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Recherche infructueuse

La fille échappée (Rétif, Les Contemporaines, vol. 2, 1780) - Binet

Date :
1780
Nature de l'image :
Gravure sur cuivre
Sujet de l'image :
SMITH LESOUEF R-1602
Œuvre signée
Légende

Analyse

Sujet de l’estampe de la Neuvième Nouvelle : La planche représente une petite éveillée, qui vide un panier d’ordures en regardant d’une manière assez libre un homme qui lui parle en souriant. Dans le lointain, on voit un sergent aux gardes de son frère, qui fait une geste menaçant ; à côté de lui est une partie de carrosse, d’où est sorti l’homme qui parle à la jeune fille. Elle répond :
« Je ne servirai jamais que… mon mari ».

Un homme est abordé un soir par une jeune fille qui lui demande son chemin. Il est tard, l'homme lui propose de l'accompagner chez son amie. Mais impossible de trouver l'amie en question. La jeune fille refuse de retourner chez ses parents et supplie l'homme de l'accueillir chez lui. Ce n'est guère convenable : l'homme se fait prier, finit par céder. Le lendemain, la jeune fille lui dit son histoire : elle se nomme Adélaïde Lhuillier, son frère est « Sergent dans les Gardes », il l'accuse de s'être mal conduite :

« Mon Fère est d’une bonne-conduite ; c’est ce qui l’a avancé. Je suis rieuse, moi ; ça lui a toujours déplu ; comme si c’était un crime que de rire. Tous les jours il disait à ma Mère, que je ne serais jamais qu’une Racc*** » (P. 339/249, Racc… pour racoleuse, une prostituée)

Contrairement à son frère, dont la conduite réservée lui a valu de l'avancement, Adélaïde se conduit très librement avec les hommes, déclenchant la fureur de son frère : excès d'innocence ou perversité ? La gravure illustre l'histoire qui a mis le feu aux poudres entre elle et son frère :

« Vous me voyez sur moi ce que j’ai de mieux, & ce n’est que de la toile. Enfin j’avais l’air d’une pauvre Servante. Si-bien qu’un-jour, que je vidais un panier d’ordures au coin d’une borne, il y vint un Monsieur, qui me proposa d’entrer à son service. Moi, je le regardai en riant (il n’y avait pas-là de quoi se fâcher !) & je lui répondis, que je ne servirais jamais d’autre Maître, que celui avec qui je coucherais. Ce qui le fit bien rire ! Mon Frère ne m’entendit pas, mais il me vit répondre, (dit-il ensuite) avec un air d'effrontée Coq***, & il me battit. » (Ibid. Coq. pour coquette)

On apprendra plus loin, que l'« honnête homme » du début de la nouvelle est ce Monsieur, qui se reconnaît rétrospectivement dans le récit d'Adélaïde  (contre toute vraisemblance !, voir p. 339). Celle-ci finit par avouer que son frère n'avait pas complètement tort: elle a bien reçu une lettre d'un jeune homme et accepté un rendez-vous ; son frère a intercepté le message. Elle jure qu'elle n'est jamais allée chez lui, l'honnête homme accepte de la garder et de parfaire son éducation. Deux ans plus tard, c'est une transformation complète : Adélaïde est réservée, reconnaissante. L'honnête homme, devenu le Protecteur de la jeune fille, va en informer sa mère et son frère. Le frère, furieux, menace le Protecteur, qui obtient cependant que la Mère seule rende visite à sa fille. Pourtant, en rentrant de promenade avec Adélaïde, son Protecteur est reconnu par le frère, qui le force à se rendre au poste avec la jeune fille. La mère accourt, pour recevoir la demande en mariage du Protecteur avec sa fille.

La gravure représente la scène, rapportée par Adélaïde au début de la nouvelle, qui a déclenché la fureur de son frère et provoqué sa fuite. Au premier plan, Adélaïde vide un panier d’ordures dans le coin d’une rue tandis qu’un homme élégant, une canne à la main, l’approche et passe son bras droit dans son dos. Adélaïde tourne la tête vers lui et lui sourit. Au second plan, un homme furieux, portant le tricorne d'un sergent de ville, lève le bras droit en direction d'Adélaïde et pour arrêter l'homme qui tourne autour de sa sœur :  le frère semble tout juste sorti du carrosse qui se trouve derrière lui. Le pavage de la rue, où se déroule la scène, est divisé en deux par un caniveau central, qui sépare Adélaïde et son galant d’un côté, le frère d’Adélaïde de l’autre. À l’arrière-plan sur la gauche on peut lire sur une plaque « Rue | ma de La | delaine » (Rue de la Madeleine). Une lanterne reliée aux quatre coins de la rue éclaire la scène.

L'homme du premier plan, selon le récit de Rétif, n'est pas le jeune homme qui courtise Adélaïde, lui a écrit une lettre pour convenir d'un rendez-vous, et chez qui elle jure qu'elle ne s'est jamais rendue. C'est le Protecteur, un homme déjà d'âge mur, respectable et discret, qu'Adélaïde appellera même, au cours du récit « Papa ». Pourtant Binet le représente comme un jeune élégant, comme s'il confondait les deux personnages. Il souligne ainsi l'ambiguïté du récit, qui est l'ambiguïté rétivienne par excellence : la jeune fille est-elle excessivement naïve et franche ou est-ce la coquette effrontée que voit en elle son frère ? Le protecteur est-il un honnête homme généreux, ému de pitié, ou un pervers à la limite de la pédophilie que les toutes jeunes filles attirent et qui joue face à Adélaïde un rôle parfaitement rôdé ? L'effet de l'image repose sur le contraste des épluchures jetées et de l'habit délicat des jeunes gens, de la posture attentionnée du jeune homme et de la hardiesse de son bras passé derrière la taille de la jeune fille, de l'humilité de celle-ci et de son décolleté provocant. Autre contraste, la différence entre les deux hommes qui se disputent dans la nouvelle la mainmise sur Adélaïde, le frère et le futur mari. La redingote du frère dispose d'un boutonnage silple tandis que les boutonnières de celle du Protecteur sont richement brodées : ils ne sont pas de la même classe sociale.

Annotations :

1. Signé sous la gravure à gauche « L. Binet inv. », à droite « L. S. Berthet Scul. »
Légende sous la signature : « Je ne servirai jamais que… mon mari. »

Sources textuelles :
Rétif de la Bretonne, Les Contemporaines (1780-1782)

Informations techniques

Notice #020035

Image HD

Traitement de l'image :
Image web
Localisation de la reproduction :
Bibliothèque numérique Gallica, Bibliothèque nationale de France (https://gallica.bnf.fr)