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Recherche infructueuse

Fontaine octogonale (Songe de Poliphile, 1546, F23r) - Jean Goujon

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Date :
1546
Nature de l'image :
Gravure sur bois
Sujet de l'image :
RES G-Y2-41

Analyse

AprĂšs avoir franchi la belle porte poussĂ© par le dragon et parcouru les souterrains oĂč elle menait, Poliphile arrive dans une contrĂ©e riante : c’est le royaume d’Eleutherilide. Il se trouve alors face Ă  un Ă©difice octogonal sur l’une des faces duquel une fontaine est sculptĂ©e dans le marbre blanc. La fontaine porte l’inscription suivante : PANTON TOKADI, Ă  la mĂšre de toutes choses. La scĂšne qui y est sculptĂ©e pourrait ĂȘtre composĂ©e sur le modĂšle de Jupiter et Antiope. Les deux jets d’eau, chaude et froide, qui sortent des tĂ©tons de VĂ©nus pourraient renvoyer au motif alchimique de la fons duplex. On peut se demander d’autre part si les deux fontaines enchantĂ©es du Roland amoureux de Boiardo, l’une suscitant l’amour et l’autre la haine, ne parodient pas ce motif Ă©sotĂ©rique. (Boiardo est exactement contemporain de Francisco Colonna). L’intĂ©rĂȘt du dispositif qui ordonne cette composition est le drap qui tout Ă  la fois enveloppe la nymphe et constitue le fond de la scĂšne, tendu entre une branche de l’arbre et la main du satyre qui l'Ă©carte pour regarder.

Annotations :

1. Au-dessus de la gravure :

« Entre les deux colonnes dedans le carrĂ© Ă©tait entaillĂ©e une belle nymphe dormant, Ă©tendue sur un drap, partie duquel semblait amoncelĂ© sous sa tĂȘte, comme s’il lui eĂ»t servi d’oreiller. L’autre partie, elle l’avait tirĂ©e pour couvrir ce que l’honnĂȘtetĂ© veut que l’on cache. Et gisait sur le cĂŽtĂ© droit, tenant sa main dessous sa joue, comme pour en appuyer sa tĂȘte. L’autre bras Ă©tait Ă©tendu au long de la hanche gauche, jusques au milieu de la cuisse. Des pupillons de ses mamelles (qui semblaient ĂȘtre d’une pucelle) issaient de la dextre un filet d’eau fraĂźche, et de la senestre un d’eau chaude, qui tombaient en une grand-pierre de porphyre, faite en forme de deux bassins, Ă©loignĂ©s de la nymphe environ six pieds de distance. Devant la fontaine sur un riche pavĂ© entre les deux bassins, y avait un petit canal auquel ces deux eaux s’assemblaient, sortant des bassins l’une Ă  l’opposite de l’autre ; et ainsi mĂȘlĂ©es faisaient un petit ruisseau de chaleur attrempĂ©e, convenable Ă  procrĂ©er toute verdure. L’eau chaude saillait si trĂšs haut, qu’elle ne pouvait empĂȘcher ceux qui mettaient leur bouche Ă  la mamelle droite pour la sucer, et y boire de l’eau froide. Cette figure Ă©tait tant excellentement exprimĂ©e, que l’image de la dĂ©esse VĂ©nus jadis faite par PraxitĂšle, ne fut onques si parfaitement taillĂ©e, encore que pour l’acheter, NicodĂšme, roi des Cnidiens, dĂ©pendĂźt tous les biens de son peuple. Si est-ce toutefois que ce bon ouvrier la fit tant belle, qu’il se trouva puisaprĂšs quelques hommes qui en devinrent amoureux ; de sorte que je ne me puis persuader que cette nymphe eĂ»t Ă©tĂ© faite de main d’artiste, mais plutĂŽt que, de crĂ©ature naturelle et vivante, elle eĂ»t Ă©tĂ© transformĂ©e en pierre. Elle avait les lĂšvres entrouvertes, comme si elle eĂ»t voulu reprendre son haleine, dont on lui pouvait voir tout le dedans de la bouche quasi jusques au nƓud de la gorge. Les belles tresses de ses cheveux Ă©taient Ă©pandues par ondes sur le drap amoncelĂ© dessous sa tĂȘte et suivaient la forme de ses plis. Elle avait les cuisses refaites , les genoux charnus et un peu retirĂ©s contremont, si bien qu’elle montrait les semelles de ses pieds, tant belle et dĂ©licates, qu’il vous eĂ»t pris envie d’y mettre la main pour les chatouiller. Quant au reste du corps, il Ă©tait d’une telle grĂące, qu’il eĂ»t (par aventure) pu Ă©mouvoir un autre de la mĂȘme matiĂšre. DerriĂšre sa tĂȘte sourdait un arbre bien feuillu, abondant en fruit et chargĂ© d’oiselets, qui semblaient chanter et induire les gens Ă  dormir. Devers les pieds de cette nymphe, y avait un satyre comme tout Ă©mu et enflambĂ© d’amour, Ă©tant debout sur ses deux pieds de chĂšvre, la bouche pointue, joignant Ă  son nez camus ; la barbe fourchue, pendante Ă  deux barbillons, en forme de bouc. Il portait deux oreilles longues et velues, l’effigie du visage quasi humaine, toutefois tirant sur la chĂšvre. À le voir, vous eussiez jugĂ© que le sculpteur l’avait moulĂ© sur un satyre naturel. Il avait de sa main gauche pris les branches de l’arbre et, Ă  son pouvoir, s’efforçait de les courber sur la nymphe qui dormait, pour lui faire plus grand ombrage ; de l’autre main il tirait le bout d’une courtine attachĂ©e aux basses branches de l’arbre, entre lequel et ce satyre, Ă©taient assis deux jeunes satyreaux enfants, l’un desquels tenait un vase, et l’autre deux serpents tortillĂ©s autour de ses mains. Je ne pourrais (certes) suffisamment dĂ©duire la beautĂ© et la perfection grande laquelle Ă©tait en cet ouvrage, en qui Ă©tait ajoutĂ©e la grĂące de la pierre, plus polie que n’est ivoire. Mais sur tout je m’émerveillais de la hardiesse et grand-patience de l’ouvrier, qui avait si nettement vidĂ© l’entre-deux des feuilles percĂ©es Ă  jour et les pieds des petits oiseaux, dĂ©liĂ©s comme filets de lin. En la frise de dessous Ă©tait Ă©crit ce mot :
ΠΑΝ΀ΩΝ ΀ΟΚΑΔΙ [PANTON TOKADI]
C’est-Ă -dire, “A la mĂšre de toutes choses”. »

Objets :
Rideau (fond de scĂšne)
Fontaine
Sources textuelles :
Le Songe de Poliphile (Poliphili Hypnerotomachia), Livre I, chap. 07 Ă  10

Informations techniques

Notice #001919

Image HD

Identifiant historique :
A1238
Traitement de l'image :
Image web
Localisation de la reproduction :
BibliothÚque numérique Gallica, BibliothÚque nationale de France (https://gallica.bnf.fr)