Le lavement des pieds (version du Prado) - Tintoret
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Analyse
Le format de cette œuvre, dont la largeur est gigantesque, permet au Tintoret d'ouvrir l'espace, que referme au fond une porte monumentale servant de point de fuite à la composition. L’action se passe au soleil, devant une galerie dont les arcades ombragées s'inscrivent dans un ensemble architectural, vaste quadrilatère, qui entoure un canal, où vogue une sorte de gondole, munie d'une voile. Nous sommes bien à Venise, même si l’action est à Jérusalem.
« Avant la fête de la Pâque… Au cours d’un repas… Jésus se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge dont il se ceint.  Il verse ensuite de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint. Il arrive ainsi à Simon-Pierre qui lui dit : “Toi, Seigneur, me laver les pieds !” Jésus lui répond : “Ce que je fais, tu ne peux le savoir à présent, mais par la suite tu comprendras.” Pierre lui dit : “Me laver les pieds à moi ! Jamais !” Jésus lui répondit : “Si je ne te lave pas, tu ne peux pas avoir part avec moi.”  Simon-Pierre lui dit : “Alors, Seigneur, non pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête !” » (Jean, XIII, 1-9)
Le lavement des pieds, qui devrait être l'action centrale, est rejeté sur le flanc droit du premier plan. Jésus à genoux, ceint d'un tablier blanc, commence à laver les pieds de Pierre qui, debout, proteste par le geste et la parole, tandis que le jeune Jean présente une aiguière. Toujours au premier plan,  au centre du tableau, un chien regarde sagement la scène, tandis qu’à gauche un homme, une jambe posée sur un tabouret, enlève avec précaution sa sandale.
Ce premier plan symĂ©trique, s’articule assez mal avec le second, qui est occupĂ© par une grande table couverte d’une nappe, sur laquelle un verre de vin, un pain, une coupe, peut-ĂŞtre un plat et un couteau, sont posĂ©s. C'est peu pour une si grande table : elle semble vide. Aux trois apĂ´tres du premier plan, s’ajoutent quatre apĂ´tres assis autour de la table, indiffĂ©rents Ă l’action de JĂ©sus. A droite, un huitième apĂ´tre enlève ses chausses, tandis que le neuvième s’est assis au sol pour qu’un dixième lui retire ses chausses, ce qu’il fait avec grand effort.Â
Le troisième plan est occupé par la colonnade, mais à la limite de l’ombre, un onzième apôtre est assis sur le sol, et se frotte les mains, tandis qu’un peu plus loin à droite, dans l’ombre, le dernier apôtre coiffé d’un bonnet rouge, appuyé à l'une des colonnes, épie la scène en retrait : Judas se met à part.
« Jésus dit [à Pierre] : “Celui qui s’est baigné n’a nul besoin d’être lavé, car il est entièrement pur : et vous, vous êtes purs, mais non pas tous.” Il savait en effet qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il dit : “Vous n’êtes pas tous purs.” » (Jean, XIII, 10-11)
Mais au verset 2, le rédacteur avait précisé :
« Le diable avait jeté au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, la pensée de le livrer. »
La scène devient finalement assez cocasse, le regard étant surtout attiré par tous ces mouvements d’hommes se dévêtant, sans que la relation au lavement des pieds, soit explicite. Est-ce une façon pour le peintre de marquer l’incompréhension des apôtres ?
« Comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous ? Vous m’appelez “le Maître et le Seigneur” et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. » (Jean, XIII, 13-15)
Le lavement des pieds est préalable au repas, à la dernière Cène, qui n’est pas décrite dans l’évangile de Jean, mais la table, avec son pain et sa coupe, y ramène symboliquement. D'ailleurs au fond à droite, juste au-dessus de la tête du Christ, le Tintoret semble bien avoir représenté une vraie Cène.
Cette représentation d’un événement postérieur au Lavement des pieds pose problème si l'on suit la logique d'un dispositif scénique. Le Tintoret a-t-il voulu renvoyer à l'autre tableau qui lui avait été commandé, à sa Cène accrochée dans la même église, et où les disciples sont placés de la même façon ? Ou bien s'agit-il là d'un reste de l'ancienne logique, narrative, de composition, qui permettait d'articuler, dans une même composition, la succession des différents moments d'un même récit ? On peut penser enfin, étant donné l'emplacement de cette Cène juste au-dessus de la tête de Jésus, que le peintre a voulu représenter ce qu'il avait en tête au moment de laver les pieds de Pierre, et signifier que le lavement des pieds ne prendrait rétrospectivement tout son sens qu'au moment de la Cène.
2. Provient de l'Ă©glise San Marcuola de Venise ;
acquis par Ferdinand Gonzague VI duc de Mantoue vers 1610 ;
collection de Charles Ier d'Angleterre ;
acquis par Houghton en 1651 qui le vend en 1654 à  don Alonso de Cárdenas pour le compte de don Luis Méndez de Haro, qui l'offre à Philippe IV.
Informations techniques
Notice #019717