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Recherche infructueuse

Belphégor (Fables de La Fontaine, 1694) - atelier de Chauveau

Attribution incertaine
Date :
1693
Date incertaine
Nature de l'image :
Gravure sur cuivre
Sujet de l'image :
RĂ©s. Lebaudy in-12 200

Analyse

Nouvelle tirée de Machiavel
Un jour Satan, Monarque des Enfers,
Faisait passer ses sujets en revue.
LĂ  confondus tous les Ă©tats divers,
Princes et Rois, et la tourbe menue,
Jetaient maint pleur, poussaient maint et maint cri,
Tant que Satan en Ă©tait Ă©tourdi.
Il demandait en passant à chaque ùme :
Qui t’a jetĂ©e en l’éternelle flamme ?
L’une disait : HĂ©las ! c’est mon mari ;
L’autre aussitĂŽt rĂ©pondait : C’est ma femme.
Tant et tant fut ce discours répété,
Qu’enfin Satan dit en plein consistoire :
Si ces gens-ci disent la vérité
Il est aisĂ© d’augmenter notre gloire.
Nous n’avons donc qu’à le vĂ©rifier.
Pour cet effet il nous faut envoyer
Quelque DĂ©mon plein d’art et de prudence ;
Qui non content d’observer avec soin
Tous les hymens dont il sera témoin,
Y joigne aussi sa propre expérience.
Le Prince ayant proposé sa sentence,
Le noir SĂ©nat suivit tout d’une voix.
De Belphégor aussitÎt on fit choix.
Ce Diable Ă©tait tout yeux et tout oreilles,
Grand Ă©plucheur, clairvoyant Ă  merveilles,
Capable enfin de pénétrer dans tout,
Et de pousser l’examen jusqu’au bout.
Pour subvenir aux frais de l’entreprise,
On lui donna mainte et mainte remise,
Toutes Ă  vue, et qu’en lieux diffĂ©rents
Il pût toucher par des correspondants.
Quant au surplus, les fortunes humaines,
Les biens, les maux, les plaisirs et les peines,
Bref ce qui suit notre condition,
Fut une annexe à sa légation.
Il se pouvait tirer d’affliction,
Par ses bons tours et par son industrie,
Mais non mourir, ni revoir sa patrie,
Qu’il n’eĂ»t ici consumĂ© certain temps :
Sa mission devait durer dix ans.
Le voilĂ  donc qui traverse et qui passe
Ce que le Ciel voulut mettre d’espace
Entre ce monde et l’éternelle nuit ;
Il n’en mit guùre, un moment y conduit.
Notre DĂ©mon s’établit Ă  Florence,
Ville pour lors de luxe et de dépense.
MĂȘme il la crut propre pour le trafic.
LĂ  sous le nom du seigneur Roderic,
Il se logea, meubla, comme un riche homme ;
Grosse maison, grand train, nombre de gens ;
Anticipant tous les jours sur la somme
Qu’il ne devait consumer qu’en dix ans.
On s’étonnait d’une telle bombance.
Il tenait table, avait de tous cÎtés
Gens à ses frais, soit pour ses voluptés,
Soit pour le faste et la magnificence.
L’un des plaisirs oĂč plus il dĂ©pensa
Fut la louange : Apollon l’encensa ;
Car il est maütre en l’art de flatterie
Diable n’eut onc tant d’honneurs en sa vie.
Son cƓur devint le but de tous les traits
Qu’amour lançait : il n’était point de belle
Qui n’employñt ce qu’elle avait d’attraits
Pour le gagner, tant sauvage fût-elle :
Car de trouver une seule rebelle,
Ce n’est la mode à gens de qui la main
Par les prĂ©sents s’aplanit tout chemin.
C’est un ressort en tous desseins utile.
Je l’ai jà dit et le redis encor ;
Je ne connais d’autre premier mobile
