Suzanne jetée au cachot (Diderot, La Religieuse t.1, Paris, Bertin, 1797) - Chaillou
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Analyse
La scĂšne se situe avant le procĂšs, mais aprĂšs que Suzanne a fait passer son mĂ©moire Ă l'extĂ©rieur par son amie la sĆur Sainte-Ursule. La mĂšre Sainte-Christine se doute de quelque chose, essayer de faire avouer Ă Suzanne quel usage elle a fait du papier qu'elle a demandĂ© pour sa confession, et qui a visiblement servi Ă autre chose. Mais Suzanne refuse de parler : la supĂ©rieure et ses affidĂ©es dĂ©cident de la jeter au cachot.
« Je me levai brusquement, et je lui dis : Madame, jâai tout vu ; je sens que je me perds ; mais un moment plus tĂŽt ou plus tard ne vaut pas la peine dây penser. Faites de moi ce quâil vous plaira ; Ă©coutez leur fureur, consommez votre injustice⊠Et Ă lâinstant je leur tendis les bras. Ses compagnes sâen saisirent. On mâarracha mon voile ; on me dĂ©pouilla sans pudeur. On trouva sur mon sein un petit portrait de mon ancienne supĂ©rieure ; on sâen saisit : je suppliai quâon me permĂźt de le baiser encore une fois ; on me refusa. On me jeta une chemise, on mâĂŽta mes bas, on me couvrit dâun sac, et lâon me conduisit, la tĂȘte et les pieds nus, Ă travers les corridors. Je criais, jâappelais Ă mon secours ; mais on avait sonnĂ© la cloche pour avertir que personne ne parĂ»t. Jâinvoquais le ciel, jâĂ©tais Ă terre, et lâon me traĂźnait. Quand jâarrivai au bas des escaliers, jâavais les pieds ensanglantĂ©s et les jambes meurtries ; jâĂ©tais dans un Ă©tat Ă toucher des Ăąmes de bronze. Cependant lâon ouvrit avec de grosses clefs la porte dâun petit lieu souterrain, obscur, oĂč lâon me jeta sur une natte que lâhumiditĂ© avait Ă demi pourrie. LĂ , je trouvai un morceau de pain noir et une cruche dâeau avec quelques vaisseaux nĂ©cessaires et grossiers. La natte roulĂ©e par un bout formait un oreiller ; il y avait, sur un bloc de pierre, une tĂȘte de mort, avec un crucifix de bois. Mon premier mouvement fut de me dĂ©truire ; je portai mes mains Ă ma gorge ; je dĂ©chirai mon vĂȘtement avec mes dents ; je poussai des cris affreux ; je hurlais comme une bĂȘte fĂ©roce ; je me frappai la tĂȘte contre les murs ; je me mis toute en sang ; je cherchai Ă me dĂ©truire jusquâĂ ce que les forces me manquassent, ce qui ne tarda pas. Câest lĂ que jâai passĂ© trois jours ; je mây croyais pour toute ma vie. »
1. Signé sous la gravure à gauche « FBovinet Sculp. », à droite « Challiou Del. ».
Légende dans le cartouche sous les signatures : « LA RELIGIEUSE. | J'invoquois le Ciel..⊠»
Informations techniques
Notice #020048