exclame de même à propos des corps qui sont devant lui : « vous vous enchaînez tous » (p. 852). Le dispositif de l'orgie duplique celui du discours des libertins.
Enfin, la pièce dans laquelle les personnages se trouvent n’offre aucun accès vers l’extérieur : ils sont comme confinés. L'espace de la scène est celui d'un fantasme pur, où déployer l’imaginaire pervers des libertins.
1. Au-dessus de la gravure à gauche « T. VIII. », à droite « P. 266. »
Informations techniques
Notice #014577