Dans l’univers que l’argent et que l’or.
Notre envoyé cependant tenait compte
De chaque hymen, en journaux différents ;
L’un, des Ă©poux satisfaits et contents,
Si peu rempli que le Diable en eut honte.
L’autre journal incontinent fut plein.
À BelphĂ©gor il ne restait enfin
Que d’éprouver la chose par lui-mĂȘme.
Certaine fille Ă  Florence Ă©tait lors ;
Belle, et bien faite, et peu d’autres trĂ©sors ;
Noble d’ailleurs, mais d’un orgueil extrĂȘme ;
Et d’autant plus que de quelque vertu
Un tel orgueil paraissait revĂȘtu.
Pour Roderic on en fit la demande.
Le PĂšre dit que Madame Honnesta,
C’était son nom, avait eu jusque-lĂ 
Force partis ; mais que parmi la bande
Il pourrait bien Roderic préférer,
Et demandait temps pour délibérer.
On en convient. Le Poursuivant s’applique
À gagner celle oĂč ses vƓux s’adressaient.
FĂȘtes et bals, sĂ©rĂ©nades, musique,
Cadeaux, festins, bien fort apetissaient,
AltĂ©raient fort le fonds de l’ambassade.
Il n’y plaint rien, en use en grand Seigneur,
S’épuise en dons. L’autre se persuade
Qu’elle lui fait encor beaucoup d’honneur.
Conclusion, qu’aprùs force priùres,
Et des façons de toutes les maniÚres,
Il eut un oui de Madame Honnesta.
Auparavant le Notaire y passa :
Dont Belphégor se moquant en son ùme :
HĂ© quoi, dit-il, on acquiert une femme
Comme un chùteau ! Ces gens ont tout gùté.
Il eut raison : îtez d’entre les hommes
La simple foi, le meilleur est Îté.
Nous nous jetons, pauvres gens que nous sommes,
Dans les procĂšs en prenant le revers.
Les si, les cas, les contrats sont la porte
Par oĂč la noise entra dans l’univers :
N’espĂ©rons pas que jamais elle en sorte.
SolennitĂ©s et lois n’empĂȘchent pas
Qu’avec l’Hymen Amour n’ait des dĂ©bats.
C’est le cƓur seul qui peut rendre tranquille.
Le cƓur fait tout, le reste est inutile.
Qu’ainsi ne soit, voyons d’autres Ă©tats.
Chez les amis tout s’excuse, tout passe ;
Chez les amants tout plaĂźt, tout est parfait ;
Chez les Ă©poux tout ennuie et tout lasse.
Le devoir nuit : chacun est ainsi fait.
Mais, dira-t-on, n’est-il en nulles guises
D’heureux mĂ©nage ? AprĂšs mĂ»r examen,
J’appelle un bon, voire un parfait hymen,
Quand les conjoints se souffrent leurs sottises.
Sur ce point-lĂ  c’est assez raisonnĂ©.
DÚs que chez lui le Diable eut amené
Son ÉpousĂ©e, il jugea par lui-mĂȘme
Ce qu’est l’hymen avec un tel DĂ©mon :
Toujours débats, toujours quelque sermon
Plein de sottise en un degrĂ© suprĂȘme.
Le bruit fut tel que madame Honnesta
Plus d’une fois les voisins Ă©veilla :
Plus d’une fois on courut à la noise :
Il lui fallait quelque simple bourgeoise,
Ce disait-elle : un petit trafiquant
Traiter ainsi les filles de mon rang !
MĂ©ritait-il femme si vertueuse ?
Sur mon devoir je suis trop scrupuleuse :
J’en ai regret, et si je faisais bien...
Il n ’est pas sĂ»r qu’Honnesta ne fĂźt rien :
Ces prudes-lĂ  nous en font bien accroire.
Nos deux Ă©poux, Ă  ce que dit l’histoire,
Sans disputer n’étaient pas un moment.
Souvent leur guerre avait pour fondement
Le jeu, la jupe ou quelque ameublement,
D’étĂ©, d’hiver, d’entre-temps, bref un monde
