Oui c'est de vous que dépend le bonheur de ma vie (Célestine, t. 3) - Fortier
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Analyse
La scène ici illustrée se situe au début du troisième tome de Célestine. Les deux époux, d'Orméville et Célestine, ont dû se séparer, ce qui laisse Célestine seule et livrée à elle-même. Le roman prend en effet place dans un contexte de guerre civile : les Français révolutionnaires s'en prennent aux pays limitrophes à la France, et surtout aux Français émigrés. D'Orméville et le Comte de Lussière, le père de Célestine, en tant que nobles, combattent en territoire étranger les Français républicains. La mère de Célestine a quant à elle perdu la vie lors d'un siège, à la suite d'un bombardement. L'ennemi des jeunes époux, Rasoni, qui œuvre dans l'ombre pour éloigner à tout prix d'Orméville de sa femme afin de l'enlever, profite de la situation pour se rapprocher encore une fois de Célestine. La gravure illustre le moment où il révèle sa vraie nature en lui dévoilant ses ambitions. La scène représentée est donc un moment charnière dans le roman : la situation se clarifie définitivement pour Célestine, qui se doutait des sentiments de celui qu'elle considérait comme un ami, et pour le lecteur, qui sait dorénavant que c'est Rasoni qui orchestre tous les événements malheureux.
Rasoni entre donc dans la maison où se trouve Célestine, après que celle-ci l'a une première fois repoussé à la fin du deuxième tome, et se dirige vers elle après avoir écarté toutes les personnes qui auraient pu le gêner dans son entreprise. « Il dépend de moi de vous perdre » (dans l'éd. de Hambourg et Brunswick, Fauche, 1798, t. III, p. 69) commence-t-il par menacer avant de lui déclarer un « feu [qui est] capable de tout » (ibid.). Célestine, « surprise et effrayée », puis « épouvantée » (p. 70), veut reculer mais Rasoni « la saisit par sa robe » (ibid.). C'est ce moment que représente l'illustration dont les traits libertins sont suggérés : Rasoni figure ici les caractères typiques de l'antagoniste du roman noir, le plus souvent intéressé par la luxure ou par l'argent. On le voit sur la gravure s'agenouiller devant Célestine alarmée. Il l'enlace avec ses bras, ce qui marque sa volonté de possession, tout en la regardant avidement. Célestine, elle, lève les bras en signe de détresse : on ne parvient même pas à accéder à son visage, qu'un de ses bras cache. Elle est ainsi réduite à un corps désiré par Rasoni. Le lit placé au second plan semble par ailleurs expliciter ses ambitions. Il marque aussi l'espace de l'intimité de Célestine, qu'il viole en entrant sans prévenir et en enlaçant sa victime alors en tenue légère sans avoir obtenu d'elle aucun consentement.
Le moment choisi est un moment clé dans le roman et répond à l'horizon d'attente du lecteur en lui fournissant une représentation typique de la relation bourreau-victime, caractéristique du roman noir. Célestine est la victime idéale : elle est belle, vertueuse, et céleste, comme son nom l'indique ; tandis que Rasoni figure le bourreau lubrique et sans cœur – « je ne connois plus de vertus » (p. 69) affirme-t-il à Célestine – prêt à tout pour parvenir à ses fins égoïstes. Son nom rappelle d'ailleurs les oppresseurs inventés par Radcliffe, comme Schédoni ou Montoni, figures célèbres des romans gothiques de la romancière.
1. Signé sous la gravure à gauche « fortier ».
Légende dans le cartouche : « Oui c'est de vous que dépend le bonheur de ma vie. »
Informations techniques
Notice #022036