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Recherche infructueuse

Emperor Severus blames Caracalla for trying to assassinate him - Greuze

Image series :
Date :
1769
Type of image :
Peinture sur toile
Dimensions (HxL cm) :
124x160 cm
Storage Location :
INV 5031
Legend

Description

Livret du Salon de 1769 :

« Par M. Greuze, Agréé.
151. L’Empereur SĂ©vère reproche Ă  Caracalla son fils, d’avoir voulu l’assassiner dans les dĂ©filĂ©s d’Écosse, et lui dit : Si tu desires ma mort, ordonne Ă  Papinien de me la donner avec cette Ă©pĂ©e. Â»

Commentaire de Diderot :

« Vous savez, mon ami, qu’on a relĂ©guĂ© dans la classe des peintres de genre les artistes qui s’en tiennent Ă  l’imitation de la nature subalterne et aux scènes champĂŞtres, bourgeoises et domestiques, et qu’il n’y a que les peintres d’histoire qui composent l’autre classe qui puissent prĂ©tendre aux places de professeurs et Ă  d’autres fonctions honorifiques. Greuze qui ne manque pas d’amour-propre et en qui il est très bien fondĂ©, s’était proposĂ© de faire un tableau historique et d’acquĂ©rir le droit Ă  tous les honneurs de son AcadĂ©mie. Il avait choisi pour sujet Septime SĂ©vère reprochant Ă  Caracalla son fils d’avoir attentĂ© Ă  sa vie dans les dĂ©filĂ©s d’Écosse ; son moment est celui oĂą Septime ayant fait appeler son fils, lui dit : Si tu dĂ©sires ma mort, ordonne Ă  Papinien de me la donner. Nous avons vu dans son atelier ce sujet Ă©bauchĂ©, et vous conviendrez que cette Ă©bauche promettait un beau tableau. Quoiqu’il ait changĂ© de toile, sa composition est restĂ©e la mĂŞme. La scène se passe le matin. Septime s’est relevĂ© sur son lit, il est assis Ă  moitiĂ© nu. Il parle Ă  Caracalla. Sa main gauche est d’un homme qui ordonne, sa droite dirigĂ©e vers un glaive posĂ© sur une table de nuit explique le sens de l’ordre donnĂ©. Papinien et un sĂ©nateur sont au chevet du lit, Caracalla est au pied ; ces trois figures sont debout. Caracalla a le caractère d’un mĂ©chant plus honteux que contrit ; Septime parle avec force et gravitĂ© ; Papinien a l’air confondu ; le sĂ©nateur paraĂ®t Ă©tonnĂ©.
    Le jour vint oĂą ce tableau achevĂ© avec le plus grand soin, prĂ´nĂ© par l’artiste mĂŞme comme un morceau Ă  lutter contre ce que le Poussin avait fait de mieux, vu par le directeur et quelques commissaires, fut prĂ©sentĂ© Ă  l’AcadĂ©mie. Vous vous doutez bien qu’il ne fut pas examinĂ© avec les yeux de la bienveillance ; Greuze avait montrĂ© depuis si longtemps un mĂ©pris si franc et si net pour ses confrères et leurs ouvrages !
    Voici comment la chose se passe dans ces circonstances. L’AcadĂ©mie s’assemble ; le tableau est exposĂ© sur un chevalet au milieu de la salle ; les acadĂ©miciens l’examinent. Cependant l’agréé, seul dans une autre pièce, se promène ou reste assis, en attendant son jugement ; Greuze, ou je me trompe fort, n’en Ă©tait pas fort inquiet.
