Suzanne au bain - Lorenzo Lotto
Analyse
Lorenzo Lotto rĂ©alise une composition Ă mi-chemin entre le dispositif narratif et le dispositif scĂ©nique. Les paroles des personnages sont inscrites dans les phylactères qu’ils brandissent. Au fond, sur la gauche, Suzanne revient seule de la porte du jardin, oĂą elle a accompagnĂ© sa servante, partie pour une course en ville. L’image se divise en trois espaces concentriques: en haut, l’espace vague est ocuupĂ© Ă gauche par les remparts de la ville (deux silhouette s’y dirigent), Ă droite par un chemin qui se perd dans le lointain (deux autres silhouettes y cheminent). Au centre, le jardin est clos par une première ceinture de murs. Au premier plan enfin, le bain dans le jardin est lui aussi clos de murs.   Â
Au premier plan, l’homme vĂŞtu de rouge descend les marches du bain et fait Ă Suzanne ses propositions honteuses, qui correspondent Ă la première ligne du phylactère de droite. Le geste théâtral du bras gauche Ă©cartĂ©, paume ouverte sur le dessus, redouble le sens signifiĂ© sur le phylactère. Ă€ gauche, Suzanne refuse : le geste de la main droite exprime théâtralement la dĂ©nĂ©gation qui est signifiĂ©e sur le phylactère de gauche. Enfin, au centre, l’homme vĂŞtu de mauve prononce la deuxième phrase du phylactère de droite. TournĂ© vers les deux valets qui apparaissent Ă la porte du bain, il leur dĂ©signe d’un doigt accusateur Suzanne comme coupable.   Â
On peut lire cette image de façon narrative : en haut, les habitants de la maison s’en vont Ă leurs occupations. Au centre, Suzanne est restĂ©e seule. En bas Ă gauche elle est agressĂ©e. Ă€ droite, elle est accusĂ©e.   Â
Mais l’image peut se lire également comme un dispositif d’écran : le mur du bain délimite l’espace restreint de la scène, dans lequel les deux valets font irruption : comme nous ils voient ce qu’il ne faudrait pas voir, la proposition malhonnête des vieillards (Lotto condense ici le récit biblique : c’est en principe au tribunal que les vieillards portent leur accusation, non pris sur le fait dans le bain de Suzanne). L’irruption dans l’espace restreint matérialise la transgression de l’interdit du regard constitutive de la scène et métaphorise le regard du spectateur sur la toile. Les valets ne distinguent la nudité de Suzanne qu’au-delà des vieillards interposés. Les vieillards font écran. Leurs corps épousent la diagonale du tableau, séparant à gauche ce qui est donné à voir, Suzanne, et à droite ceux qui regardent, les valets.
1. Signé et daté en bas sous la draperie rouge : « Lotus pictor 1517 » Sur le phylactère du vieillard, on peut lire à la première ligne « Ni nobis assenties testimonio nostro peribis », si tu ne nous cèdes pas, tu mourras par notre témoignage ; sur celui de Suzanne, « Satius duco mori quam peccare », Plutôt mourir que pécher; sur la deuxième ligne du phylactère du vieillard, « Vidimus eam cum juvene commisceri », nous l’avons vue se commettre avec un jeune homme.
2. Le tableau fut exécuté durant le séjour de Lotto à Bergame.
Informations techniques
Notice #002260