D’inventions propres à tout gñter.
Le pauvre Diable eut lieu de regretter
De l’autre enfer la demeure profonde.
Pour comble enfin Roderic Ă©pousa
La parenté de Madame Honnesta,
Ayant sans cesse et le pĂšre, et la mĂšre,
Et la grand’sƓur avec le petit frùre ;
De ses deniers mariant la grand’sƓur,
Et du petit payant le Précepteur.
Je n’ai pas dit la principale cause
De sa ruine, infaillible accident ;
Et j’oubliais qu’il eut un Intendant.
Un Intendant ? qu’est-ce que cette chose ?
Je dĂ©finis cet ĂȘtre, un animal
Qui,comme on dit, sait pĂȘcher en eau trouble
Et plus le bien de son maĂźtre va mal,
Plus le sien croĂźt, plus son profit redouble ;
Tant qu’aisĂ©ment lui-mĂȘme achĂšterait
Ce qui de net au Seigneur resterait :
Dont par raison bien et dûment déduite
On pourrait voir chaque chose réduite
En son Ă©tat, s’il arrivait qu’un jour
L’autre devünt l’Intendant à son tour,
Car regagnant ce qu’il eut Ă©tant MaĂźtre,
Ils reprendraient tous deux leur premier ĂȘtre.
Le seul recours du pauvre Roderic,
Son seul espoir, Ă©tait certain trafic
Qu’il prĂ©tendait devoir remplir sa bourse,
Espoir douteux, incertaine ressource.
Il Ă©tait dit que tout serait fatal
À notre Époux, ainsi tout alla mal.
Ses Agents tels que la plupart des nĂŽtres,
En abusaient : il perdit un vaisseau,
Et vit aller le commerce à vau-l’eau,
Trompé des uns, mal servi par les autres.
Il emprunta. Quand ce vint Ă  payer,
Et qu’à sa porte il vit le crĂ©ancier,
Force lui fut d’esquiver par la fuite,
Gagnant les champs, oĂč de l’ñpre poursuite
Il se sauva chez un certain Fermier,
En certain coin remparé de fumier.
À Matheo, c’était le nom du sire,
Sans tant tourner il dit ce qu’il Ă©tait ;
Qu’un double mal chez lui le tourmentait
Ses Créanciers et sa Femme encor pire :
Qu’il n’y savait remùde que d’entrer
Au corps des gens, et de s’y remparer,
D’y tenir bon : irait-on là le prendre ?
Dame Honnesta viendrait-elle y prĂŽner
Qu’elle a regret de se bien gouverner ?
Chose ennuyeuse et qu’il est las d’entendre.
Que de ces corps trois fois il sortirait
Sitît que lui Matheo l’en prierait ;
Trois fois sans plus, et ce pour récompense
De l’avoir mis à couvert des Sergents.
Tout aussitît l’Ambassadeur commence
Avec grand bruit d’entrer au corps des gens.
Ce que le sien, ouvrage fantastique,
Devint alors, l’histoire n’en dit rien.
Son coup d’essai fut une fille unique
OĂč le Galand se trouvait assez bien ;
Mais Matheo moyennant grosse somme
L’en fit sortir au premier mot qu’il dit.
C’était Ă  Naple, il se transporte Ă  Rome ;
Saisit un corps : Matheo l’en bannit,
Le chasse encore : autre somme nouvelle.
Trois fois enfin, toujours d’un corps femelle,
Remarquez bien, notre Diable sortit.
Le Roi de Naple avait lors une fille,
Honneur du sexe, espoir de sa famille :
Maint jeune prince Ă©tait son poursuivant.
LĂ  d’Honnesta BelphĂ©gor se sauvant,
On ne le put tirer de cet asile.
Il n’était bruit aux champs comme Ă  la ville
Que d’un Manant qui chassait les esprits.
Cent mille Ă©cus d’abord lui sont promis.
Bien affligé de manquer cette somme