    Au bout d’une heure les deux battants s’ouvrirent, Greuze entra ; le directeur lui dit : « Monsieur, l’AcadĂ©mie vous reçoit ; approchez et prĂŞtez serment. Â» Greuze enchantĂ© satisfait Ă  toutes les cĂ©rĂ©monies de la rĂ©ception. Ensuite le directeur lui dit : « Monsieur, l’AcadĂ©mie vous a reçu, mais c’est peintre de genre ; elle a eu Ă©gard Ă  vos anciennes productions qui sont excellentes ; et elle a fermĂ© les yeux sur celle-ci, qui n’est digne ni d’elle ni de vous. Â»
    Dans cet instant Greuze dĂ©chu de son espĂ©rance, perdit la tĂŞte, s’amusa comme un enfant Ă  soutenir l’excellence de son tableau, et l’on vit le moment oĂą LagrenĂ©e tirait son crayon de sa poche afin de lui marquer sur sa toile mĂŞme les incorrections de ses figures.
    Qu’aurait fait un autre ? me direz-vous. Un autre, moi par exemple, aurait tirĂ© son couteau de sa poche et aurait mis le tableau en pièces ; ensuite il aurait passĂ© la bordure autour de son cou, dit Ă  l’AcadĂ©mie qu’il ne voulait ĂŞtre ni peintre de genre ni peintre d’histoire ; rentrĂ© chez lui pour y encadrer les tĂŞtes merveilleuses de Papinien et du sĂ©nateur qu’il aurait Ă©pargnĂ©es au milieu de la destruction du reste, et laissĂ© l’AcadĂ©mie confondue et dĂ©shonorĂ©e ; oui, mon ami, dĂ©shonorĂ©e : car le tableau de Greuze avant d’être prĂ©sentĂ© passait pour un chef-d’œuvre, prĂ©jugĂ© que les dĂ©bris auraient perpĂ©tuĂ© Ă  jamais, dĂ©bris que le premier amateur aurait acquis au poids de l’or.
    Greuze au contraire demeura convaincu du mĂ©rite de son ouvrage et de l’injustice de l’AcadĂ©mie, s’en revint dans sa maison essuyer les reproches emportĂ©s de la femme la plus violente, laissa exposer son tableau dans le Salon et donna le temps Ă  ses dĂ©fenseurs de revenir de leur erreur et de reconnaĂ®tre qu’il avait maladroitement offert Ă  ses confrères irritĂ©s l’occasion de lui rembourser en un instant tout le mĂ©pris qu’il leur avait marquĂ©, sans blesser les lois de l’équitĂ©.
    VoilĂ  l’historique de l’aventure de Greuze, qui a fait ici beaucoup de bruit. Si vous ne voulez pas vous en tenir Ă  ce que je vous dirai de son tableau dans ma prochaine lettre, vous pourrez l’aller voir dans les salles de l’AcadĂ©mie d’oĂą ses rivaux ne le laisseraient pas sortir pour tout l’or du monde.
    A la place de Greuze, je voudrais avoir ma revanche.
    Je n’aime plus Greuze, malgrĂ© cela, j’ai Ă©tĂ© vraiment fâchĂ© de la scène mortifiante qu’il a essuyĂ©e, et je me disposais Ă  l’aller consoler lorsque j’en fus empĂŞchĂ© par un soupçon qui me dĂ©plut en lui...
    Je devais dĂ®ner aujourd’hui avec vous et vous remettre cette lettre et les deux prĂ©cĂ©dentes ; j’ai Ă©tĂ© retenu par ma femme qui croit que ma prĂ©sence soulage sa fille de son indisposition qui dure. Bon soir.
   
