Portrait de Diderot - Louis Michel Van Loo
Notice précédente Notice n°5 sur 103 Notice suivante
Analyse
Livret du Salon de 1767 :
« Par M. Vanloo, Ecuyer, Chevalier de lâOrdre du Roi, premier Peintre du Roi dâEspagne, Directeur de lâEcole Royale des ElĂšves ProtĂ©gĂ©s, ancien Recteur.
N°1. [âŠ]
8. Le Portrait de M. Diderot. »
Commentaire de Diderot dans le Salon de 1767 :
Monsieur Diderot. Moi. Jâaime Michel ; mais jâaime encore mieux la vĂ©ritĂ©. Assez ressemblant. Il peut dire Ă ceux qui ne le reconnaissent pas, comme le fermier de lâopĂ©ra-comique : âCâest quâil ne mâa jamais vu sans perruque.â TrĂšs vivant. Câest sa douceur, avec sa vivacitĂ©. Mais trop jeune, tĂȘte trop petite. Joli comme une femme, lorgnant, souriant, mignard, faisant le petit bec, la bouche en cĆur. Rien de la sagesse de couleur du Cardinal de Choiseul. Et puis un luxe de vĂȘtement Ă ruiner le pauvre littĂ©rateur, si le receveur de la capitation vient Ă lâimposer sur sa robe de chambre. LâĂ©critoire, les livres, les accessoires aussi bien quâil est possible, quand on a voulu la couleur brillante et quâon veut ĂȘtre harmonieux. PĂ©tillant de prĂšs, vigoureux de loin, surtout les chairs. Du reste de belles mains, bien modelĂ©es, exceptĂ© la gauche qui nâest pas dessinĂ©e. On le voit de face. Il a la tĂȘte nue. Son toupet gris avec sa mignardise lui donne lâair dâune vieille coquette qui fait encore lâaimable. La position, dâun secrĂ©taire dâĂtat et non dâun philosophe. La faussetĂ© du premier moment a influĂ© sur tout le reste. Câest cette folle de Mme Vanloo qui venait jaser avec lui, tandis quâon le peignait, qui lui a donnĂ© cet air-lĂ et qui a tout gĂątĂ©. Si elle sâĂ©tait mise Ă son clavecin et quâelle eĂ»t prĂ©ludĂ© ou chantĂ©, Non ha ragione, ingrato, un core abbandonato, ou quelque autre morceau du mĂȘme genre, le philosophe sensible eĂ»t pris un tout autre caractĂšre, et le portrait sâen serait ressenti. Ou mieux encore, il fallait le laisser seul et lâabandonner Ă sa rĂȘverie. Alors sa bouche se serait entrouverte, ses regards distraits se seraient portĂ©s au loin, le travail de sa tĂȘte fortement occupĂ©e se serait peint sur son visage, et Michel eĂ»t fait une belle chose. Mon joli philosophe, vous me serez Ă jamais un tĂ©moignage prĂ©cieux de lâamitiĂ© dâun artiste, excellent artiste, plus excellent homme. Mais que diront mes petits-enfants, lorsquâils viendront Ă comparer mes tristes ouvrages avec ce riant, mignon, effĂ©minĂ©, vieux coquet-lĂ ? Mes enfants, je vous prĂ©viens que ce nâest pas moi. Jâavais en une journĂ©e cent physionomies diverses, selon la chose dont jâĂ©tais affectĂ©. JâĂ©tais serein, triste, rĂȘveur, tendre, violent, passionnĂ©, enthousiaste. Mais je ne fus jamais tel que vous me voyez lĂ . Jâavais un grand front, des yeux trĂšs vifs, dâassez grands traits, la tĂȘte tout Ă fait du caractĂšre dâun ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien prĂšs Ă la bĂȘtise, Ă la rusticitĂ© des anciens temps. Sans lâexagĂ©ration de tous les traits dans la gravure quâon a faite dâaprĂšs le crayon de Greuze, je serais infiniment mieux. Jâai un masque qui trompe lâartiste, soit quâil y ait trop de choses fondues ensemble, soit que les impressions de mon Ăąme se succĂ©dant trĂšs rapidement et se peignant toutes sur mon visage, lâĆil du peintre ne me retrouvant pas le mĂȘme dâun instant Ă lâautre, sa tĂąche devienne beaucoup plus difficile quâil ne la croyait. Je nâai jamais Ă©tĂ© bien fait que par un pauvre diable appelĂ© Garand, qui mâattrapa, comme il arrive Ă un sot qui dit un bon mot. Celui qui voit mon portrait par Garand, me voit. Ecco il vero Polichinello. M Grimm lâa fait graver ; mais il ne le communique pas. Il attend toujours une inscription quâil nâaura que quand jâaurai produit quelque chose qui mâimmortalise. - Et quand lâaura-t-il ? - Quand ? demain peut-ĂȘtre. Et qui sait ce que je puis ! Je nâai pas la conscience dâavoir encore employĂ© la moitiĂ© de mes forces. JusquâĂ prĂ©sent, je nâai que baguenaudĂ©. Jâoubliais parmi les bons portraits de moi, le buste de Mlle Collot ; surtout le dernier qui appartient Ă M Grimm, mon ami. Il est bien. Il est trĂšs bien. Il a pris chez lui la place dâun autre que son maĂźtre M Falconet avait fait et qui nâĂ©tait pas bien. Lorsque Falconet eut vu le buste de son Ă©lĂšve, il prit un marteau et cassa le sien devant elle. Cela est franc et courageux. Ce buste en tombant en morceaux sous le coup de lâartiste, mit Ă dĂ©couvert deux belles oreilles qui sâĂ©taient conservĂ©es entiĂšres sous une indigne perruque dont Mme Geoffrin mâavait fait affubler aprĂšs coup. M Grimm nâavait jamais pu pardonner cette perruque Ă Mme Geoffrin. Dieu merci, les voilĂ rĂ©conciliĂ©s ; et ce Falconet, cet artiste si peu jaloux de sa rĂ©putation dans lâavenir, ce contempteur si dĂ©terminĂ© de lâimmortalitĂ©, cet homme si disrespectueux de la postĂ©ritĂ©, dĂ©livrĂ© du souci de lui transmettre un mauvais buste.
1. Signé : « L. M. Van Loo / 1767 »
Informations techniques
Notice #000782