Le lavement des pieds (version du Prado) - Tintoret
Notice précédente Notice n°2 sur 6 Notice suivante
Analyse
Le format de cette Ćuvre, dont la largeur est gigantesque, permet au Tintoret d'ouvrir l'espace, que referme au fond une porte monumentale servant de point de fuite Ă la composition. Lâaction se passe au soleil, devant une galerie dont les arcades ombragĂ©es s'inscrivent dans un ensemble architectural, vaste quadrilatĂšre, qui entoure un canal, oĂč vogue une sorte de gondole, munie d'une voile. Nous sommes bien Ă Venise, mĂȘme si lâaction est Ă JĂ©rusalem.
« Avant la fĂȘte de la PĂąqueâŠÂ Au cours dâun repas⊠JĂ©sus se lĂšve de table, dĂ©pose son vĂȘtement et prend un linge dont il se ceint.  Il verse ensuite de lâeau dans un bassin et commence Ă laver les pieds des disciples et Ă les essuyer avec le linge dont il Ă©tait ceint. Il arrive ainsi Ă Simon-Pierre qui lui dit : âToi, Seigneur, me laver les pieds !â JĂ©sus lui rĂ©pond : âCe que je fais, tu ne peux le savoir Ă prĂ©sent, mais par la suite tu comprendras.â Pierre lui dit : âMe laver les pieds Ă moi ! Jamais !â JĂ©sus lui rĂ©pondit : âSi je ne te lave pas, tu ne peux pas avoir part avec moi.â  Simon-Pierre lui dit : âAlors, Seigneur, non pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tĂȘte !â » (Jean, XIII, 1-9)
Le lavement des pieds, qui devrait ĂȘtre l'action centrale, est rejetĂ© sur le flanc droit du premier plan. JĂ©sus Ă genoux, ceint d'un tablier blanc, commence Ă laver les pieds de Pierre qui, debout, proteste par le geste et la parole, tandis que le jeune Jean prĂ©sente une aiguiĂšre. Toujours au premier plan,  au centre du tableau, un chien regarde sagement la scĂšne, tandis quâĂ gauche un homme, une jambe posĂ©e sur un tabouret, enlĂšve avec prĂ©caution sa sandale.
Ce premier plan symĂ©trique, sâarticule assez mal avec le second, qui est occupĂ© par une grande table couverte dâune nappe, sur laquelle un verre de vin, un pain, une coupe, peut-ĂȘtre un plat et un couteau, sont posĂ©s. C'est peu pour une si grande table : elle semble vide. Aux trois apĂŽtres du premier plan, sâajoutent quatre apĂŽtres assis autour de la table, indiffĂ©rents Ă lâaction de JĂ©sus. A droite, un huitiĂšme apĂŽtre enlĂšve ses chausses, tandis que le neuviĂšme sâest assis au sol pour quâun dixiĂšme lui retire ses chausses, ce quâil fait avec grand effort.Â
Le troisiĂšme plan est occupĂ© par la colonnade, mais Ă la limite de lâombre, un onziĂšme apĂŽtre est assis sur le sol, et se frotte les mains, tandis quâun peu plus loin Ă droite, dans lâombre, le dernier apĂŽtre coiffĂ© dâun bonnet rouge, appuyĂ© Ă l'une des colonnes, épie la scĂšne en retrait : Judas se met Ă part.
« JĂ©sus dit [Ă Pierre] : âCelui qui sâest baignĂ© nâa nul besoin dâĂȘtre lavĂ©, car il est entiĂšrement pur : et vous, vous ĂȘtes purs, mais non pas tous.â Il savait en effet qui allait le livrer ; et câest pourquoi il dit : âVous nâĂȘtes pas tous purs.â » (Jean, XIII, 10-11)
Mais au verset 2, le rédacteur avait précisé :
« Le diable avait jetĂ© au cĆur de Judas Iscariote, fils de Simon, la pensĂ©e de le livrer. »
La scĂšne devient finalement assez cocasse, le regard Ă©tant surtout attirĂ© par tous ces mouvements dâhommes se dĂ©vĂȘtant, sans que la relation au lavement des pieds, soit explicite. Est-ce une façon pour le peintre de marquer lâincomprĂ©hension des apĂŽtres ?
« Comprenez-vous ce que jâai fait pour vous ? Vous mâappelez âle MaĂźtre et le Seigneurâ et vous dites bien, car je le suis. DĂšs lors, si je vous ai lavĂ© les pieds, moi, le Seigneur et le MaĂźtre, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car câest un exemple que je vous ai donnĂ©Â : ce que jâai fait pour vous, faites-le vous aussi. » (Jean, XIII, 13-15)
Le lavement des pieds est prĂ©alable au repas, Ă la derniĂšre CĂšne, qui nâest pas dĂ©crite dans lâĂ©vangile de Jean, mais la table, avec son pain et sa coupe, y ramĂšne symboliquement. D'ailleurs au fond Ă droite, juste au-dessus de la tĂȘte du Christ, le Tintoret semble bien avoir reprĂ©sentĂ© une vraie CĂšne.
Cette reprĂ©sentation dâun Ă©vĂ©nement postĂ©rieur au Lavement des pieds pose problĂšme si l'on suit la logique d'un dispositif scĂ©nique. Le Tintoret a-t-il voulu renvoyer Ă l'autre tableau qui lui avait Ă©tĂ© commandĂ©, Ă sa CĂšne accrochĂ©e dans la mĂȘme Ă©glise, et oĂč les disciples sont placĂ©s de la mĂȘme façon ? Ou bien s'agit-il lĂ d'un reste de l'ancienne logique, narrative, de composition, qui permettait d'articuler, dans une mĂȘme composition, la succession des diffĂ©rents moments d'un mĂȘme rĂ©cit ? On peut penser enfin, Ă©tant donnĂ© l'emplacement de cette CĂšne juste au-dessus de la tĂȘte de JĂ©sus, que le peintre a voulu reprĂ©senter ce qu'il avait en tĂȘte au moment de laver les pieds de Pierre, et signifier que le lavement des pieds ne prendrait rĂ©trospectivement tout son sens qu'au moment de la CĂšne.
2. Provient de l'Ă©glise San Marcuola de Venise ;
acquis par Ferdinand Gonzague VI duc de Mantoue vers 1610 ;
collection de Charles Ier d'Angleterre ;
acquis par Houghton en 1651 qui le vend en 1654 à  don Alonso de Cårdenas pour le compte de don Luis Méndez de Haro, qui l'offre à Philippe IV.
Informations techniques
Notice #019717