Séraphine fait céder la cloison (Nlle Justine, 1799, ch18, fig35)

Séraphine est la fausse mendiante qui a attiré Justine jusqu’à une trappe d’où celle-ci est tombée, pénétrant dans la caverne des brigands. Elle raconte son histoire.

Pauline est sa mère ; Siméon, l’amant de sa mère ; le père Ives, le supérieur du couvent où Siméon est moine ; Luce la maîtresse du père Ives. Les deux moines ont chacun une servante, Martine et Léonarde. Les six ont coutume de se réunir pour diverses scènes de libertinage. De L'Aigle invite souvent sa sœur à épier ces scènes. Passant petit à petit de spectateur à acteur, de L'Aigle commence à entreprendre sa sœur qui, pour faciliter l'opération, s'appuie de plus en plus sur la cloison qui finit par céder : « la planche, mal assurée, se détache, et va tomber sur la tête de Martine, d’une manière si forte, et dans un sens si dangereux, qu’elle la renverse sans connaissance » (p. 996).

La gravure représente ce moment où les deux adolescents, depuis la droite de l'image, font irruption dans la pièce dans laquelle les libertins et leurs maîtresses et servantes faisaient une pause dans leurs orgies pour boire « au moins six bouteilles de vin de Champagne » (p. 995). Martine est donc atteinte à la tête : c'est elle que l'on voit juste en-dessous de Séraphine, le visage déjà à moitié écrasé et à moitié caché par la cloison. Ses jambes écartées viennent s'ajuster dans l'espace ouvert par les jambes écartées de la femme à gauche, elle aussi renversée : ce personnage n'est pas identifié dans le texte. Malgré le désordre apparent de la représentation, la scène orgiaque forme de façon spectaculaire et claire un cône visuel dont la pointe est formée par les jambes des deux adolescents : un des deux axes de ce cône visuel est formé par la cloison ; un autre est formé par les jambes et le corps des deux femmes situées en-dessous de la cloison. Ce cône visuel dirige le regarde vers la pénétration de Séraphine par son frère.

De plus, le renversement de la cloison sème un désordre paradoxal : est-ce la cloison qui, en tombant, éparpille au sol les chaises, les bouteilles et les autres ustensiles ? ou tous ces objets étaient-ils déjà épars du fait de l'orgie ?
L'irruption des deux jeunes voyeurs dans la salle orgiaque qu'ils épiaient jusque-là semble comme les lancer dans leur carrière libertine : la pénétration de Séraphine est en quelque sorte théâtralisée par l'effondrement de la cloison. Visuellement, la cloison occupe la place d'une table de banquet, mais une table complètement désorientée, déstabilisée : elle suggère ainsi l'identification du sexe et de la nourriture, et de là, parodiquement, de la consécration libertine et de la dernière Cène comme figure de l'Eucharistie.