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Recherche infructueuse

Justine fouette Roland pendu dans son cachot (Nlle Justine, 1799, ch18, fig36)

Date :
Entre 1797 et 1799
Nature de l'image :
Gravure sur cuivre
Sujet de l'image :
Enfer 2507 (4)

Analyse

Justine, alors libérée d'un groupe de brigands, a secouru Roland, que des voleurs foulaient aux pieds sur la route de Grenoble. Roland, qui est faux-monnayeur, l’amène à son repaire et l’y séquestre. Il tient là plusieurs femmes qu’il jouit de voir pendues dans l’un de ses cachots, dont voici la description :

« Du cintre partait une longue corde, qui tombait Ă  huit pieds de terre, et qui, comme vous allez bientĂ´t le voir, n’était lĂ  que pour servir Ă  d’affreuses expĂ©ditions. Ă€ droite, Ă©tait un cercueil, qu’entrouvrait le spectre de la mort, armĂ© d’une faux menaçante ; un prie-Dieu Ă©tait Ă  cĂ´tĂ© ; sur une table, un peu au-delĂ , se voyait un crucifix entre deux cierges noirs, un poignard Ă  trois lames crochues, un pistolet tout armĂ©, et une coupe remplie de poison. A gauche, le corps tout frais d’une superbe femme, attachĂ© Ă  une croix : elle y Ă©tait posĂ©e sur la poitrine, de façon qu’on voyait amplement ses fesses… mais cruellement molestĂ©es ; il y avait encore de grosses et longues Ă©pingles dans les chairs, et des gouttes d’un sang noir et caillĂ© formaient des croĂ»tes le long des cuisses ; elle avait les plus beaux cheveux du monde ; sa belle tĂŞte Ă©tait tournĂ©e vers nous, et semblait implorer sa grâce » (p. 1015-1016).

La configuration baroque du lieu met en avant la mort omniprĂ©sente, tant par le spectre Ă  la faux menaçante que par les reprĂ©sentations de squelettes sur les tentures. Les instruments de torture, poisons, poignards, verges, sabres ou autres sont Ă©galement lĂ©gion. La femme faite de cire prĂ©sente dans Les Malheurs de la vertu devient dans La Nouvelle Justine une vĂ©ritable femme molestĂ©e jusqu'Ă  la mort : les traces des coups sont encore visibles sur ses fesses. CrucifiĂ©e Ă  l'envers, elle parodie la crucifixion du Christ.

La scène est amenĂ©e dans le roman comme suit : Roland amène un jour Justine dans ce cachot en lui demandant pour cette fois d’inverser les rĂ´les : c'est elle qui doit le lier, le fouetter et le pendre. Roland veut en effet « Ă©prouver la sensation Â» de la pendaison, qu'il croit ĂŞtre « infiniment douce Â» (p. 1030). Justine doit le dĂ©tacher une fois que Roland aura dĂ©chargĂ© : c'est ce qui a incitĂ© Roland Ă  choisir pour cette opĂ©ration Justine, qu'il croit Ă  juste titre trop vertueuse pour le laisser mourir pendu.

La gravure reprĂ©sente prĂ©cisĂ©ment le moment de la dĂ©charge, lorsque Justine tirant sur la corde attachĂ©e au tabouret, provoque l'Ă©tranglement de Roland. Celui-ci, en Ă©rection, le regard tournĂ© vers Justine, jouit : sa semence, qui semble libĂ©rer l'Ă©nergie comprimĂ©e dans son cou par la corde, est projetĂ©e vers elle qui d'un geste et de son regard dĂ©tournĂ© montre tout son dĂ©goĂ»t. Ce regard dĂ©tournĂ© la fait justement regarder du cĂ´tĂ© des victimes, lĂ  oĂą se trouve la femme morte attachĂ©e Ă  la croix.

Justine, en tirant sur la corde du tabouret comme le lui a demandé Roland, s'éloigne mécaniquement de lui. Mais la semence du libertin, en venant atterrir précisément sur sa main, la rattrape et la rattache malgré elle à la scène. L'ensemble dessine un cône visuel qui ordonne le dispositif, dont la pointe est la tête de Justine, l'axe supérieur étant formé par son bras gauche et le sperme de Roland, l'axe inférieur par son bras droit et la corde. Les squelettes peints sur la tenture du fond font office de spectateurs de la scène.

Le corps de Justine vient s'inscrire dans l'encadrement formĂ© par l'arche de la sortie. Justine se trouve ainsi prise entre le simulacre de spectre sortant du tombeau, au premier plan Ă  droite, qui sert d'embrayeur visuel, et la sortie, obscure et bouchĂ©e, Ă  laquelle elle tourne le dos. Par rapport au cĂ´ne visuel de la scène, l'axe formĂ© par le spectre et l'arche est perpendiculaire, obligeant le spectateur au quart de tour constitutif du dispositif scĂ©nique. Le dispositif mis en place par les libertins atteint ici un comble de perversitĂ©. Justine dispose de tout ce qui est nĂ©cessaire pour prendre le dessus sur son bourreau : il est pendu, les mains liĂ©es, un sabre et un coutelas sont au sol Ă  ses pieds. C'est pourtant Justine elle-mĂŞme qui libèrera Roland, en « voul[ant] le dĂ©gager Â» (p. 1032), au prix de sa propre libertĂ©.

Enfin, le spectre de la mort en bas Ă  droite tient presque Ă  la verticale la pierre tombale qui devrait recouvrir le cercueil et semble ici faire office d'Ă©cran. De son regard empĂŞchĂ©, le spectre menace les trois personnages qui lui font face : la femme attachĂ©e Ă  la croix qui est dĂ©jĂ  morte ; Justine qui en tant que victime risque toujours de mourir ; et Roland qui pour sa jouissance joue dangereusement en se tenant entre la vie et la mort, comme sur un fil. Le jeu de Roland avec la mort est figurĂ© par les deux squelettes de la tenture du fond, qui encadrent le faux-monnayeur, Ă  la manière des deux larrons d'une crucifixion parodique.

Les lignes directrices que forment le couvercle de la tombe et le corps de Roland convergent vers la tombe, tandis que la courbure de la faux et celle du jet de sperme se répondent symétriquement : elles figurent la même limite, de la jouissance à la mort. A l'origine du regard, le spectre rappelle le pouvoir néantisant du fascinum archaïque, au principe de la pulsion scopique, tandis que la faux de Cronos figure (bien avant Freud) la castration. Mais tout aussi bien ce cercueil ouvert devant un pendu en position de crucifié peut évoquer la Résurrection du Christ sortant de son tombeau ouvert.

Annotations :

1. Au-dessus de la gravure Ă  gauche « T. IV. Â», Ă  droite « P. 210. Â»

Sources textuelles :
Sade, Donatien Alphonse François, marquis de (1740-1814)

Informations techniques

Notice #001674

Image HD

Identifiant historique :
A0993
Traitement de l'image :
Image web
Localisation de la reproduction :
Bibliothèque numérique Gallica, Bibliothèque nationale de France (https://gallica.bnf.fr)