(Car ces trois fois l’empĂȘchaient d’espĂ©rer
Que Belphégor se laissùt conjurer)
Il la refuse : il se dit un pauvre homme,
Pauvre pécheur, qui sans savoir comment,
Sans dons du Ciel, par hasard seulement,
De quelques corps a chassé quelque Diable,
Apparemment chétif, et misérable,
Et ne connaĂźt celui-ci nullement.
Il a beau dire ; on le force, on l’amùne,
On le menace, on lui dit que sous peine
D’ĂȘtre pendu, d’ĂȘtre mis haut et court
En un gibet, il faut que sa puissance
Se manifeste avant la fin du jour.
DĂšs l’heure mĂȘme on vous met en prĂ©sence
Notre DĂ©mon et son Conjurateur.
D’un tel combat le Prince est spectateur.
Chacun y court ; n’est fils de bonne mùre
Qui pour le voir ne quitte toute affaire.
D’un cĂŽtĂ© sont le gibet et la hart,
Cent mille Ă©cus bien comptĂ©s d’autre part.
Matheo tremble, et lorgne la finance.
L’Esprit malin voyant sa contenance,
Riait sous cape, alléguait les trois fois 
Dont Matheo suait en son harnois,
Pressait, priait, conjurait avec larmes
Le tout en vain : Plus il est en alarmes,
Plus l’autre rit. Enfin le Manant dit
Que sur ce Diable il n’avait nul crĂ©dit.
On vous le happe, et mĂšne Ă  la potence.
Comme il allait haranguer l’assistance,
Nécessité lui suggéra ce tour :
Il dit tout bas qu’on battüt le tambour,
Ce qui fut fait ; de quoi l’Esprit immonde
Un peu surpris au Manant demanda :
Pourquoi ce bruit? coquin, qu’entends-je là ?
L’autre rĂ©pond : C’est Madame Honnesta
Qui vous réclame, et va par tout le monde
Cherchant l’Époux que le Ciel lui donna.
Incontinent le Diable décampa,
S’enfuit au fond des Enfers, et conta
Tout le succùs qu’avait eu son voyage :
Sire, dit-il, le nƓud du mariage
Damne aussi dru qu’aucuns autres Ă©tats.
Votre Grandeur voit tomber ici-bas,
Non par flocons, mais menu comme pluie,
Ceux que l’Hymen fait de sa confrĂ©rie,
J’ai par moi-mĂȘme examinĂ© le cas.
Non que de soi la chose ne soit bonne ;
Elle eut jadis un plus heureux destin ;
Mais comment tout se corrompt Ă  la fin,
Plus beau fleuron n’est en votre couronne.
Satan le crut : il fut récompensé ;
Encor qu’il eĂ»t son retour avancĂ© ;
Car qu’eĂ»t-il fait ? Ce n’était pas merveilles
Qu’ayant sans cesse un Diable à ses oreilles,
Toujours le mĂȘme, et toujours sur un ton,
Il fut contraint d’enfiler la venelle ;
Dans les Enfers, encore en change-t-on ;
L’autre peine est à mon sens plus cruelle.
Je voudrais voir quelques gens y durer.
Elle eût à Job fait tourner la cervelle.
De tout ceci que prétends-je inférer ?
PremiĂšrement je ne sais pire chose
Que de changer son logis en prison ;
En second lieu, si par quelque raison
Votre ascendant à l’hymen vous expose,
N’épousez point d’Honnesta s’il se peut ;
N’a pas pourtant une Honnesta qui veut.

Annotations :

1. La gravure n’est pas signĂ©e.

2. Edition de 1694, Livre VII, Fable 27.

3. Nouvelle tirée de Machiavel

Sources textuelles :
La Fontaine, Fables (1668-1692)

Informations techniques

Notice #006596

Image HD

Identifiant historique :
A5915
Traitement de l'image :
Photo numérique
Localisation de la reproduction :
Collection particuliĂšre