    Je vous ai promis, mon ami, que je vous parlerais du morceau de rĂ©ception de Greuze et que je vous en parlerais sans partialitĂ©. Je vais tenir parole.
    Il faut que vous sachiez d’abord que les tableaux de cet artiste faisant dans le monde et au Salon la sensation la plus forte, l’AcadĂ©mie souffrit avec peine qu’un homme aussi habile et aussi justement admirĂ© n’eĂ»t que le titre d’agréé.
    Elle dĂ©sira qu’il fĂ»t incessamment dĂ©corĂ© de celui d’acadĂ©micien, et le dĂ©sir et la lettre que le secrĂ©taire Cochin fut chargĂ© de lui Ă©crire en consĂ©quence sont un bel Ă©loge de Greuze. J’ai vu la lettre qui est un modèle d’honnĂŞtetĂ© et d’estime ; j’ai vu la rĂ©ponse de Greuze qui est un modèle de vanitĂ© et d’impertinence. Il fallait appuyer cela d’un chef-d’œuvre, et c’est ce que Greuze n’a pas fait.
    Le Septime SĂ©vère est ignoble de caractère, il a la peau noire et basanĂ©e d’un forçat ; son action est Ă©quivoque. Il est mal dessinĂ©, il a le poignet cassĂ©. La distance du cou au sternum est dĂ©mesurĂ©e, on ne sait oĂą va ni Ă  quoi appartient le genou de la cuisse droite qui fait relever la couverture.
    Le Caracalla est plus ignoble encore que son père, c’est un vil et bas coquin ; l’artiste n’a pas eu l’art d’allier la mĂ©chancetĂ© avec la noblesse. C’est d’ailleurs une figure de bois sans mouvement et sans souplesse. C’est l’AntinoĂĽs dĂ©guisĂ© sous l’habit romain, j’en suis aussi sĂ»r que si l’artiste m’en avait fait confidence.
    Mais, me direz-vous, si le Caracalla est fait d’après l’AntinoĂĽs, ce doit ĂŞtre une belle figure. RĂ©ponse. Faites dessiner l’AntinoĂĽs au RaphaĂ«l et vous aurez un chef-d’œuvre ; faites calquer l’AntinoĂĽs au voile par un ignorant, et vous aurez un dessin froid et misĂ©rable. - Mais Greuze n’est pas un ignorant. - Le plus habile homme du monde est un ignorant lorsqu’il tente une chose qu’il n’a jamais faite. Greuze est sorti de son genre : imitateur scrupuleux de la nature, il n’a pas su s’élever Ă  la sorte d’exagĂ©ration qu’exige la peinture historique. Son Caracalla irait Ă  merveille dans une scène champĂŞtre et domestique ; ce serait dans un besoin le frère de ce grand garçon qui Ă©coute debout ce vieillard qui fait la lecture Ă  ses enfants.
    Concluez de ce qui prĂ©cède que celui qui n’a vu les belles statues antiques que d’après des plâtres, quelque parfaits qu’ils fussent, ne les a pas vues.
    La tĂŞte du Papinien est très belle mais elle n’est pas du reste du corps, sa tĂŞte est faite pour ĂŞtre grande et le corps pour rester petit. Il en est de cette tĂŞte au corps comme d’un Teniers Ă  un Wouwermans.
    Prenez le plus petit Teniers, portez-le chez un peintre de copie, et demandez-lui de vous en faire une grande composition, une composition de six pieds de large sur cinq pieds de haut ; l’artiste divisera sa grande toile par petits carrĂ©s ; chacun de ces petits carrĂ©s contiendra une partie proportionnĂ©e du petit tableau ; et si votre copiste a du talent, soyez sĂ»r d’avoir une bonne chose. Ne lui demandez pas la mĂŞme opĂ©ration sur un Wouwermans ; le Wouwermans est fait pour ĂŞtre copiĂ© de la grandeur prĂ©cise de l’original. Achetez donc un Wouwermans comme on achète un diamant prĂ©cieux, mais achetez un Teniers comme un connaisseur en peinture.
    La tĂŞte du sĂ©nateur placĂ©e sur le fond est peut-ĂŞtre encore plus belle que celle de Papinien.
    Le linge et les couvertures du lit de l’empereur sont du plus mauvais goĂ»t de couleur et de plis.
    Mais ce n’est pas lĂ  le pis, c’est qu’il n’y a dans le tout aucun principe de l’art. Le fond du tableau touche au rideau du lit de SĂ©vère, le rideau touche aux figures, tout cela n’a nulle profondeur, nulle magie ; il semble que l’artiste ait Ă©tĂ© privĂ© comme par un sortilège, de la partie du talent qu’on ne saurait perdre ; Chardin m’a dit vingt fois que c’était un phĂ©nomène inexplicable pour lui. Point de couleur, nulles vĂ©ritĂ©s de dĂ©tail, rien de fait. Tableau d’élève, trop bien pour laisser l’espoir de mieux. Nulle harmonie, tout est terne, dur et sec. Prenez cette critique, portez-la devant le tableau, et vous trouverez peut-ĂŞtre qu’on peut y ajouter, mais qu’on n’en peut rien rabattre. Â»

History :

2. Morceau de réception de l’artiste. L’Académie le reçoit comme peintre de genre et non d’histoire. Blessé, Greuze cesse d’exposer aux Salons.

3. Diderot admire une esquisse du tableau dans l’été 1767. Greuze s’est inspiré pour la composition de La Mort de Germanicus de Poussin (voir lien).

Indexed items :
Trépied
Statuette
Scène à deux
Rideau (fond de scène)
Lit
La scène a un public

Technical Data

Notice #001055

Image HD

Past ID :
A0374
Image editing :
Scanner
Image Origin :
Collection particulière